Honni soit qu’en mâle ne pense

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La question de la condition féminine est reléguée au même plan que la Culture ou les Sports. Car, comme pour chaque concert avec ses midinettes en pâmoison extatiques, comme pour chaque événement sportif mobilisant les ferveurs de ceux qui ont la foi des « nou pli for, nou ki mari », les réseaux sociaux s’enflamment à chaque viol, à chaque agression commis par un amant éconduit, à chaque cas de violence domestique. Dans ce registre, cela fait longtemps que les éditorialistes, qui opinent hors de tout champ connu des sciences sociales, se révèlent incapables de donner de la perspective aux actes de violence envers les femmes. La presse de l’immédiateté est désormais battue à son propre jeu : les agresseurs filment eux-mêmes leurs passages à l’acte qu’ils diffusent en live. Les directeurs de publications ne se sont toujours pas rendus compte que les faits divers sont passés de saison, alors que ceux qui font la chronique des délits de droit commun ne sont plus que de vulgaires échotiers de Facebook.

Les dirigeants des partis, pour leur part, pensent avoir trouvé la parade : à défaut d’une réelle réflexion sur l’émancipation de la femme mauricienne, ils ont tous pourvu leur formation politique d’une « aile féminine » !  Cette organisation en sections sert à exploiter l’énergie de quelques fidèles du parti sur la mobilisation partisane par segments de genre – ou d’âge, puisqu’il y a aussi une « aile jeune », n’est-ce pas ? – et, cela a le mérite de mobiliser des lieutenants sur des fronts populaires, laissant les mains libres aux dirigeants du politburo. Les officiers de grade supérieur siègent eux sur des commissions censées pondre les orientations du parti sur des questions considérées plus essentielles : économie, infrastructure, sécurité sociale, éducation, justice. En somme, l’information véritable consiste à dire que les formations politiques brassent du vent là où la réflexion bat de l’aile.

La carence des élites

Ce qui est dramatique pour la condition féminine c’est de devoir constater que cette élite qui a le pouvoir d’influencer et de façonner les politiques publiques est en panne. Déconnectée de cette réalité dont est fait le quotidien des femmes de condition modeste, cette élite voile les carences de ses facultés perceptives dans l’abondance de ses discours moralisateurs et culpabilisants. Et ainsi, celles qui n’ont pas droit à la parole se voient désignées comme celles qui sont portées à tous les dévergondages, celles qui n’ont pas su attendre pour leurs expérimentations sexuelles, celles qui n’ont pas persévéré pour parvenir jusqu’à la fin de leur scolarité.

Les formations politiques brassent du vent là où la réflexion bat de l’aile.

Sauf que la majorité des femmes ne provient pas de ces milieux bourgeois où l’on peut se payer des nuitées de clubbing pour s’enivrer de vodka plutôt qu’au rhum-coca, où l’on se balance au son de la techno plutôt que de se déhancher sur un séga aux paroles tout aussi abêtissants. La majorité des femmes n’appartient pas à ces milieux où l’on est assez réaliste pour que la maman accompagne sa fille chez le gynéco pour décider d’une contraception sachant que leurs enfants ne se contenteront pas de jouer à touche-pipi. Non, tout cela n’est pas courant dans la réalité de la majorité des femmes.

Ce qui est courant dans la réalité, ce sont ces cités ouvrières que l’on peine tellement à nommer qu’on les désigne désormais sous le vocable de « résidences ». Ce qui est courant dans la réalité, c’est que la densité de la population dans ces « résidences » et dans nos quartiers périphériques est telle qu’elle produit une promiscuité qui rend les filles plus vulnérables. Ce qui est courant, c’est la pression qui est exercée sur les victimes d’agression pour qu’elles abandonnent les charges quand elles portent plainte à la police. Ce qui est courant, c’est qu’en raison de leur vulnérabilité financière certaines femmes contraintes à se prostituer acceptent des rapports non-protégés et subissent ensuite l’exclusion sociale une fois que leur séropositivité est établie. Ce qui est courant, finalement, c’est que cette élite féminine dont s’encadrent les dirigeants politiques est complètement inadaptée pour entendre, décrypter et faire comprendre aux instances dirigeantes de leurs partis que toutes ces inégalités résultent de la somme des inconséquences de ce personnel politique qui désormais ne peut cacher le stade avancé de son pourrissement.

Réformer par la législation et l’éducation

Or, c’est bien au plan législatif et au plan éducatif qu’il faudrait engager des réformes. Pas en sollicitant la ministre de la Femme pour un énième rabâchage inutile à chaque décès violent d’une femme, mais en commençant par s’assurer du respect des lois existantes. Qu’une entreprise puisse licencier une employée qui a décidé d’avoir recours aux services de l’Etat pour dénoncer un harcèlement dont elle aurait fait l’objet est un fait insupportable pour tous ceux qui tiennent au respect des lois dans ce pays. Comment le ministre du Travail peut-il convenir de négociations dans une affaire où un employeur décide d’ignorer une procédure engagée auprès du ministère du Travail et une autre auprès de la police ? N’est-ce pas cela se mettre hors-la-loi ?

C’est quand on en est rendu là que l’on peut réaliser l’importance de l’éducation dans l’avancement de la condition des femmes. Que la ministre Koonjoo-Shah ne puisse faire entendre raison à son confrère qui peine à comprendre le caractère intimidant d’un tel licenciement pour toutes les femmes faisant l’objet de harcèlement est tout simplement sidérant. Mais c’est pire encore quand, de cette majorité d’hommes siégeant au conseil des ministres, il ne puisse y en avoir au moins un seul pour dire à Callychurn à quel point il est déshonorant pour un homme de ne pas s’élever au devoir d’assurer la défense d’une femme victime de harcèlement.

La seule tradition que l’on retrouve chez ces partis dits « traditionnels », c’est celle de la prostitution des idéaux politiques au profit du racolage partisan.

Or, l’éducation c’est justement cela. Ce n’est pas par la seule légitimation de la sélection scolaire que l’on y parvient. Mme. Leela Devi Dookun-Luchoomun est-elle capable de réaliser que le système éducatif dont elle hérite produit, bon an mal an, des garçons complètement inadaptés pour une vie dans une société égalitaire ? Est-elle en mesure de réaliser qu’elle y contribuera sa part d’une génération de garçons qui seront comme ses confrères du Cabinet, autant de coqueberts qui se croient vertueux en oscillant entre la religiosité du goujat et l’insensibilité du pisse-froid ?  

Bann madam…

Il n’y a qu’à considérer ces dirigeants politiques qui formulent leurs salutations à « bann madam » pour prendre la mesure de l’hypocrisie de ces paltoquets pour qui le terme « femme » est politiquement incorrect. Qui plaindra ces mamans qui auront fait des fils aussi indignes pour que la condition de la femme leur soit à ce point répugnante ? Qui ne se souvient de ces insinuations malveillantes d’un ministre, président de son parti, au sujet des femmes de cités qu’il entendait exclure d’un programme de logement social ? Souvenons-nous encore de ce 19 septembre 2017 à Trèfles, quand ce Deputy Chief-Whip traitait une journaliste de « femel lisien » parce que l’inculte vociférant n’avait pas supporté qu’une journaliste le désigne comme « un aboyeur ». Quand on est législateur et que l’on ne présente pas sa démission pour pareil écart, on comprend pourquoi il est approprié d’user du terme « bête politique » et d’en affubler ceux qui se réclament d’avoir la peau dure. Ainsi, l’animal se contenta de présenter des excuses et la direction de son parti s’en accommoda… sans que quiconque ne se fit le souci de savoir si la journaliste avait effectivement accepté lesdites excuses !

A Rose-Hill dimanche, lors d’une rencontre organisée par « En Avant Moris », le mouvement initié par Patrick Belcourt, Nita Deerpalsing était à expliquer comment elle a été humiliée par les dirigeants de son parti pour avoir voulu y prendre une place prépondérante. Et ce n’est pas un fait particulier à son ancien parti. Le phénomène est bien généralisé. Sont rabaissées celles qui ne comprennent pas qu’il est seulement attendu qu’elles rameutent leurs congénères pour que celles-ci s’adonnent, à force de doloks et de vuvuzela, au culte du leader bien-aimé.

Car, la seule tradition que l’on retrouve chez ces partis dits « traditionnels », c’est celle de la prostitution des idéaux politiques au profit du racolage partisan. La seule égalité au sein de ces formations se conçoit seulement dans l’aptitude à la soumission et au baisemain à ces parrains d’entreprises électorales. Ces formations partisanes dont l’opacité du financement réduit bien des responsables d’institutions à n’être que des tenanciers de ce vaste bordel qui, désormais, remplace l’Etat que la Constitution voulait démocratique.

Joël TOUSSAINT


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