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Assignés à résidence après chaque vol, 40 % des PNC en difficulté pour l’auto-isolement
Un mois après la reprise des vols commerciaux, les PNC et les pilotes d’Air Mauritius ne disposent toujours pas de procédures attestant de la conformité aux réglements des autorités sanitaires mauriciennes et la prise en compte des contraintes pour le personnel ne disposant pas de facilités adéquates pour un auto-isolement à domicile. En courbant l’échine devant Alain Leung Hing Wah, le directeur des opérations de vol d’Air Mauritius, Kailesh Jagutpal expose concrètement environ 160 PNC et leurs familles aux risques de contamination. Entretemps, rassuré par la léthargie de Soodesh Callichurn, les administrateurs appliquent des mesures contraignant des PNC à changer leurs déclarations d’incapacité à l’auto-isolement à domicile.
La campagne médiatique autour du membre d’équipage (personnel navigant cabine – PNC) d’Air Mauritius dénoncé par son épouse pour n’avoir pas strictement observé le protocole des autorités sanitaires n’est pas un phénomène fortuit. Cette histoire venait en aboutissement de quelques articles alléguant que les agents sanitaires n’avaient pu contacter certains PNC assignés à résidence après leurs vols. On peut constater que le processus démarre dès la reprise des activités pour l’aérien commercial. En effet, dès le 1er octobre, la question de membres d’équipage qui ne respecteraient pas leurs conditions d’assignation à résidence fait l’objet d’un premier article. Cet article de Le Défi est, en fait, publié le jour-même de la diffusion de la lettre d’information No. 21 des Cabin Crew Operations aux PNC.
C’est dans ce courrier qu’il est question de PNC non-joignables par les agents sanitaires. Et c’est ce même courrier qui fait mention de PNC qui auraient été aperçus « dans des supermarchés ou dans des manifestations ». Cette information a de quoi surprendre car cela signifie des compétences nouvelles de la part des autorités sanitaires. Car, il faut bien l’expliquer et comme ils se décrivent eux-mêmes, ils sont des agents qui font habituellement « le monitoring pour la dengue et le paludisme ». Leur travail consiste initialement à faire le rappel des passagers provenant de pays à risques et qui laissent leurs coordonnées à l’arrivée.
Ces agents sanitaires nous avouent ne pas disposer d’une base de données avec de la reconnaissance faciale, ni ne prennent-ils les gens en filature pour savoir qui va où. Ce type d’information, nous disent-ils, leur est plutôt préjudiciable parce qu’elle est de nature à compromettre leurs rapports avec les personnes qu’ils doivent contacter.
Si ce ne sont pas les agents sanitaires, qui sont donc ceux qui pistent ainsi les individus et qui seraient connus de la direction de MK au point que celle-ci en fasse mention ? Ces informations sont-elles fondées ou s’agit-il d’extrapolations en vue de terroriser davantage les PNC ? La direction de MK a-t-elle recours à des services qui empiètent sur le droit de ses employés à la vie privée ? A partir de nos remarques, certains juristes ne manqueront pas d’expliciter ce que cela implique pour les directeurs d’une compagnie et de ses administrateurs d’un tant soit peu faire joujou avec les droits constitutionnels de leurs employés.
Contrôles sommaires des agents sanitaires
Nous nous sommes aussi penchés cette fois, sur le travail des agents sanitaires et c’est plutôt à ce niveau que les manquements et les faiblesses sont criardes. Il y a des PNC qui reçoivent des appels téléphoniques et un agent leur demande seulement si « ça va ? ». Puis, il y a des PNC qui ne sont pas contactés pendant trois ou quatre jours. Quand ils reçoivent finalement un appel, c’est pour leur dire qu’un médecin va passer pour le test PCR. Ceux qui reçoivent la visite d’un agent sanitaire font face à un individu qui leur pointe le pistolet capteur de température sur le front et qui leur dit simplement : « Tout est ok. Merci. Au revoir ». La formule de politesse est là, l’échange est bref.
Nous avons pu constater que l’exercice se déroule à même le portail ; la discrétion a-t-elle jamais fait partie de la culture des agents de l’État ? Dans certains voisinages, cela donne lieu à des commérages, voire même à la stigmatisation des enfants de PNC. En effet, en ce même 1er octobre, le ministre de la Santé apprenait, par le biais d’un courriel qui lui était adressé par l’AMCCA, que des enfants de PNC étaient quelquefois stigmatisés au point où certains autres parents d’élèves ont requis qu’ils ne soient pas admis à l’école1.
La méthodologie de cette surveillance exercée par les agents sanitaires feraient bondir tous ceux qui ont cru jusqu’ici à la propagande gouvernementale d’une prétendue gestion de la pandémie. Au-delà de ce que nous avons démontré jusqu’ici à ce sujet, les Mauriciens seraient ahuris de savoir qu’à aucun moment les autorités sanitaires n’ont cherché à connaître les conditions de vie des PNC. En effet, nous pouvons affirmer, sans craindre la moindre contestation ou même une quelconque formulation de « fake news », que les autorités sanitaires ne disposent d’aucune information sur la taille des familles, aucune donnée sur le nombre d’enfants et de personnes âgées (considérées comme les plus vulnérables) dans une maisonnée, aucune indication sur le nombre de chambres dans la résidence.
De même que notre affirmation sur les informations lacunaires des autorités sanitaires est vérifiée, celle au sujet d’Air Mauritius est également vérifiable, au point où nous précisons nommément que ni Pritbeeraj Bheem Singh, l’officier de liaison avec le ministère de la Santé, ni Doris Ah Kay Mun, celle qui est responsable de l’affectation et du contrôle opérationnel des équipages, ne disposent de ces informations. Malgré tous ces mois où le personnel navigant a opéré des vols de rapatriement, ils ne s’en sont jusqu’ici jamais enquis. Jamais !
Cela fait environ trois semaines que le protocole transmis par Catherine Gaud attend d’être traduit et incorporé aux procédures opérationnelles pour les PNC et les pilotes. En professionnelle de la santé, la consultante qui assiste les autorités sanitaires mauriciennes pour la gestion de la pandémie du Covid-19, avait bien pris soin d’auditionner les responsables d’AMCCA, le syndicat des PNC, pour tenir compte de leurs observations à la fois sur les contraintes de certains PNC assignés à domicile pour l’auto-isolement et les enchaînements auxquels la direction des opérations entendait les soumettre.
Les révélations d’un sondage
Mais cette approche n’était pas au goût d’Alain Leung qui, plutôt que de considérer l’importance de faire amende honorable pour avoir omis de considérer les capacités réelles des PNC à observer les restrictions de l’auto-isolement à domicile, décidait cette fois de mettre à l’épreuve le bien-fondé de ce point soulevé par l’AMCCA. C’est ainsi que le 12 octobre, il initiait un sondage en vue de déterminer le nombre de PNC dans l’incapacité de faire de l’auto-isolement chez eux. Un sondage qu’il aurait dû avoir fait durant tous les mois précédant la reprise des activités pour l’aérien commercial.
Une source au sein des opérations de vol attire notre attention sur le fait que ce mail, comme de nombreux autres depuis quelque temps, est diffusé aux PNC « on behalf of » Alain Leung. Ceux qui connaissent la maison savent que cela signifie que les collègues du directeur ne veulent pas être associés à sa décision. En somme, c’est l’indication d’une décision unilatérale qui n’a pas obtenu, et n’obtiendra pas, l’adhésion des collaborateurs qui considèrent que, non seulement celle-ci est mal-avisée, mais surtout vouée à l’échec.
L’échec est avéré et chez Air Mauritius, il est impossible de l’ignorer désormais. La projection, selon nos sources, était sur une dizaine de PNC qui allaient se manifester pour un lieu alternatif d’isolement. Avec ce nombre, l’équation est assez simple : il suffit de les positionner sur les vols de Rodrigues et les vols cargo et puisqu’il s’agit d’un vol local ou d’un vol sans passagers, l’isolement ne s’applique pas. Mais il y a des managers chez MK qui se fient à leurs hypothèses uniques… Aussi sont-ils fort démunis quand leurs hypothèses ne passent pas l’épreuve de la vérification.
A la fin du fameux sondage d’Alain Leung, ce sont 160 PNC qui ont avoué ne pas disposer de conditions adéquates pour s’auto-isoler chez eux. Bien plus responsables que leurs dirigeants, ces PNC étaient prêts à sacrifier au confort de leur domicile et l’entretien du lien familial pour respecter les conditions sanitaires conformes aux protocoles du ministère de la Santé.
Une situation inattendue allait encore surgir : le 19 octobre, une PNC informait Doris Ah Kay Mun qu’elle ne se sentait pas en bonne santé et qu’elle n’avait aucun feedback du ministère de la Santé. Arrivée de Mumbai le 13 octobre2, elle a informé Bheem Singh de son état dès le lendemain. En somme, cela faisait cinq jours que les préposés à la Santé ne s’étaient pas enquis à son sujet ! Une fois prévenus, les agents sanitaires sont accourus chez cette hôtesse et c’est alors qu’elle a appris qu’elle n’était pas sur la liste soumise aux autorités sanitaires !
L’hebdomadaire Week-End va en faire état dans son édition du 25 octobre. A la direction des opérations de vol, on se prépare au choc… en s’enfonçant dans le déni. Le 26 octobre, Ah Kay Mun, la senior manager Cabin Operations, envoie la lettre d’information No. 23 et elle en remet une couche : le ministère de la Santé et du bien-être aurait fait part à la direction de MK que certains membres d’équipage ne respecteraient pas les conditions de l’auto-isolement à domicile. Selon le rapport, certains PNC n’avaient pu être contactés chez eux.
Informations asynchrones entre MK et les autorités sanitaires
Nous avons cherché à comprendre cette version persistante de PNC qui ne seraient pas joignables chez eux. Certains agents sanitaires plus futés que les auteurs de rapports ont très vite cerné la nature du problème : la durée déterminée de l’assignation à résidence n’est pas la même pour Air Mauritius et les services de la Santé. Pour cette dernière, le protocole prévoit quatorze jours. Chez Air Mauritius la durée a connu plusieurs changements. Il était d’abord question d’une durée de sept jours avec une flexibilité requise par la direction des opérations pour assigner éventuellement des PNC sur un vol au cours de la période de sept jours. Le syndicat s’étant opposé à cette disposition, le délai de sept jours a été convenu.
Toutefois, faute d’avoir été avisés de la convention interne à MK, les agents sanitaires sont restés sur leur protocole formaté à 14 jours. Avec pour résultat qu’ils se sont pointés à quelques reprises au domicile de certains PNC qui n’étaient pas chez eux puisqu’ils avaient déjà repris du service. Ni Ah Kay Mun, ni Bheem Singh n’ont pas su réaliser que leurs collègues ne pouvaient à la fois assurer le service à bord à 10 000 mètres au-dessus des déserts et des océans et présenter en même temps leurs fronts au portail de leurs cases quand l’agent sanitaire s’amène. Le don d’ubiquité n’a pourtant jamais fait partie des aptitudes requises pour le recrutement des PNC.
On nage en plein délire avec certains cadres de MK et ce n’est pas sans danger avec ses administrateurs aussi redoutables que des crocodiles. Décontenancés par le résultat du sondage initié par Alain Leung, les administrateurs de Grant Thornton ont mis en congé sans soldes (leave without pay) une partie de ces PNC incapables de se mettre en isolement chez eux. D’autres, en l’occurrence ceux qui n’ont pas reçu de nouvelles conditions d’emploi sont assignés à des tâches au sol et aux vols ne nécessitant pas la procédure d’auto-isolement à domicile.
Cette décision unilatérale intervenait le 26 octobre, à la même date donc que la lettre de Doris Ah Kay Mun, soit au lendemain de l’article de Week-End. Toute spéculation allant dans le sens des mesures de représailles à l’encontre des PNC serait, bien entendu, de nature malveillante et relevant de syndromes complotistes à tendance paranoïaque. On se gardera aussi d’évoquer la coercition dans cette affaire. Même quand Ah Kay Mun révèle qu’il y a des PNC qui souhaiteraient maintenant revoir leur statut… En effet, le 28 octobre, la patronne des Cabin Operations élaborait sur les possibilités d’une révision de la déclaration d’incapacité d’auto-isolement dans un courriel adressé aux PNC !
Ministres impotents malgré les pleins pouvoirs
Kailesh Jagutpal, le ministre de la Santé, et son collègue ministre du Travail et des Relations Industrielles, Soodesh Callichurn, sont parfaitement au courant que les PNC sont, en réalité et indéniablement, les premiers « frontliners » en contact avec des passagers potentiellement positifs au Covid-19. Le ministre du Travail est réputé pour son approche non-interventionniste. On se souviendra que la police avait hérité de la responsabilité de l’octroi des fameux Work Access Permits (WAP) équivalents aux permis d’opération pour les entreprises.
Callichurn avait ainsi convenu que Mario Nobin se substitue aux officiers de son ministère pour déterminer les capacités des prestataires à offrir des services en satisfaisant aux critères prescrites sous la Occupational Health and Safety Act. Les choses n’ont pas beaucoup changé depuis ; les réunions tripartites se multiplient et le ministère se garde bien de s’opposer à certaines orientations patronales. Ce ministère excelle dans la recherche de consensus et il serait de mauvaise foi de reprocher au ministre ces recherches qui aboutissent à des choux blancs.
Jagutpal, pour sa part, s’est contenté d’indiquer aux responsables de l’AMCCA qu’il ne peut que faire des recommandations à la direction de la compagnie aérienne. La position du ministre Jagutpal est des plus ahurissantes car, la loi Covid-19 (Miscellaneous Provisions) Act a bien été promulguée pour qu’il ne soit aucunement entravé dans ses responsabilités. En effet, l’article 45 de cette loi-cadre, qui englobe plusieurs législations relatives à divers secteurs de la vie publique, amende très précisément l’article 79 de la Public Health Act et les nouvelles dispositions lui octroient pleins pouvoirs pour édicter les réglements3 en vue de prévenir toute résurgence des épidémies.
Les nouvelles dispositions légales sous la Covid-19 Act ont bien été décriées pour leur caractère outrageusement dissuasifs. Les sanctions pour toute contravention à l’article 79 du Public Health Act sont désormais, au lieu d’une amende limitée à Rs. 500 au maximum, plafonnés à hauteur de Rs. 200 000. La privation de liberté en cas de culpabilité passe d’une durée maximale de six mois à une autre de cinq ans !
Dissuasif ? Tout dépend pour qui. Certainement pas pour ceux qui peuvent, en toute impunité, faire la nique à des ministres plénipotentiaires d’un gouvernement rendu pourtant omnipotent avec la législation du Covid-19. Callichurn se veut inexistant, Jagutpal est fait gros-jean-comme-devant, et tout le monde est content.
Quand toutes ces lâches omissions ont ainsi été étalées, il ne reste que l’évidence que tout le discours sur la gestion effective du Covid-19 relève essentiellement de la propagande. Il y a l’évidence que, malgré la coercition dont ils font l’objet, 160 PNC ont avoué être incapables de satisfaire aux protocoles du ministère de la Santé pour l’auto-isolement à domicile. Il y a l’évidence que durant tous ces mois, ces 160 familles ont été continuellement exposés aux risques de contamination. Et face à ces évidences, il n’y a plus qu’une question à poser : le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, et son collègue du Travail, Soodesh Callichurn ont-ils opté pour l’abdication face à Alain Leung Hing Wah, le directeur des opérations de vol d’Air Mauritius, et les administrateurs de la compagnie aérienne, Sattar Abdoula et Arvindsingh Gokool ?
1Mentionné en gras dans le courriel que l’AMCCA adressait au ministre Jagutpal le 1er octobre 2020 : « Please note that children of crew were refused access to school due to parents being prone to contract the virus ».
2Le vol MK 111 en provenance de Mumbai est rentré à Maurice dans la soirée du 13 octobre.
345. Public Health Act amended
The Public Health Act is amended –
(a) in section 79, in subsection (1)(b), by deleting the words “500 rupees” and “6 months” and replacing them by the words “200,000 rupees” and “5 years”, respectively;
(b) by inserting, after section 79, the following new section –
79A. Regulations to prevent resurgence of epidemic
(1) Where following the issue of a notice under section 78, it appears that any dangerous epidemic, endemic, infectious or communicable disease has subsided, the Minister may make such regulations as he thinks fit to prevent the resurgence and further spread of such dangerous epidemic, endemic, infectious or communicable disease.
(2) Any regulations made under subsection (1) may provide that any person who contravenes them shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to a fine not exceeding 200,000 rupees and to imprisonment for a term not exceeding 5 years.