Le journaliste Sosthène Kambidi arrêté pour avoir divulgué une vidéo de l’assassinat de deux experts de l’ONU

Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Temps de lecture : 4 minutes

La justice militaire congolaise cherche à le contraindre à révéler ses sources

L’ONU une nouvelle fois mêlé à la procédure après un premier cover-up dénoncé par un consortium de journalistes d’investigation

Le journaliste Sosthène Kambidi est, en réalité, sous le coup de la contrainte pour révéler ses sources.

Cela fait environ 48 heures que Sosthène Kambidi, le correspondant de l’AFP, Actualité.cd et fixeur de RFI au Kasaï, est détenu sans accès à sa famille et à un avocat. Il est accusé d’avoir divulgué la vidéo de l’assassinat des deux experts de l’ONU, Michael Sharp et Zaida Catalan. Le parquet militaire cherche surtout à savoir comment M. Kambidi était entré en possession de cette vidéo et surtout qui la lui a donnée.

Sosthène Kambidi avait couvert au quotidien les massacres de civils dans les provinces du Kasaï et participé à l’enquête sur l’assassinat des deux experts de l’ONU. C’est ainsi qu’il finira par se retrouver en possession d’une vidéo du meurtre de l’Américain Michael Sharp et la Suédoise Zaida Catalan le 12 mars 2017.

Avant de se voir privé de tout moyen de communication, Sosthène Kambidi est parvenu à envoyer un message à RFI expliquant avoir été arrêté dans le cadre de l’assassinat des deux experts.

Sosthène Kambidi avait confié à RFI, quelques jours plus tôt, qu’il avait des informations de la justice militaire selon lesquelles il pourrait être bientôt convoqué dans le cadre de ce dossier. « Notre confrère ne semblait pas inquiet, il se disait prêt à collaborer avec la justice et attendait une simple convocation. Mais il a finalement été arrêté aux environs de minuit par des militaires en civil dans l’un des hôtels de la capitale », explique Sonia Rolley, envoyée spéciale de la chaîne radio française à Kinshasa.

Rôle ambigüe de l’ONU

Aux dernières nouvelles, son audition s’est déroulé sans qu’il ne puisse avoir accès à un avocat. Le plus surprenant peut-être c’est que cette audition a eu lieu en présence d’experts mandatés par l’ONU pour assister la justice militaire congolaise. Malgré les conditions de cette arrestation, ils y ont participé par visioconférence.

Il faut savoir que le 27 novembre 2018, cinq médias de différents pays[i] ont révélé comment l’Organisation des Nations Unies (ONU) avaient étouffé la raison réelle de l’assassinat de deux de ses employés. Ces enquêtes, publiées simultanément, avaient démontré que les deux experts des droits de l’homme de l’ONU avaient été piégés par des agents des services secrets de la République Démocratique du Congo (RDC). Ces derniers s’étaient fait passer pour des interprètes dans le but de les attirer vers le lieu où ils allaient être assassinés. Elles ont également montré que le rapport public de l’ONU avait délibérément occulté l’implication du gouvernement de RDC dans les assassinats. Ces enquêtes des médias membres de la Global Investigative Journalism Network (GIJN) avaient provoqué de nombreux remous dans le monde diplomatique.

Comme un autre journaliste arrêté fin juillet, la junte militaire lui reproche d’avoir été en possession de la vidéo de l’assassinat mais aussi d’avoir appris très tôt ses circonstances. Il est mis en demeure de révéler ses sources. La justice militaire sait déjà pourtant, grâce à des fadettes notamment, que le principal accusé et supplétif de l’armée congolaise, Jean Bosco Mukanda, avait pris soin de téléphoner à sa rédaction le soir même pour accuser les miliciens de cet assassinat.

Zaida Catalán et Michael Sharp ont été abattus par balle près du village de Bunkonde le 12 mars 2017 puis ont été enterrés dans des fosses communes.

Le Cover-Up

Pour le gouvernement de RDC et l’ONU, les deux experts des droits de l’homme avaient été tués par des groupes rebelles pour des raisons inconnues et à cause de leur imprudence à utiliser les escortes de sécurité ou à écouter les avertissements.

Toutefois, l’enquête de Mission Investigate allait révéler le piège tendu aux deux experts ainsi que son véritable motif : Zaida Catalán et Michael Sharp étaient en train de réunir des preuves sur un massacre commis par les militaires dans cette zone. Le piège qui leur a été tendu avait pour but de les réduire au silence. D’ailleurs, l’analyse de RFI a montré que l’ordre d’abattre les deux experts a été donné en Lingala, un langage que les rebelles Kamuina Nsapo refusent de parler pour une question d’honneur.

Axel Gordh Humlesjö, journaliste pour Mission Investigate et Sonia Rolley, journaliste à Radio France Internationale, analysent les image de gauche — juste avant l’assassinat des deux experts.  Photos: SVT

Un autre enregistrement audio montre que le jour précédent les meurtres, les deux experts ont été avertis par une figure rebelle importante qu’ils « allaient être attaqués » s’ils voyageaient à Bunkonde. Mais le documentaire montre – incroyablement – que les deux interprètes présents au moment de l’avertissement ont délibérément mal traduit l’avertissement fait aux deux experts, leur traduisant tout à fait le contraire : « Vous pouvez y aller, pas de problème ».

Les journalistes d’investigation avaient révélé qu’au cours de son enquête interne, l’ONU avait eu accès à des documents identifiant les interprètes comme des espions congolais. L’ONU les avait néanmoins exclus délibérément de son rapport public.

Mardi soir, l’organisation « Journalistes en danger » a pu confirmer son lieu de détention, notamment à l’auditorat militaire. Mais aucun contact n’a été autorisé avec lui, qu’il s’agisse de sa famille ou de ses collaborateurs.


[i] Le programme d’enquête télévisé suédois SVT Mission Investigate, le journal Le Monde, Radio France Internationale (RFI), le prestigieux média américain Foreign Policy Magazine et le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, qui ont travaillé ensemble sur cette enquête, ont été récompensés par le prestigieux prix Investigative Reporters and Editors (IRE) pour avoir montré comment « une institution de premier plan, l’ONU, a fermé les yeux quand le véritable motif des assassinats a été étouffé ».


Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.