Sabres au clair dans une économie exsangue

Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Temps de lecture : 5 minutes

Le défilé motorisé de mouvements nationalistes hindous organisé le 2 octobre pour rejoindre Grand-Bassin n’est pas qu’un épiphénomène venu marquer un instant d’agitation sectaire dans la vie sociale du pays que l’on prétend « paisible » et même « paradisiaque ». Le message est on ne peut plus clair : Khemraj Servansingh a beau être doté des pouvoirs constitutionnels de sa charge de commissaire, ce n’est pas lui qui commande la police. Au-delà du défi public posé à l’autorité du commissaire de police, ceux qui sont derrière les agitateurs de sabres sont dans la tentative de cerner les hindous modérés en misant sur le caractère fédérateur de la peur d’un péril imminent qui serait issu de la réaction de mouvements ethniques rivaux. Un fantasme certes, mais la provocation sert bien à inciter à l’affrontement.

Le défilé du 2 octobre rappelle le défilé de 2019 partant du lieu dit Caro-Lalo jusqu’à Chitrakoot. Ceux qui s’étaient mis à la suite du prédicateur et de l’agitateur islamisant Javed Meetoo avaient semé la pagaille dans la nuit du 6 juin au creux de la Vallée des Prêtres. Nous avions alors fait le choix éditorial d’expliquer avec un plan de cette région comment des répliques musclées aux actes d’intimidation auraient pu embraser la situation en opposant des enclaves ethnicisés qui se sont constitués sur l’unique route menant jusqu’au tréfonds de la Vallée des Prêtres. Ces dispositions socio-géographiques sont rendues plus compliquées par une population à forte concentration musulmane sur toute la conurbation englobant Vallée Pitot, Plaine-Verte et Camp Yoloff. Pour quelques haut-gradés dont la formation leur vaut de comprendre le danger de la guérilla urbaine, le personnel politique, toutes formations confondues, a tort de ne pas considérer les risques à la paix publique que cette situation représente.

L’incident du 6 juin 2019 avait suscité l’irritation de quelques hauts gradés aux Casernes Centrales où on nous expliquait que cela voulait dire que, soit le service d’intelligence avait été pris à défaut ou, au contraire, que Javed Meetoo était en mission commandée avec des assentiments tacites au plan politique. Ce qui, dans un cas comme dans l’autre, jetait un sérieux discrédit sur la force policière. Sans que cela ne disconvienne à Mario Nobin, alors le titulaire au poste de commissaire de police.

Javed Meetoo, alias Abu Junayna, se présentant comme un partisan d’une transformation de Maurice en « Etat islamique », s’était pourtant illustré, un an plus tôt, en mobilisant une foule hostile pour intimider les participants à la marche en faveur de la communauté LGBT. Ceux chargés de l’enquête lui avaient alors accordé seulement un avertissement. Lui dotant ainsi de la crédibilité pour accroître le nombre de ses suiveurs disposés à fonctionner comme un gang pour terroriser les habitants de la partie supérieure de la Vallée des Prêtres, un quartier fortement ethnicisé avec une population à majorité hindoue.

C’est quand on dresse ce parallèle, fondé sur des faits qui demeurent aussi inexpliqués qu’impunis, que l’on prend la réelle mesure de l’humiliation infligée à Khemraj Servansingh. Siva Coothen, le porte-parole de la police aura beau justifier son salaire en débitant sa litote, c’est le communiquant le plus dévalorisé de la place. Pour s’en rendre compte, il suffit de se poser une seule question : qui reprochera à Bruneau Laurette sa décision d’annuler sa marche du 8 novembre dans la circonscription de Pravind Jugnauth ?

Le message est on ne peut plus clair : Khemraj Servansingh a beau être doté des pouvoirs constitutionnels de sa charge de commissaire, ce n’est pas lui qui commande la police.

Cette décision est venue conforter l’image de l’expert en matière de sécurité qui, mieux que les galonnés de la police, évalue correctement le danger que représente une confrontation avec quelques trublions tellement braves qu’ils s’abritent derrière leurs masques. Le problème, ce n’est pas tant la panique éventuelle des manifestants pacifiques face à l’intimidation armée, mais plutôt la témérité de ceux qui pourraient poser une opposition musclée à la racaille des agitateurs de sabres.

La décision de Laurette est venu ainsi conforter l’image de l’organisateur de marches citoyennes dont il entend préserver le caractère pacifique. Par là-même, le poing levé devient incontestablement le symbole d’une volonté à concrétiser l’espoir de ce « mauricianisme » dont il souhaite l’avènement. Ce qui contraste bien singulièrement avec les replis identitaires de Pravind Jugnauth qui s’en va quémander du soutien sur les lignes castéistes.

Dans une confidence qu’il faisait à l’auteur de ces lignes, Navin Ramgoolam nous avouait qu’il n’avait pas de réelle ambition politique, jusqu’à ce qu’il soit confronté à la mesquinerie d’Anerood Jugnauth. Ce dernier s’était opposé à ce que François Mitterand rende hommage à son père lors de sa visite à Maurice. Quand il s’y est vu contraint par le chef de l’État français, le père Jugnauth se serait alors montré avare de courtoisie envers le fils Ramgoolam et ce fut l’élément déterminant qui a projeté ce dernier dans l’arène politique.

Les agitateurs de sabres ont entamé la branche jusqu’ici salutaire pour tout gouvernement : la paix sociale.

Bruneau Laurette ne remerciera jamais assez son Premier ministre de l’apport de réactions imbéciles de la valetaille qui le conseille. Laurette n’est pas le fils de quelque notable en politique que le fils Jugnauth, ou la ligue de la progéniture ministérielle, pourraient piquer au vif au registre des héritages de la partisanerie ethnocentrée. L’activiste n’envisageait pas un destin politique mais, toute l’énergie déployée pour le contrarier lui aura procuré un crédit d’image oscillant entre la ferme conviction et la responsabilité bienveillante. Nous sommes certainement bien éloignés du Monsieur-Coup-de-Poing qui agite le sommeil de Pravind Jugnauth. Le cauchemar mérite sans doute une psychanalyse mais, même si la perspective n’attristerait pas toute l’île Maurice, il n’y a jusqu’ici aucune indication de quelque vœu de l’activiste à refaire le portrait du Premier ministre.

Au-delà des bénéfices politiques engrangés par Bruneau Laurette, il faudrait surtout considérer les pertes enregistrées par ceux qui lui font obstacle. S’il ne parvient à sanctionner et se défaire des éléments postés pour l’entraver, Khemraj Servansingh ne vaudra même pas un eunuque émasculé pour protéger cette démocratie violée constamment au parlement comme dans la rue. Les plus optimistes pourraient trouver qu’un sursaut d’orgueil est possible pour que le titulaire se montre plus résolu à préserver l’honneur de sa fonction. Partant de là, la charité commande que l’on s’abstienne du point de vue des pessimistes !

Au plan politique, avec les propos oiseux qu’il tient dans des assemblées ethno-castéistes dont les leaders semblent le soutenir, l’argumentaire du Premier ministre, tant il est spécieux, ne convainc personne. Les agitateurs de sabres ont entamé la branche jusqu’ici salutaire pour tout gouvernement : la paix sociale. Avec la stabilité politique, ce sont les deux véritables facteurs qui ont jusqu’ici inspiré confiance aux investisseurs.

S’il y a chez les Mauriciens assez de partisans fanatisés du MSM pour se voiler la face tandis que les autres continuent de soupirer leurs agacements, il faut néanmoins compter avec la clairvoyance des diplomates en poste dont les avis influencent ceux qui concrétisent ce fameux « investissement étranger » avec l’apport de leurs deniers. Et il faudrait que ceux-là soient conquis par le charme foudroyant de Pravind Jugnauth pour venir spéculer rien qu’à cette bourse qui n’a pas fini d’enregistrer le désinvestissement étranger. Rappelons que Macky Sall, le président du Sénégal, n’a pas attendu que l’UE se décide à placer la juridiction mauricienne dans sa liste noire pour mettre un terme à ses accords fiscaux avec le « paradis » de l’océan Indien. Dès que Pravind Jugnauth lui a souri, le Sénégalais s’est carapaté : il a bien vu les dents qui couraient après son biftek !

Pravind Jugnauth comprend parfaitement le danger que la situation sociale et politique actuelle présente à notre économie. C’est bien pour cela qu’il agite triomphalement l’octroi d’une nouvelle ligne de crédit de Rs. 12 milliards du gouvernement indien. A ce nouvel endettement auprès de Delhi, il va falloir ajouter les dispositions de l’Arabie Saoudite pour financer, grâce à l’excellence de l’ambassadeur Soodun, la construction… de madrassas !

En d’autres termes, la relance du tourisme se fera avec la promotion des trois bouteilles de whisky de Padiachy et les formules de quatorzaine d’Obeegadoo. Celle de l’économie se fera avec ceux qui vont investir dans les dérives nationalistes du fascisme local. La bonne tenue corporate sous les nouvelles configurations économiques consistera à porter, avec les chaussettes vertes de Bin-Salman, le turban safran de Modi. Pour remplacer demain les sabres avec des AK-47, on ne se montrera pas regardant sur les accoutrements.

Joël TOUSSAINT


Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.