Covishield : une population menée à la décharge !

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Mme. Nandini Singla, haut-commissaire de l’Inde à Maurce, remettant un colis symbolique du Covishield à Pravind Jugnauth, le Premier ministre mauricien en compagnie de son homologue de la Santé, Kailesh Jagutpal

Depuis que Roshi Badhain a fait remonter dans l’actualité une information que nous avions révélée dès le 26 février dernier, les politiciens s’écharpent sur les termes de la décharge que doivent signer les candidats au vaccin Covishield. Mais il ne faudrait pas se limiter au scandale politico-juridique qui est le champ de prédilection des fort-en-gueule de la politique locale ; il importe avant tout d’établir les causes de ces articles scélérats de ce contrat, ainsi que celles expliquant les vaines tentatives du gouvernement de les justifier. L’enquête d’Indocile révèle les premiers indices. Compromettants. Le gouvernement mauricien aurait-il consenti à réceptionner des vaccins au stade de tests incomplets ? En pareil cas, était-il en devoir de notifier la population en général et, en particulier, ce premier contingent de Mauriciens qui ont été inoculées au Covishield ?

Revenons à cette soirée du 22 janvier dernier quand un vol en provenance de Mumbai arrive à Maurice et déplace un comité d’accueil composé de nombreux ministres et de Mme. Kottapally Nandini Singla, la Haut-Commissaire de l’Inde à Maurice. Il s’agit de réceptionner une cargaison de 100 000 doses de Covishield pour le coup d’envoi de la « campagne de vaccination contre la Covid-19 ».

Le Covishield, c’est le vaccin Oxford-AstraZeneca fabriqué lui par le Serum Institute of India (SII). Produisant plus de 50 millions de doses par mois, le SII est le plus grand fabricant de vaccins au monde. Le vaccin est fabriqué à partir d’une version affaiblie d’un virus du rhume (connu sous le nom d’adénovirus) à partir de chimpanzés. Il a été modifié pour ressembler davantage au coronavirus, bien qu’il ne puisse pas causer de maladie. C’est le vaccin prévu pour l’Indonésie, les Seychelles et Maurice.

Réception du Covishiled, les vaccins au stade de tests incomplets: Nando Bodha plaidera-t-il l’ignorance ou la responsabilité collective?

La médiatisation de l’événement est assurée par toute la presse d’actualité. Mme. Singla, qui a présenté ses lettres de créance le 5 janvier, y contribue grandement par la nouveauté de sa personne dans le corps diplomatique. En outre, elle a de nombreux atouts charme : ses saris sobres contrastent avec le clinquant de celles qui les portent habituellement ici, moins elle minaude avec les hommes politiques et plus ils lui sortent des yeux de capitaines accrochés à l’hameçon, et elle est aussi francophone. Avec une telle combinaison, Delhi dispose d’un redoutable utilitaire marketing. Capable même de s’encanailler, en début de parcours, avec la rédaction du groupe La Sentinelle ! Pas de doute, Mme. Singla a ce qu’il faut pour autant dorer les pilules que promouvoir les injections… Et puis, c’est connu de toutes les chancelleries, même si elle montre un peu les crocs avec les divers gouvernements, la presse locale, quand elle n’est pas complaisante, est plutôt fainéante. Ce n’est pas celle qui est portée à toujours chercher ce qui se passe en coulisses. Et, il s’y passe des choses…

Des choses comme les courriers que l’AMCCA, le syndicat du personnel navigant cabine (PNC) d’Air Mauritius adresse, le 2 février dernier, aux différentes instances pour leur demander d’éclaircir les implications des termes se trouvant dans le formulaire de consentement au vaccin. Demeurés lettres mortes. Aussi, dans un message en date du 24 février 2021, le syndicat avisait ses membres ne pas être en mesure de leur fournir les informations leur permettant de parvenir à une « informed decision » pour la signature ou non du formulaire de consentement à la vaccination. Les responsables du syndicat soulignaient, en outre, que leurs conseillers juridiques ont émis des réserves, considérant les clauses de non-responsabilité[1]disclaimer – comme étant inappropriées.

Il s’agit, en réalité d’une décharge. Alors que tout vaccin est présenté comme un acte de prévention de nature thérapeutique, ici l’Etat réclame d’être exonéré de toute responsabilité de complications éventuelles ou de décès pouvant survenir des suites de l’inoculation des doses d’immunisation. La décharge inclut même les fautes ou négligence qui pourraient être commises à l’encontre de la personne vaccinée qui s’engage à ne recourir à aucune réclamation.

Contrer le « Bat-Lamok »

Il est évident qu’avec de telles conditions, les PNC d’Air Mauritius, « frontliners » de toute première ligne, n’allaient pas se bousculer au portillon. Alors que ceux-ci restaient sur leur garde pour la plupart, le ministère de la Santé allait user d’un stratagème : ils allaient proposer le vaccin à l’ensemble du personnel de la compagnie d’aviation ! Pourquoi essayer de toucher quelques 200 membres d’équipage quand on peut proposer le vaccin à environ 3 000 personnes ?

Cette approche allait changer quelque peu la donne pour le gouvernement qui était en train, selon l’expression kréol, de « bat lamok ». Phénomène intéressant pour ceux qui étudient les comportements individuels dans les situations de crise sociale comme la guerre ou la pandémie : ce sont ceux qui sont éloignés du front qui sont les plus craintifs ! Et l’angoisse peut les pousser à prendre pour eux ce qui devrait être réservé à ceux qui combattent en première ligne…

Le patronat à la rescousse

« Un retard dans la vaccination anti-coronavirus ralentirait la relance », avançait il y a peu Alain Law Min, le DG de la Mauritius Commercial Bank Ltd. (MCB). « La vaccination est notre seule planche de salut », renchérissait Hector Espitalier-Noël, une semaine après. Le patron d’ENL, tout comme son homologue de la MCB, réalisent-ils qu’ils ont mis leur crédibilité au service d’un gouvernement qui a épuisé son crédit dans ce domaine ? En tout cas, ils ne sont pas de ceux qui évoquent de « nouvelles manières de fonctionner », de « changement post-Covid », de « new normal » et tout le toutim qui était à la mode au sortir du confinement en 2020. Hector Espitalier-Noël avouera même aspirer au « retour à la normalité ». Le gouvernement avait enfin trouvé ses meilleurs messagers : des employeurs convaincus sont plus à même de convaincre ces employés indécis pour leur santé mais résolus à conserver leur emploi !

Pour la rédaction d’Indocile, le silence de la compagnie d’aviation et des institutions aux courriers de l’AMCCA était l’indicateur qu’il se passait bien des choses dans les coulisses. Qu’il s’agissait de choses que le gouvernement était bien déterminé à taire en focalisant l’attention populaire sur le vaccin… Jusqu’à ce que survienne la panique issue de la découverte et la multiplication des cas locaux, justifiant le présent confinement.

Pour le gouvernement, la solution est inespérée : le meilleur argumentaire en faveur de la vaccination, c’est cette part de la population angoissée qui allait l’apporter. Aujourd’hui à Maurice, sans jeu de mots, on vaccine à tour de bras ! Nous en sommes au point où nombreux se font vacciner « under protest » plutôt que pas du tout. Et, ceux qui se sont déjà fait vacciner brandissent leurs cartes pour faire comprendre aux autres qu’ils ne seraient pas des patriotes, tandis que leurs compatriotes, plus conscients des clauses scélérates de la décharge, se moquent de passer pour des patriotes que le gouvernement prendrait pour des cons !

Des vaccins auxquels il manque l’essai de transition

Chez Indocile, on comprend qu’il se passe bien des choses qui ne s’expliquent que par ce qui s’est passé en amont. Pas qu’au plan juridique, mais aussi au plan scientifique et thérapeutique, et de même au plan diplomatique et politique : le problème est pluridimensionnel, il est d’ordre systémique. Il s’est passé des choses, comme en ce samedi 4 janvier où la European Pharmaceutical Review note sur son site que le All India Drug Action Network (AIDAN) se dit « shocked » que l’Inde « has given approval to Covaxin, a COVID-19 vaccine with a lack of peer reviewed safety and efficacy data ».

La controverse démarre ainsi en ce début janvier lorsque l’organisme de régulation approuve le Covaxin pour « utilisation restreinte dans des situations d’urgence dans l’intérêt public par mesure de précaution abondante, en mode essai clinique, en particulier dans le contexte de l’infection par des souches mutantes ».

C’était un premier pavé dans la mare pour le gouvernement de Modi, engagé à fond dans ce qui est désormais désigné comme la « vaccine diplomacy ». AIDAN est une association centrée sur les intérêts des patients et c’est un groupe de pression auquel les nombreux acteurs indiens du secteur pharmaceutique ne souhaitent pas se confronter.

Il faut savoir que l’industrie pharmaceutique indienne est très active depuis longtemps dans la production de masse de médicaments multiples pour le compte de nombreux laboratoires occidentaux. Le transfert de compétences a fini par doter l’Inde de ses propres laboratoires engagés dans la production de plus de 60% de la production mondiale de médicaments, dont ceux avec les nouvelles technologies vaccinales. Bharat Biotech compte à lui seul plus d’une dizaine de vaccins dans son portefeuille, comme celles des vaccins de type ARNm utilisés dans le cadre des traitements préventifs de la Cov-Sars 2.

Nous sommes bien dans le champ que l’on désigne comme « Big Pharma » et, compte tenu des revenus de ce secteur dans l’économie indienne, il fallait une réaction à la déclaration d’AIDAN. Bharat Biotech (BB), le fabricant du Covaxin, ainsi que le régulateur indien des médicaments défendaient le Covaxin, affirmant qu’il était « sûr et fournit une réponse immunitaire robuste ». C’est le même discours que nous tiennent les porte-paroles du comité national de communication sur le Covid-19. BB avait alors expliqué que les lois indiennes sur les essais cliniques permettaient une autorisation « accélérée » pour l’utilisation de médicaments après la deuxième phase d’essais portant sur des « besoins médicaux non satisfaits de maladies graves et potentiellement mortelles dans le pays »[2].

Adar Poonawalla, le DG et propriétaire de Serum Institute of India, fabricant du Covishield

Idem pour le Serum Institute of India (SII) dont le PDG Adar Poonawalla déclare, lors d’une conférence de presse le jeudi 14 janvier, que le SII « va essayer » de mener l’essai de transition » pour Novavax COVID-19 (un autre vaccin candidat de l’Inde) « en Février ». La production et le stockage des millions de doses de Novavax est prévue pour le mois d’avril.

Les experts, Indiens et étrangers, ne décolèrent pas, se demandant comment un vaccin pouvait être autorisé pour une utilisation d’urgence par des millions de personnes vulnérables alors que les essais étaient toujours en cours. A la BBC, AIDAN se disait « perplexe », incapable de comprendre « la logique scientifique » d’approuver « un vaccin dont l’étude était incomplète ». L’association avait fait part de ses « intenses préoccupations découlant de l’absence de données sur l’efficacité ».

C’est que les essais doivent se faire en trois phases et il manque aux vaccins candidats indiens la troisième phase, dite « essai de transition ». L’essai de transition est un essai supplémentaire effectué dans « une nouvelle région ou un nouveau pays » afin d’obtenir plus de données cliniques sur l’efficacité, l’innocuité et le dosage.

Autant pour le Covaxin et pour le Novavax, mais quid du Covishield ? Aucune différence. En fait le régulateur indien a accordé le certificat d’urgence à l’ensemble des vaccins indiens. Dans la foulée, la diplomatie indienne va oser sa position nationaliste, affirmant aux institutions internationales qu’elle n’a pas l’intention d’attendre l’approbation des organismes occidentaux pour poursuivre son programme de production en mode d’urgence sanitaire plutôt que d’attendre la complétion de la phase trois.

En somme, la conformité au protocole mondial d’approbation des vaccins a été bafouée et l’affaire a été résolue par la bravade de la diplomatie indienne et l’exercice de communication des producteurs indiens. Le 19 janvier, le gouvernement indien remettait ses « letter of comfort » aux fabricants. Les journaux indiens annonçaient que Bharat Biotechavait déjà entamé la production de 55 lakhs[3] de doses chez pour le « roll-out » de leur campagne de vaccination démarrant le 16 janvier et qu’il y avait une commande de 45 lakhs chez SII. De la production de SII, 800 000 doses étaient destinées à l’Indonésie, les Seychelles et l’île Maurice.

La première cargaison de Covishield pour Maurice a été embarquée à l’aéroport de Mumbai à bord d’un appareil Poseidon 81 de la marine indienne.

En dépit de ce qu’avaient annoncé les journaux indiens, nous savons que le SII en a produit bien plus pour les pays bénéficiaires. Car, au petit matin du 22 janvier, une importante cargaison est arrivée à l’aéroport Chhatrapati Shivaji Maharaj de Mumbai. Les manutentionnaires du fret ont travaillé sur une première expédition qui est parti à 06:40, destination Yangon, Myanmar. Il s’agissait d’un lot de 1,5 million de doses de Covishield. Soit presque le double de ce qui était destiné à l’ensemble des trois pays !

Le travail des manutentionnaires n’était pas fini pour autant : ils devaient cette fois préparer deux lots différents destinés aux Seychelles et à l’île Maurice. Un colisage plus complexe car les deux expéditions partant sur le même vol, il fallait que le premier destinataire obtienne sa cargaison à l’ouverture de la soute cargo.

Les vaccinés ont-ils été dupés?

Lors de la conférence de presse du 14 janvier, Adar Poonawalla avait expliqué que les pays bénéficiaires devaient prévoir une convention pour régulariser l’usage du vaccin au sein de leur population. C’est fort de cette convention que le fabricant indien finalisait donc son expédition du jour, que les ministres mauriciens sont ravis de réceptionner dans la soirée du 22 janvier en compagnie de la ravissante Mme. Singla.

La suite on la connaît : nous l’avons relaté dans notre article publié le 26 février. Face au silence du gouvernement, nous avons opté pour la publication motivée par l’intérêt public. L’usage qu’en font les animateurs de la partisannerie politique locale n’est pas de notre ressort. Ce que nos lecteurs doivent savoir c’est que la presse qui prête foi aux déclarations officielles n’est d’aucune utilité sociale. C’en est même une nuisance car elle contribue au profit d’un personnel politique qui peut faire dans l’opacité tout en se réclamant de la transparence.

Notre intérêt désormais est de savoir qui des parlementaires de l’Opposition, ou parmi les backbenchers, obtiendra du gouvernement qu’il révèle les termes de l’accord entre le gouvernement mauricien et celui de l’Inde pour la réception des vaccins au stade de tests incomplets. Ce gouvernement a-t-il convenu de renvoyer les données personnelles des vaccinés mauriciens vers le SII ? En pareil cas, ce serait en vertu de quelle législation ou décret ? Et plus que tout : le gouvernement a-t-il, ou non, dupé ceux qui se sont fait vacciner sans qu’ils ne sachent qu’ils se faisaient inoculer un produit qui n’avait pas complété sa phase de test ? Car, le problème n’est pas seulement le fait que le gouvernement ait cherché à enlever tout recours aux vaccinés, mais ce serait plutôt et surtout celui de leur avoir caché ces informations. Nous expliquerons dans un prochain article comment le caractère dolosif d’un tel procédé viendrait à vicier le contrat.

Que le ministre de la Justice s’agite, cela se conçoit bien désormais. Mais, Badhain aura beau faire le pitre, à l’Assemblée nationale, il n’a pas voix au chapitre. Plutôt que sur Facebook, convaincre son auditoire, ira-t-il recourir en justice et s’éprouver au prétoire ? Tout le reste est dénué d’intérêt ; sauf pour ce journalisme qui n’a plus de défense face à la contagion de la démagogie politique.


[1] Waiver, Release and Hold Harmless Agreement

3. (a) I acknowledge that as a result of the vaccination certain risks are involved and that any adverse event following immunisation which might include injuries and death could occur to me. I accept and voluntarily incur and assume all risks of any adverse event following immunisation, including injuries and death that arise during or result from the administration of the vaccine ;

5. I waive all claims against the State of Mauritius, the Global Health Partnership also known as GAVI Alliance, donor States or organisations, mnufacturers of the vaccine and their agents or préposés, for any adverse event following immunisation, including injuries and death, whether known or unknown, foreseen or unforeseen, which arise from during or as a result of the vaccine, regardless of whether or not caused in whole or part by the negligence or other fault on their part, I release and forever discharge them from all claims.

6. I agree to idemnify and hold the parties harmless from and against any and all losses, liabilities, damages, costs and expenses, including but not limited to reasonable attorney’s fees and other litigation costs and expenses incurred by any of these parties as a result of any claims or suits that I (or anyone claiming by, under or through me) may bring against any of them to recover any losses, liabilities, costs, damages or expenses that arise during or result from the vaccine.

[2] Bharat Biotech avait promis de fournir des données sur l’efficacité du vaccin d’ici février, ce qu’il a finalement fait.

[3] 1 lakh = 100 000. Ce qui veut dire que le gouvernement indien a passé commande de 4,5 millions de doses, dont 800 000 destinés aux trois pays.


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3 commentaires sur « Covishield : une population menée à la décharge ! »

    1. Nous vous remercions de votre appréciation. L’article dont il est question est ce qu’on appelle une « enquête »; douze minutes de lecture. Et dans cette publication nous mettons aussi l’actualité en perspective. Par conséquent, vous ne trouverez pas ici ce que l’on désigne comme des « brèves ». Il n’y a pas de problème à apprécier son MacDo, mais il n’est pas raisonnable de réclamer cette formule au resto…

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