Agaléga : La OIDC somme deux natifs de s’expliquer pour avoir parlé à TopFM

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Le General Manager de la OIDC documente les entraves aux droits à l’expression des Agaléens

Seewanand Norungee, le General Manager de la OIDC et Arnaud Poulay, natif d’Agaléga sommé de s’expliquer pour avoir parlé à TopFM.

Deux natifs d’Agaléga, Arnaud Poulay et Angelin, ont été sommés par le conseil d’administration de la Outer Islands Development Corporation (OIDC) de fournir des explications écrites au sujet de leurs échanges avec la chaîne radio TopFM. Dans sa requête d’explications à Arnaud Poulay, la OIDC fait référence à un ordre de 2015 selon lequel personne n’aurait le droit, sans autorisation préalable, de communiquer quelque information à quiconque. Mais, un tel ordre serait non-conforme aux dispositions de la section 12 de la Constitution garantissant au citoyen la protection de ses droits de toute entrave à la libre expression.

Le ‘board’ de la OIDC aurait pris ombrage du fait que Poulay et Angelin, deux natifs du territoire d’Agaléga, aient évoqué avec les journalistes de TopFM les installations de la marine indienne chez eux sur leur terre natale. Dans sa lettre à Arnaud Poulay, le General Manager de la OIDC, Seewanand Norungee, explique que le conseil d’administration (The Board) a été informé du fait qu’il s’est adressé directement à la chaîne radio le 24 mai dernier à 17:30. Après enquête, le conseil d’administration se serait aperçu qu’Arnaud Poulay aurait effectivement communiqué avec TopFM. « Following an enquiry, it was found that you communicated on the radio ‘Top FM’ », écrit-il.

« It has now been confirmed that you communicated inaccurate information relating to Agalega matters without obtaining prior authority and approval from the Ag. Resident Manager nor the General Manager », écrit encore le General Manager de la OIDC. La démarche de Seewanand Norungee est plutôt incongrue : s’il estime qu’une information au sujet d’Agaléga serait erronée, il lui suffit d’envoyer une mise-au-point pour que l’organe de presse qui l’aurait diffusée apporte la version précise, si tant est que celle-ci soit véridique. Pour bien comprendre le caractère singulier de la démarche de la OIDC, c’est qu’il ne viendrait à l’idée d’aucun responsable d’une administration publique de réclamer des explications écrites d’un citoyen mauricien qui s’exprimerait sur les ondes d’une radio. Tout simplement parce que personne ne dispose de cette autorité qui, selon le droit constitutionnel[1], serait une entrave à la jouissance d’une liberté fondamentale garantie à tout citoyen.

Arnaud Poulay sommé de fournir des explications écrites pour s’être entretenu avec TopFM sans l’autorisation préalable de la OIDC

Seewanand Norungee ne semble pas, non plus, réaliser qu’il a documenté du même coup les entraves aux droits des Agaléens à la liberté d’expression. Car sa lettre vient attester du fait que les Agaléens ont besoin de l’agrément préalable de la direction de la OIDC pour pouvoir s’exprimer sur leurs réalités sociales et politiques. Mais visiblement, ce que l’on ne s’autorise pas vis-à-vis des citoyens de la métropole mauricienne, est possible à l’endroit des individus faisant partie des autres peuples non-reconnues dans l’affirmation solennelle de l’identité mauricienne[2]. Force est de constater que des responsables de l’administration publique n’éprouvent aucun scrupule à user de pratiques discriminatoires à l’encontre des citoyens provenant des îles considérées dépendantes de l’administration (néocoloniale) mauricienne.

Droits civiques et abus d’autorité

Si la République de Maurice serait effectivement un Etat de droit, cet acte d’intimidation à l’encontre des deux Agaléens pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour ses auteurs. En effet, l’abus d’autorité par un agent ou préposé du Gouvernement constitue un délit pénal. L’article 77 du Code Pénal est très clair à ce sujet : « Lorsqu’un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du Gouvernement, aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire et attentatoire, soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d’un ou de plusieurs individus, soit à la Constitution de Maurice, et qu’il n’aura pas justifié qu’il a agi par ordre de son supérieur, pour des objets du ressort de celui-ci, il sera condamné ». A l’emprisonnement ou une amende de moins de Rs. 3 000.

Mais la peine pourrait être plus sévère dans l’éventualité où Poulay et Angelin se font représenter par un avocat qui plaide l’article 78 du Code Pénal ayant trait cette fois à la torture. Si le juriste parvient à convaincre un magistrat que le fait d’avoir été sommé de fournir des explications écrites équivaut à une torture mentale infligée à ses clients, la loi prévoit une amende pouvant aller jusqu’à Rs. 50 000. ainsi qu’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans.

Au-delà des spéculations sur les conséquences juridiques éventuelles de la requête de la OIDC aux deux Agaléens, le courrier de Seewanand Norungee établit clairement qu’il y a eu une contrainte, formulée dès 2015 aux Agaléens, pour que le droit à l’expression de leurs opinions soit exercé avec l’accord préalable de la OIDC. En outre, cette structure administrative agissant au nom de l’Etat s’est arrogé le droit réclamer des explications écrites aux intéressés en leur posant un ultimatum.


[1] 12 Protection of freedom of expression

(1) Except with his own consent, no person shall be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference with his correspondence.

[2] Le “Motherland”, l’hymne national mauricien en clamant « as one people », ignore complètement les autres peuples qui sont censés constituer la nation mauricienne, à savoir les Rodriguais, les Agaléens et les Chagossiens.


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