Covid-19 : La propagande à l’épreuve des procédures

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  • Les implications réelles des communications du syndicat du personnel navigant d’Air Mauritius aux ministres
Ceux qui adoptent des attitudes irresponsables sont désignés “Cocovid” par le directeur de la Santé, le Dr. Vasantrao Gujadhur (au bas à droite), à gauche le ministre de la Santé, le Dr. Kailesh Jagutpal, qui prétendait que les autorités mauriciennes étaients prêts à faire face au Covid-19. En haut, des irresponsables, avec statut de Premier ministre et Premier ministre adjoint, faisant la conversation, sans protection aucune, avec des passagers installés au centre de quarantaine de Quatre-Soeurs.

La communication adressée aux ministres de la Santé et du Travail, ainsi qu’au Premier ministre, par l’AMCCA, le syndicat du personnel navigant cabine (PNC) d’Air Mauritius (MK), est l’illustration parfaite de l’embarras qui survient quand les faits viennent contredire la propagande, notamment celle d’une prétendue gestion efficace de la pandémie du Covid-19. Dire que Maurice n’aurait pas enregistré de cas positif de Covid-19 depuis le mois de mai est un fait. Qu’il convient, toutefois, d’énoncer avec de grandes précautions. De celles que le gouvernement du jour ne sait pas prendre, tant il est à fond dans sa propagande faisant accroire qu’il aurait correctement géré la pandémie depuis la fermeture des frontières. Or, nous donnerions dans la désinformation que de faire écho à cette flagornerie dont ne s’embarrasse pas le chef du gouvernement.

Il est apparent aujourd’hui, que les formations dispensées au personnel des établissements hôteliers et des réceptifs relèvent davantage d’une conscientisation aux gestes barrières plutôt que d’une mise en œuvre effective d’une procédure d’opération normalisée (standard operating procedure – SOP) au plan national. Au niveau de l’aérien, l’AMCCA, pour résumer, a fait ressortir un certain nombre de points critiques qui, soit n’ont pas été intégrés, (ou en ont été graduellement enlevés), aux protocoles de l’opérateur aérien pour la limitation des risques éventuels de contamination à bord de ses appareils. Habitués aux opérations normalisées, précisément documentés dans des manuels validés par les autorités de l’aviation civile, les PNC savent mieux que d’autres repérer les faiblesses aux divers aspects de la sécurité à bord où ils se retrouvent confinés avec les passagers dans la cabine.

Comme nous l’avons indiqué à maintes reprises, les PNC sont effectivement ceux qui servent aux avant-postes dans les circonstances actuelles pour maintenir le pays en contact avec le monde extérieur. Alors qu’ils sont les premiers à se retrouver au contact de passagers potentiellement positifs, ces premiers véritables frontliners ne sont jamais considérés comme tels par les autorités sanitaires ou les médias traditionnels.

Au moment même où nous faisions état des relâchements des mesures pour préserver une zone étanche à bord pour l’équipage, ainsi que de l’introduction subreptice des repas chauds, les responsables des opérations aériennes ont émis une note de service aux PNC évoquant des sanctions éventuelles à l’avenir car, quelques-uns d’entre eux auraient été aperçus dans des lieux publics alors qu’il était attendu qu’ils soient en auto-isolement chez eux. Cette note de service en date du 1er octobre, cite « the Authorities » pour faire mention de certains membres d’équipage qui n’aurait pas été joignables durant la période d’auto-isolement et « Some others were found in Supermarkets and gatherings during the Self-Isolation period ».

Que signifie cette note de service ? Il importe de la considérer d’abord à la lumière d’un courriel de l’AMCCA adressé au ministre de la Santé en ce même 1er octobre ! Et aussitôt la note de service sent l’opération de communication à plein nez ; cette note de service, reprise par le Défi, participe à l’enfumage médiatique. C’est une opération médiatique qui ressemble à celle de la présentation – par le même groupe de presse – des allocations conséquentes d’un membre du personnel navigant pour faire l’amalgame avec l’ensemble des PNC qui, de toute évidence, n’obtiennent pas de salaires à six chiffres ! Sauf que cette fois, à force de démonstrations qu’ils étaient à côté de la plaque, de nombreux titres de presse finissent par évoquer le courriel adressé au ministre de la Santé. C’est ce qui va donner une autre opération de rattrapage du groupe DéfiMédia qui, tentant de faire bonne mesure, a finalement invité des membres du syndicat sur son plateau.

Inaction et transfert de blâme

Mais, à bien considérer, cette note de service constitue essentiellement un aveu d’inaction de la part de la direction des opérations aériennes (Flight Ops). Rien de moins ! Explications : cela veut dire que les Flight Ops, département sous la responsabilité du commandant Alain Leung, et plus particulièrement la section relevant des opérations cabines (Cabin Operations) n’a pris aucune disposition pour corriger les faiblesses notées au cours des opérations effectuées après le modus operandi intervenu en avril entre l’AMCCA et Raja Buton, le DG intérimaire qui fait office de « accountable manager » auprès des instances internationales. En somme, la direction des Flight Ops aurait dû avoir effectué les analyses des faiblesses notées durant les opérations au cours de ces nombreux mois et procédé aux corrections qu’elles nécessitent.

Il y a pire ! Car, il faut considérer les éléments que l’AMCCA portaient à l’attention des ministres. « Our sanitary protocols need to be more rigid and efficient to be free of loopholes to reach our goal consistently with time as the opening of borders will bring definitely with it more contamination risks with more people entering and leaving the country », expliquaient les responsables du syndicat. Concrètement, ils faisaient ressortir le fait que la ré-introduction du service des repas chauds signifiait un contact accru avec les passagers alors que le service minimal minimisait les risques de contamination éventuelle. En outre, des membres d’équipage positionnés dans l’appareil pour effectuer les vols retours1 se retrouvent avec d’autres passagers potentiellement porteurs du virus puisque la compagnie a repris la vente des billets en classe affaires.

Ainsi, il est désormais avéré que ceux responsables des opérations aériennes chez Air Mauritius ont graduellement enlevé les mesures qui avaient pourtant bien été prises en vue de limiter le contact entre les PNC et les passagers à bord des vols de rapatriement. Indocile n’a pas manqué de faire état de cette dégradation des mesures prises initialement. Et surtout de poser les questions au sujet de ces décisions : Qui sont ceux qui ont autorisé ces assouplissements ? Pourquoi ces assouplissements n’ont jusqu’ici pas été documentés ? Qui sont ceux responsables de la mise en danger de la vie d’autrui : les administrateurs ou les responsables des opérations qui n’ont pas su leur indiquer la ligne que des comptables n’étaient pas aptes à franchir ?

Or, ces questions engageant la responsabilité des managers des Cabin Operations au sein des Flight Ops, Indocile les avait spécifiquement posées le 28 septembre. Et la réponse du management des Flight Ops s’est simplement traduit par la note de service se résumant au transfert des blâmes. Cette note sort le 1er octobre, soit deux jours après l’article d’Indocile sur ce que nous qualifions de vols dans des « conditions hasardeuses ».

Quand la communication institutionnelle s’autorise des coups tordus, cela n’augure rien de bon au plan opérationnel. C’est plutôt indicatif d’une tendance à tirer au flanc. Trait caractéristique des départements menés par des individus à la rigueur variable… Comme nous en avons fait mention précédemment, Alain Leung avait déjà montré qu’il pouvait traîner des pieds pour l’adoption de strictes mesures de sécurité, allant même jusqu’à inviter l’équipage à déroger aux consignes des autorités sanitaires mauriciennes2. Ses accommodements lui ont pourtant valu une suspension après s’être fait épingler par la direction de l’aviation civile3, mais son repêchage n’a ni incité la direction générale à davantage de circonspection le concernant, encore moins compromis sa promotion au poste de vice-président exécutif (EVP) des opérations aériennes. A l’opposé, considérant peut-être ses collègues PNC plus corvéables, il s’est montré plutôt prompt à leur appliquer des mesures restrictives4.

Au-delà des considérations opérationnelles, les responsables d’AMCCA ont aussi fait comprendre aux ministres que de nombreux membres d’équipage étaient sollicités pour opérer des vols avant le terme de leur auto-isolation. Les extensions que cela implique ont un impact sur leurs vies familiales et sociales, et certains d’entre eux sont contraints d’effectuer des courses eux-mêmes. Ces disponibilités pour le travail s’étendent pour certains au-delà même de la période de quatorze jours convenue pour les passagers dans les centres d’isolation. Ce qui équivaut pour les PNC, – déjà soumis à une réduction de leurs rémunérations et l’élimination de toutes les compensations financières pour les contraintes liées à leur métier en raison de la mise en administration volontaire de la compagnie – d’être aussi privés de conditions de vie un tant soit peu décentes.

Covid-19: Où étaient les manuels?

Malgré les difficultés mentionnées plus haut, Air Mauritius demeure néanmoins l’unité opérationnelle la plus normalisée de Maurice. Toutes les opérations font l’objet de procédures préalablement documentés dans d’épais manuels suite à des évaluations de risques. On peut dès lors se demander comment cela se passe pour les secteurs dont les opérations ne sont pas soumis à des cadres aussi scrupuleusement normalisés. Le naufrage du Wakashio, ainsi que celui du Sir Gaëtan Duval, nous donnent une bonne idée des conséquences de certains relâchements pour des opérations normées. Et ce n’est qu’à cette aune que les gens sérieux évaluent la prétendue gestion efficace du Covid-19 par le gouvernement.

Soyons clairs : pour prétendre un tant soit peu que la pandémie du Covid-19 a été bien gérée à Maurice requiert la démonstration de ladite gestion. Le fait qu’il n’y ait aucun cas positif enregistré durant quatre mois ne vient aucunement établir la qualité de la gestion de la pandémie. L’absence de cas répertoriés ne fait toujours pas l’objet d’explications plausibles de la part des autorités. Une telle situation n’écarte pas la possibilité que des cas éventuellement positifs n’ont pu être identifiés jusqu’ici. Les personnes asymptomatiques ne pouvant savoir qu’ils sont porteurs du virus, n’ont aucune raison de se signaler aux services de santé.

C’est à ce type de conclusions que les plus prudents parviennent, plutôt que d’ânonner les fanfaronnades des partisans fanatisés du MSM. Le journalisme ne consiste pas à reprendre les antiennes de dirigeants politiques incapables de modération. A dire vrai, ce sont surtout les exemples indiquant une gestion calamiteuse qui abondent. Pas seulement parce que le psychiatre Jagutpal ait osé la folie de placer le Premier ministre et son adjoint dans un centre de quarantaine pour papoter avec des passagers placés en isolation. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, Indocile demeure le seul média à faire part de cette hérésie attestant des inconséquences des titulaires de ces fonctions ministérielles. Et pour cause : la presse généraliste était ravie de pouvoir en rendre compte, sans même réaliser que ce cirque médiatique mettait tout le monde en danger !

Il n’y a même pas lieu de revenir sur l’épisode de la fermeture des frontières survenant après le retour des proches du Premier ministre. Le fait majeur de Rajen Narsinghen aura été de réduire le gouvernement à de tristes minus préférant des arrangements hors des tribunaux plutôt que de se fier à leurs bons droits. La question semble désormais réglée pour l’entourage du Premier ministre : entre le grossier et le grotesque, Pravind Jugnauth ne choisit pas et se la joue bravache. En effet, alors qu’il n’est toujours pas parvenu à s’expliquer sur le sujet, l’outrecuidant a tenté la menace envers ceux qui s’en prendraient à sa famille !

Au-delà de ces considérations qui n’ont d’intérêt que pour ceux qui s’abreuvent de partisanerie, évoquer une gestion de la pandémie requiert une révision rigoureuse et indépendante des procédures la régissant. Si tant est que celles-ci aient effectivement été établies au préalable ! Car, pour une telle révision, il faudrait commencer par examiner un manuel établissant un plan de contingence qui aurait été élaboré par le directeur de la Santé, le Dr. Gujadhur. A défaut d’un tel manuel, le fameux directeur de la Santé ne serait qu’un charlatan qui a su jouer de son pathos pour escamoter ses manquements. Des manquements qui ont exposé des professionnels de santé, les forces de l’ordre et des employés de nombreux services aux risques de contamination. Et, dans ce contexte, la déclaration du ministre de la Santé, à l’effet que son ministère et les autorités mauriciennes étaient prêts à faire face au Covid-19, équivaudrait tout simplement à avoir induit l’Assemblée nationale en erreur !

1Dans le cas des vols consécutifs, dits « back to back », l’appareil effectue le vol retour avec une deuxième équipe de PNC à bord du même appareil. Ce personnel doit obtenir un temps de repos et de sommeil dans des conditions réglementaires.

2Le 22 mars dernier, Alain Leung émettait une note à l’équipage leur indiquant que « […] the Marks & Spencer shop next to the hotel is open and caters for food and basic amenities ». Ceci alors que les autorités sanitaires avaient prescrit l’interdiction de toute sortie au personnel navigant!

3La Direction de l’Aviation Civile (DCA), alors sous la tutelle du britannique Garth Gray, avait diligenté un audit indépendant après avoir constaté des irrégularités dans le processus de certification de Pramil Banymandhub et d’Alain Leung Ling Wah. Ces deux commandants de bord qui s’étaient mutuellement certifiés avaient été suspendus de leurs fonctions.

4Par exemple, la révision unilatérale des allocations repas des PNC, contraignant ceux-ci à subventionner leurs repas, une obligation d’Air Mauritius pour les missions que son personnel navigant effectue à l’étranger. Les coûts des repas sont remboursés aux PNC au bout de deux mois !


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