Entre la dette et la drogue

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Quatre intervenants au débat public, en l’occurrence les conseiller financiers Patrick Belcourt, Philippe Forget et Amit Bhakirta, ainsi que Satyajit Boolell, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), ont attiré l’attention de la médiasphère sur quelques considérations urgentes liées au secteur financier. Sur son site cette semaine, Belcourt appelle même à la reprise des travaux parlementaires, et il est dommage que la presse grand public n’y accorde pas l’importance que cette prise de position mérite. Il est cependant clair que d’autres acteurs du secteur financier évoquent la nécessité d’une mise en œuvre effective des instruments garantissant une réelle transparence dans notre secteur financier. Les deux considérations, financière et juridique, se rejoignent dans une coïncidence malheureuse car ils pointent au même moment dans la direction d’une même faiblesse institutionnelle : l’incapacité des instances régulatrices d’assumer les responsabilités attendues d’elles.

« Pas de relance sans transparence », déclare sans ambages le candidat malheureux de la circonscription No. 19 sur son blog cette semaine. Inscrit en politique depuis la dernière campagne électorale, Belcourt fait figure d’atypique autant dans le secteur bancaire que celui de la politique. Il joue l’authenticité au point de laisser transparaître ce tiraillement entre ses discours volontaristes qui parlent aux électeurs des quartiers périphériques de Rose-Hill et la modération acquise lors de sa formation aux métiers de la finance en Europe. Aussi, la formule de ce diplomate de la finance est à prendre comme un avertissement auquel on devrait accorder la meilleure attention.

En septembre, Belcourt faisait un plaidoyer pour l’émergence de nouvelles solidarités et mettait en garde contre une catastrophe économique et un désastre sociologique. Il y a deux semaines, il arguait dans Business Magazine que les investisseurs qui ont choisi la juridiction mauricienne en étaient forcément les meilleurs ambassadeurs dans la mesure où ils étaient les plus aptes à convaincre leurs pairs de l’intérêt de celle-ci. Partant de là, il donnait à comprendre que les autorités locales n’avaient pas été bien inspirées de garder ces investisseurs éloignés du territoire alors qu’ils en avaient fait autant leur résidence fiscale que leur lieu de vie, investissant même dans la nationalité faisant partie de l’incitation de l’État mauricien pour attirer les étrangers.

En raison sans doute de sa constance et de sa cohérence, le néophyte en politique a bel et bien été entendu, puisque Steven Obeegadoo, le nouveau titulaire au Tourisme, s’est faufilé dans la brèche pour reprendre le discours avec l’afféterie dont il fait commerce mais dont on sait qu’elle n’est pas exempte de ces rudesses émanant du mépris de classe. Son bras ne s’est-il pas abattu sur les bicoques des squatteurs avant même qu’il n’ait pu formuler quelque politique en matière de logement social ? Il est vrai que les avortons du MSM, à l’exception de quelques travaillistes sans clés ni têtes, sont essentiellement le produit de la fécondation des fivettes prélevées sur les flétrissures du militantisme mauve. Aussi, pour faire bonne mesure, on pourrait trouver que le cerveau lent d’Obeegadoo apporte un semblant d’activité au gouvernement acéphalique de Pravind Kumar Jugnauth.

Philippe Forget, autre banquier actif (qui, après s’être lui-aussi essayé en politique s’est finalement résolu à exercer de l’influence dans les médias), en a remis une couche mercredi. En exposant quelques chiffres, il est venu rappeler que les contraintes liées au Covid-19 ajoutent aux effets des tendances actuelles plutôt que d’en être les causes. Les décisions prises antérieurement avaient déjà impacté la situation économique avec, en particulier, une dette publique devenue une énorme hernie que traîne le gouvernement de Pravind Jugnauth.

Le GAFI se préoccupe des dérives mauriciennes en matière de blanchiment d’argent tandis que le discours institutionnel reste en mode « No problem in Mauritius ».

Amit Bakhirta, le CEO d’Anneau, résume parfaitement les errances du moment dans sa contribution au Défi Economie : « En bref, lorsqu’une banque centrale achète une obligation d’État à 10 ans, cet argent apparaît dans le système sous forme de nouvelles réserves bancaires. Beaucoup d’entre nous ont appris en économie de premier cycle que cet argent neuf devrait être inflationniste. La nuance critique, cependant, est que ces réserves n’ont pas coulé dans l’économie réelle ».

Il cite à bon escient Ernest Hemingway, « La première panacée pour une nation mal gérée est l’inflation de la monnaie ; la seconde est la guerre. Les deux apportent une prospérité temporaire ; les deux apportent une ruine permanente. Mais les deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques ». Et il prévient que « Si nous devons faire face à une période de deux ans d’afflux de devises modérées (cela devient de plus en plus notre scénario de référence), le discours du jour ne tournera pas autour de la prévoyance, mais plutôt d’éteindre un incendie, ce qui est rarement aussi agréable ». La boucle est bouclée.

Contrairement au Dr. Padayachy qui peut sortir ses salades amphigouriques à des reporters peu scrupuleux en matière de vérification, Belcourt, Forget et Bhakirta sont en prise directe avec des clients qui comparent les avantages de multiples juridictions plutôt que de gober les bobards marketing de l’Economic Development Board (EDB) et les auto-congratulations qu’affectionnent les narcissiques qui sévissent en politique.

Dans une récente vidéo mise en ligne, le DPP s’est évertué, pour sa part, à mettre en lumière la relation entre le narco-trafic et le monde financier pour faire comprendre pourquoi les organismes régulateurs du secteur financier devraient s’atteler à leurs tâches. Au-delà des mises en garde des banquiers les plus réalistes, Satyajit Boolell a abordé la chose en procureur conscient des délits dont on le prive. En somme, il met le doigt sur la situation particulière de Maurice où le Groupe d’Action Financière (GAFI-FATF) de l’OCDE se préoccupe des dérives mauriciennes en matière de blanchiment d’argent tandis que le discours institutionnel reste en mode « No problem in Mauritius ».

Il n’y a pas lieu de chipoter selon ses affinités partisanes : que nous ayons une économie mafieuse relève de l’évidence. Quand l’Inde voit arriver de Maurice le financement d’actes subversifs tandis qu’un de ses truands déleste deux grandes banques mauriciennes de quelques millions de dollars, c’est clair que la juridiction accueille des parias venus y faire leur razzia. On y vient d’Angola pour y placer de l’argent, alors qu’il est connu que quelques individus alors proches du pouvoir de Dos Santos ont mis l’économie de ce pays à genoux. A Maurice, on le sait désormais, l’exercice du « due diligence » se fait au coup d’œil ministériel.

Nous avons aujourd’hui une économie qui oscille entre la mauvaise gouvernance et le crime organisé

Nigel Soobiah, le Mauricien du clan Gambino, revient au pays sans avoir à rendre compte devant la justice de son rôle dans l’affaire des Amsterdam Boys. Le père, Soo Soobiah, ancien haut-commissaire de Maurice à Londres et ambassadeur accrédité au Vatican sous la primature d’Anerood Jugnauth, le Mentor des parlementaires locaux, avait pourtant formulé une demande de protection auprès des autorités mauriciennes. Mais l’homme est à ce point assuré de n’être point inquiété qu’il se permet de téléphoner à L’Express pour faire part de son mécontentement des incidents survenus à bord de son vol. Qui dit mieux ? Glenn Agliotti, peut-être.

Agliotti, c’est le corrupteur du défunt Jackie Selebi, cet ancien chef de la police sud-africaine allait devenir le chef d’Interpol pour l’Afrique. Agliotti, c’est aussi un des planificateurs du meurtre de Brett Kebble, un multimillionnaire du secteur minier sud-africain. Agliotti avait élu domicile à Maurice. Il aura suffi que sa femme, dont il était officiellement divorcé, fasse une demande auprès du bureau du Premier ministre pour qu’elle obtienne le statut de résidente. Et on ne sait par quelle opération de simple d’esprit elle parvint à en faire profiter son divorcé de mari.

Un peu plus de trois décennies plus tôt, l’ancien juge Maurice Rault s’employa à démontrer les aspects structurels du trafic de stupéfiants à Maurice. Il mit ainsi au grand jour l’articulation entre la pègre et des responsables institutionnels, en l’occurrence des complicités au sein de la police et même de l’administration de la justice. Malgré tout le show de la dernière commission d’enquête sur la drogue, le commissaire Lam Shang Leen n’est pas parvenu à démontrer ces articulations systémiques.

Il est curieux que cette fameuse commission n’ait pas cherché à déterminer le coup fumeux du « suicide » du constable Hurreechurn qui se serait pendu au lavabo de sa cellule où la caméra vidéo ne fonctionnait pas. C’est quand même cette affaire qui nous vaudra le départ de Me. Hervé Lassémillante et de ses deux collaborateurs de la Commission des Droits de l’Homme, dans le sillage des entretiens téléphoniques entre Me. Marie-Lourdes Lam Hung, l’adjointe au commissaire des Droits de l’Homme, et Mario Nobin, le commissaire de police. Comme nous l’avons révélé, contrairement à ce que toute la presse avait annoncé au sujet de son arrestation à l’aéroport, le constable Hurreechrun a été appréhendé à son domicile à Rivière du Rempart. Qui sont ceux qui au sein de la police ont pu diffuser cette fausse information à la presse ?

Au-delà de ces interrogations, il y a le fait que l’ancien patron de l’ADSU ait été muté à la prison avant d’être fait conseiller au bureau du Premier ministre. Auquel s’ajoute le fait que le poste de commissaire des prisons est allé à l’ex-commissaire de police Nobin. Faut-il alors n’accorder aucune attention à leurs ex-collègues qui estiment que le pouvoir case ceux qui en savent beaucoup à des postes où ceux qui en savent encore plus sont maintenus au silence ?

Tout bien considéré, nous avons aujourd’hui une économie qui oscille entre la mauvaise gouvernance et le crime organisé. C’est là, au niveau de ces deux indicateurs, que l’on devrait s’attendre que le gouvernement fournisse les preuves de son engagement à assainir une situation économique balisée par l’endettement et le financement des narcotiques. Mais, le Premier ministre ne craint aucunement de paraître trivial en y allant de sa resucée où il est question de « kas lérin la mafia ». Il est à ce point crédible que les « insignifiants » des réseaux sociaux lui renvoient des photos où il est en compagnie d’individus que le savoir populaire associe à la pègre.

Pour le traitement de la dette, l’insolence du net nous renvoie l’image d’un gouvernement pas très net. Ce qui fait bien comprendre que la population a la moutarde qui lui monte au nez car, elle ne devient pas entièrement aveugle pour peu qu’on lui jette de la poudre aux yeux.


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