Al mars-marsé do !

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Le succès d’une marche populaire, pour ceux qui n’auront connu que l’ordre politique animé par les dirigeants de partis mafieux et fascisants, se mesure par la logique du nombre. Pour ceux-là, peu importe les objectifs affichés par les organisateurs. Or, l’objectif ne peut être le même selon que l’on se contente de vouloir extirper Pravind Jugnauth et sa bande d’affairistes du pouvoir ou que l’on veuille corriger un système qui reconduit les mêmes dirigeants aux affaires. Puisque l’on sait que les mêmes formations occupent depuis des lustres l’Assemblée législative où elles s’accommodent du système parlementaire qu’elles ont perverti. Faut-il rappeler que Pravind Jugnauth se retrouve là où il est aujourd’hui en raison de la dictature du nombre, celle de l’électorat comme celle de la majorité parlementaire? Aussi, soyons un tant soit peu sérieux avant d’ânonner l’argumentaire « lavenir nou bann zanfan », encore une de ces billevesées dont on aurait bien ri si la ribambelle n’était pas déjà bien endettée pour au moins trois générations. Tout ça parce que leurs parents, incapables d’une réflexion, s’enflammaient pour des slogans comme « Bizin Sanzman » ou « Viré Mam ! ». Comme aujourd’hui encore, surpris eux-mêmes de leur soudaine bravoure, ils scandent leur « Bour li Déor » parmi de vieux vampires qui, flairant du sang neuf, viennent s’abreuver à l’énergie d’une jeunesse en révolte.  

On ne devrait pas seulement se demander qui sont les organisateurs de cette manifestation, mais surtout qui sont ceux qui, au moment qui leur apparaîtra opportun, en revendiqueront la paternité.  A ce jeu, il importe de déterminer les plus aptes, s’il s’agit des partis de l’opposition parlementaire ou des animateurs du ras-le-bol citoyen. Ces derniers sont animés d’une telle générosité qu’ils sont peu avares de prétextes pour administrer du sérum populaire aux « dinosaures » qui agonisaient tranquillement des suites de leur castration parlementaire.

Pour peu que l’on s’évertue à prendre la juste mesure de ces démonstrations de foule, lors des procès à retentissement médiatique notamment, on se rend compte de l’ambiguïté de ce type de recours à la rue. L’amalgame est manifeste : quand les foules se regroupent devant un tribunal on aurait pu penser qu’il pourrait s’agir d’une instruction à l’encontre de nos instances juridiques. Il n’en est rien : l’indignation populaire relève davantage du procès fait aux modes inquisitoires de la police et le sentiment que son commissaire est davantage un subordonné du gouvernement que fondé de pouvoirs sous la Constitution ! Mais, a-t-on vu quelque manifestation aux abords des Casernes ?

A moins qu’il ne s’agisse d’une contagion massive au virus du crétinisme, la supercherie est alors évidente. Il y a bien un amalgame qui, on s’en aperçoit aisément, profite à ceux de l’opposition parlementaire qui entendent exploiter l’indignation populaire pour renforcer la dissidence au pouvoir de Pravind Jugnauth. Cet amalgame est-il bénéfique à la démocratie ? C’est impossible, tant il nous fait perdre de vue le caractère systémique de cette perversion de notre démocratie parlementaire qui produit un pouvoir sans contrôle et qui fait de tout Premier ministre un monarque despotique. C’est impossible car, malgré la fascination qu’il exerce sur cette multitude en attente d’un messie, Bruneau Laurette n’est porteur d’aucun projet politique. Une lacune qui, certes, exprime une authenticité contribuant à son caractère mythique mais, dès lors qu’il s’approche des monstres de la prime-histoire politique mauricienne, il s’évertue à leur donner le biberon plutôt que de les terrasser. Il ne s’agit pourtant pas d’une tâche colossale : la flétrissure de leur égo est au stade où il suffit de les laisser se désagréger dans l’oubli et le mépris. L’âge statistique devrait faire le reste ; pour abréger le processus, les plus charitables pourront enlever l’oreiller sous la tête des agonisants…  Les plus prévoyants des journalistes ont déjà rédigé les éloges funèbres et les sentimentalo-couillons pourront tirer leurs mouchoirs dans le cortège et s’épancher sur Facebook !

General directions of policy…

Une fois n’est pas coutume ; nous nous faisons toujours le devoir de citer nos confrères que l’on soit ou non d’accord avec eux. Même si ceux qui nous veulent du bien se disent surpris que nous le fassions en absence de toute réciprocité, nous savons nous réjouir d’adopter une attitude qui relève du code de déontologie des gens de presse. C’est dans cet esprit que nous recommandons à nos lecteurs de lire le rigoureux exercice auquel s’est livré Kris Valaydon dans L’Express pour baliser un terrain miné dans le droit mauricien. Ce juriste pointilleux, qui connait très bien le processus législatif puisqu’il a exercé au secrétariat de l’Assemblée nationale, n’a aucun mal à cerner la cause du malaise populaire quand la police n’arrête pas de faillir dans son rôle d’auxiliaire de la justice.

L’indignation populaire relève davantage du procès fait aux modes inquisitoires de la police et le sentiment que son commissaire est davantage un subordonné du gouvernement que fondé de pouvoirs sous la Constitution ! Mais, a-t-on vu quelque manifestation aux abords des Casernes ?

« On clame trop facilement l’indépendance de l’institution qu’est la police, et on cite la Constitution de Maurice en appui, alors que celle-ci se donne dans une confusion qui profite à des politiciens une fois au pouvoir. Des critiques implicites sont faites à l’égard du commissaire de police quant à sa subordination vis-à-vis de « là-haut ». C’est injuste, car la Constitution du pays elle-même donne au Premier ministre le pouvoir de déterminer l’étendue de son ascendant sur le commissaire de police », écrit Valaydon.

Il précise que la Constitution accorde au Premier ministre le pouvoir de donner des «general directions of policy with respect to the maintenance of public safety and public order». Et il explique : « Dans cette expression on peut tout y mettre. Tout peut être formulé comme policy. N’importe quelle action, n’importe quelle mesure, quelle directive, que le Premier ministre veut voir exécuter peut être rédigée comme une policy. Nous sommes donc en présence d’une disposition constitutionnelle qui consacre la subordination de l’institution de la police au politicien ».

Au moment où il procède à la dénonciation de ce système où la politique décide de la justice, Kris Valaydon ne se contente pas d’enfoncer son clou, mais il le rive en notant que « la section 71 de la Constitution ajoute que le Premier ministre ou ministre de l’Intérieur peut s’occuper de ‘the organisation, maintenance and administration of the Police Force’ ». Comme nous l’écrivions déjà en août dernier : « Le CP doit ainsi, pour ses enquêteurs, s’accommoder d’un chef décoré… pour l’ensemble de ses choux blancs ! En outre, il a besoin de composer avec le conseiller du Premier ministre, Vinod Appadoo, l’ancien patron de la brigade anti-drogue, passé commissaire des prisons qui avait instauré ses mesures anti-tabac hors du cadre légal prescrit pour de tels règlements intérieurs ».

C’est ce qui apporte une résonnance nouvelle à ceux qui nous trouvaient frondeur en faisant part du persiflage des collaborateurs du commissaire de police lorsque nous évoquions les « écarts » au sein de la police et « le grand écart » attendu de Khemraj Servansingh : « Le Mauricien est moqueur, disions-nous, et le CP aurait tort de penser que le port de l’uniforme enlève cette faculté aux hommes sous son commandement. Quelques-uns aux Casernes Centrales comparaient sa récente nomination au consentement à un mariage où il hérite de deux beaux-frères avec lesquels il doit partager son lit ! ». Ainsi, en consentant à hériter de ces fonctions avec les conditions aussi étriquées qu’elles sont humiliantes, Khemraj Servansingh n’est qu’un misérable Sisyphe arc-bouté à la pierre qu’il croit pouvoir pousser jusqu’au sommet.  

Les conditionnements et les attitudes réflexes

Au terme de sa démonstration magistrale, Kris Valaydon invite à manifester. Contre quoi ? « Tout le mal que vit notre société provient de cette conjugaison de culture des êtres ayant pris goût au pouvoir et [au] vide constitutionnel ». L’énoncée tient en une phrase que même Boileau serait admiratif que l’on puisse désigner la cause du mal de manière aussi limpide. Il importe alors de se demander à qui s’adresse le contentieux. Et la réponse s’impose avec toute la puissance de l’évidence : l’expression des outragés devrait s’adresser en tout premier lieu à celui qui exerce la fonction de Premier ministre… ainsi qu’à ceux qui auront exercé la fonction avant lui et qui se sont bien accommodés de ces dispositions iniques et scélérates !  

A partir de là, il n’est plus possible de feindre d’ignorer que ni Ramgoolam ni Bérenger n’ont d’aucune manière remis en cause ces dispositions dont ils connaissent fort bien l’étendue puisque c’est bien cette articulation qui annule la conception même de l’Etat de droit. Il n’y a aucun artifice possible pour voiler cette protubérance coupable qui fonde le pouvoir despotique des Premiers ministres. Et ainsi, même chez ceux qui souhaitent timidement le changement nécessaire de nos structures de gouvernement ou ceux qui s’en réclament plus résolument, on parvient à aligner tellement de prétextes pour justifier une marche en union avec ces personnages et les suiveurs de leur formation que cela défie tout entendement.

Badhain avec ses calembredaines et Bodha qui a l’art des fadaises sont désormais acclamés en héros. En conférence de presse, Yip Tong nous enseigne les arguties et, par voie de communiqué de presse, Belcourt nous ouvre aux fallacies. Laurette, faisant office de Grand Installateur de l’opposition réunie, dispense ses coquecigrues à la foule qui fait écho au son des ravanes et des vuvuzela. Heureusement que le tracé de la marche rappelle Pravind Jugnauth au bon souvenir de la foule que Boolell convie à la liesse…

L’expression des outragés devrait s’adresser en tout premier lieu à celui qui exerce la fonction de Premier ministre… ainsi qu’à ceux qui auront exercé la fonction avant lui et qui se sont bien accommodés de ces dispositions iniques et scélérates !  

Et quand de compromis on passe ainsi à la compromission, la cause véritable de l’incurie du moment passe aussi à la trappe. Mais faut-il s’étonner de ces prédispositions à la dispersion quand l’école est célébrée pour sa prétendue gratuité et qu’elle produit une masse décérébrée et une élite au raisonnement défectueux puisqu’elle est en déficit de vocabulaire ?

Certains conditionnements créent des dispositions comportementales, nous apprenait le prix Nobel Ivan Pavlov[1] au début du siècle passé. À partir de ses expérimentations sur des chiens, le médecin russe démontrait que les sujets soumis aux stimuli correspondant à leurs conditionnements pouvaient réagir par des attitudes réflexes, même en l’absence des éléments tangibles qui les déclenchent naturellement. Or, nous sommes bien au pays où une majorité jure avoir vu Touni-Minuit, de même qu’elle croit dans la règle non-écrite d’un Premier ministre Vaish, tout comme elle proclame l’indépendance du commissaire de police. Les attitudes réflexes des Mauriciens deviennent compréhensibles si l’on se donne la peine de faire la somme de leurs conditionnements.

De plus en plus mécréant quand il n’est pas ignorant, le Mauricien cherche à s’accrocher à la foi religieuse et à ses superstitions. Vidé de ses facultés, il n’est que plus avide de croyances. Ainsi il veut croire dans les vertus de la Constitution avec cette même ferveur qui fait croire en des virginités post-natales. Cette même croyance qui permet de justifier les vœux de changement pour plus de probité… en marchant aux côtés des mêmes malpropres !

Joël Toussaint


[1] Ivan Petrovitch Pavlov (1849 – 1836). Pavlov démontra qu’outre le réflexe non conditionné (salivation “normale” devant la nourriture), il est possible de déclencher, par un processus d’apprentissage – ou conditionnement -, un réflexe conditionné (salivation liée au stimulus). Il étendit ensuite ses découvertes à l’Homme. En définissant la nature et le fonctionnement des réflexes conditionnels, il a inspiré de nombreuses recherches sur les processus d’apprentissage. En 1904 il devint le premier Russe à recevoir le prix Nobel et exposa ses travaux dans la langue russe.


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