Après l’an foiré, l’an culé !

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Non, l’année 2021 ne sera pas meilleure que 2020. Impossible ! Tout bonnement impossible si l’on maintient le Mauricien dans la culture du déni plutôt que de l’initier à ses droits et surtout à ses devoirs, si on l’incite à croire au miracle plutôt que de se magner le popotin, si on l’encourage à faire les louanges de politiciens plutôt que de leur botter les fesses !

2021 ne peut être meilleure parce que nous avons toujours cette même élite inadaptée qui, indépendamment qu’elle provienne du secteur public ou privé, s’accommode des clivages socio-ethniques, maintient les structures économiques pour que les conglomérats conglomèrent davantage et s’approvisionnent dans les réserves de la Banque Centrale après avoir dilapidé les caisses et gonflé la dette publique. La reproduction dans l’entre-soi bourgeois a donné cette consanguinité qui fait que cette élite avance avec ses mêmes réflexes conditionnés face aux enjeux d’un monde qui ne cesse d’évoluer pour poser des défis multiformes.

Non, 2021 ne peut être meilleure quand les meilleurs sont contraints de s’installer ailleurs, là où leurs compétences leur ouvrent les portes alors qu’au pays ils ne disposent pas du Sésame ethnocastéiste ; ou ils n’ont pas les dispositions pour le rôle de pagla au sein d’un ministère ou d’un corps para-étatique ; ou encore être de ces « Advisors » qui doivent être de l’avis de leurs ministres incultes. Au royaume de la vénalité, ceux qui auront tenté l’ailleurs feront partie de cette diaspora dont on vante les mérites par temps de besoin, mais qui, somme toute, a le même statut du touriste : dès que celui-ci sourit, on voit s’ouvrir son portefeuille !  

La pandémie du Coronavirus ne peut servir de prétexte pour expliquer notre situation économique. Il aura beau se vouloir doctoral, Renganaden Padayachy ne peut prétendre redresser la barre et changer de cap sans, au moins, faire le point sur la gestion calamiteuse de ses prédécesseurs, au nombre desquels, Pravind Kumar Jugnauth !

Cette crise sanitaire ne peut servir de prétexte à cette faillite politique qui nous vaut une situation sociale où les uns remplissent des caddies pendant que d’autres ont faim, où certains ont l’escorte motorisée de la police pour parader sabres au clair tandis que d’autres voient débarquer toute une brigade pour bastonner un individu désarmé ou pour embarquer une internaute dont la plaisanterie sur internet aura offensé l’orgueil d’un piètre politicien qui le confondait avec son honneur. Pas plus celle où Steeven Obeegadoo fait détruire des cases de squatters avant même d’avoir énoncé sa politique en matière de logement social. La Covid-19 ne peut justifier toutes ces situations d’échec. Elles ne sont d’ailleurs que des conséquences et, non pas les causes profondes et véritables.

Aussi, à l’heure des bonnes résolutions, il faudrait formuler celle où l’on ose l’appel, envers nos lecteurs comme envers nos concitoyens, à davantage de sérieux, de discernement et de responsabilité dans la manière d’exercer sa citoyenneté. Car l’analogie, quand bien même paradoxal, place la source de nos maux dans la vallée de l’assèchement graduel de ces « valeurs » dont certains usurpateurs se réclament et qui, néanmoins, fait d’eux des notables au sein de la société mauricienne.

Une Assemblée soumise au cartel politique

Nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette dérive qui a fait que l’exercice de la consultation populaire soit pervertie au point de soumettre l’Assemblée nationale à ce qui n’est, ni plus ni moins, qu’un cartel politique. Qui niera que notre Parlement est essentiellement constitué de ces formations financées par moult intérêts privés ? Qui niera que ce financement fait défaut à d’autres formations engagées dans la même joute électorale ?  La commission électorale et ses observateurs internationaux – tout comme les éditorialistes de la presse mainstream d’ailleurs – s’accordent néanmoins à reconnaître que les élections dans notre pays seraient « free and fair » !

Il n’y a pas à pinailler sur quelque 37% de l’électorat quand l’ensemble convient que la pourriture de Pravind pourrait valoir mieux que celle de Navin. Peut-il en être autrement quand, avec Leela Devi Dookun-Lutchoomun aujourd’hui, comme avant avec Obeegadoo, l’école publique continue son œuvre de crétinisation massive ?

Et quid de cette « opinion publique » qui, trop souvent, n’est que celle des influenceurs et des manipulateurs à la solde des mieux-disants du monde politique ou des intérêts économiques ? Malhonnêtes ces éditorialistes qui font leur beurre avec des lecteurs qu’ils maintiennent en mode bipolaire entre ces deux avortons politiques ; ce n’est pas cette année que l’on va s’embarrasser de civilités envers ceux-là, cela fait déjà un bail que nous leur laissons toute la place pour jouer les pique-assiettes chez les patrons et les ambassadeurs.

C’est vrai que l’on ne peut jeter la pierre seulement à ceux qui croient à tout ce qui est publié. C’est bien en raison des pseudo-neutralités que les gens finissent par se retrouver avec toutes les balivernes des irresponsables politiques et institutionnels qui sévissent sur la place. Et ceux-ci, dans leurs discours comme dans les lois qu’ils font voter, ne se gênent pas pour attribuer de nouvelles responsabilités à cette presse dite indépendante. Jusqu’à quel point serait-elle assujettie que ses journalistes ne parviennent à préciser qu’ils n’ont pas vocation à s’occuper des angoisses populaires et autres « psychoses » ? C’est à quel moment que l’on se fait le devoir d’expliquer à Kailesh Jagutpal, l’inénarrable et le plus dangereux ministre de la Santé de l’île Maurice indépendante, ou encore au commissaire de police, qu’en matière de psychoses, il y a des nounous pour ceux qui n’ont pas grandi et des psys pour ceux qui sont en régression ? Notre métier se résume à informer et à éduquer. Notre vocation de journaliste consiste essentiellement à rendre compte de toutes les vérités qu’il serait possible de démontrer, alors que tous ces mufles les voudraient réservées à l’opacité.

C’est vrai que ceux qui veulent jouer aux plus fins pourraient poser la question de la finalité de ce métier… Et, il faudra bien se résoudre à ce cynisme car les limites de l’enquête journalistique s’arrêtent aux indices ; c’est la responsabilité de la police de ramener les preuves et de satisfaire les critères de leur admissibilité dans les procédures de justice. La presse pourrait ainsi se réjouir de l’apparition d’un excellent journaliste, Narain Jassoodanand, dont la sobriété et la ténacité surprennent (agréablement) à l’ère de la vedettisation des gens de presse.

Alors Kistnen ? Ça met en émoi tous ceux électrisés par chaque scandale. Encore plus s’il y a mort d’homme. Avec un homicide que la police a travesti en suicide, c’est ouvrir un boulevard à l’hystérie et se résoudre à fermer les rues aux abords du tribunal. Erreur capitale. C’était sans compter les effets capiteux de la mixture Valayden-Badhain-Laurette.

Nous avons des confrères qui nous prétendent que l’on ne pouvait prédire le scandale des contrats liés à la pandémie du Covid-19. A d’autres ! Nous écrivions bien le 6 avril dernier : « L’histoire de l’économie nous montre que les guerres et les épidémies favorisent, par le biais du marché noir, la constitution de nouvelles fortunes ». 

Au niveau des formations partisanes, même et surtout chez ceux qui réclamaient l’invalidation des élections, on ne note aucun frémissement cérébral pour considérer l’aspect systémique de ces combines pour l’allocation des contrats de marché public aux « petits copains ». Ni Ramgoolam, ni Duval et encore moins Bérenger ne parviennent à suggérer la commission d’enquête pour ce secteur de l’activité mafieuse ! Faut-il s’en étonner ? Ne sont-ils pas nombreux, ceux issus de l’Académie des Traceurs, à dire ouvertement que Kistnen aurait dû la boucler et profiter tranquillement de la manne émanant des multiples combines auxquelles il participait ?

La prébende et les pré-bandits

A Maurice, le degré de corruption est tellement répandu que l’on a fini par s’accommoder de ces pratiques très peu éthiques. Que l’on aide un membre de sa famille demeure une vertu… et qu’une autre personne soit lésée au passage, on s’autorise l’économie d’une réflexion sur le fait. La religiosité des uns et des autres est tellement prégnante dans le politiquement-correct mauricien, qu’il suffit de quelques rituels pour sanctifier les corrupteurs en série qui organisent des séances de prières tantôt à la gloire de Navin ou celle de Pravind !

Pendant que les lieutenants de ces deux loustics amusent la galerie en se rentrant dedans à fleurons mouchetés, s’opère le renforcement des liens du grand banditisme avec les élus locaux et nationaux. Aujourd’hui des mafiosi sortent du cadre de leurs activités criminelles traditionnelles et partagent des intérêts financiers avec des hommes d’affaires. Ils s’assurent que des hommes politiques protègent leurs intérêts économiques.

Ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas la première fois que l’on évoque ces rapports dans nos colonnes. Pour preuve, le 7 novembre 2019, le jour même du vote aux dernières élections législatives, nous invitions nos compatriotes à « décapiter la mafia ». C’est ainsi que l’on se faisait fort d’expliquer que : « Il n’y a absolument aucune différence entre la contribution des trafiquants de drogue et ceux des chefs d’entreprises. L’assujettissement des plus faibles et le trafic humain se classent dans la même abjection. Le financement des entreprises et celui des trafiquants profite bien à ces mêmes partis qui ont « cartellisé » le Parlement et qui font que l’on retrouve toujours les mêmes têtes à l’Assemblée nationale ; même quand, pour y demeurer, ceux-ci doivent se reconstituer au sein de nouvelles organisations aux fins d’alliances opportunistes ».

N’a-t-on pas vu certains élus locaux peu scrupuleux, ceux-là qui se faisaient hier élire en se présentant au sein de formations non-partisanes et qui, une fois élus, faisaient preuve d’allégeance aux maîtres du jour ? Est-il possible de seulement rendre compte de ces basculements sans dénoncer le rapt du vote citoyen par des chefs de partis au sein du gouvernement ? Certains y parviennent. Mais, de toute évidence, nous ne pratiquons pas ce journalisme-là. Pourquoi donc ce « contrôle » qu’évoquent ouvertement certains ministres au sujet des conseils locaux ? Au plan national comme pour les administrations régionales, sur le terreau de la corruption, les organisations mafieuses prospèrent.

On se focalise sur la mort atroce de Kistnen et l’on oublie ses combines avec ses camarades. Or, pour la République de Maurice, c’est pourtant là que le contrat social est mort. Les partis-trusts, les prébendiers et leurs lèche-culs l’ont tué. En fait, il gît crevé dans le caniveau, depuis 1959, l’année où l’administration coloniale fait de Seewoosagur Ramgoolam « The Premier ». Maurice Curé est le dernier à les avoir contenus, à avoir cassé les dents, tant bien que mal, à ce patronat consentant au racket pour mieux profiter des collusions avec les politiques. Cela lui aura coûté le temps d’une vie où des rentiers politiques lui auront aspiré toute son énergie. Le vieux s’en est allé avec son idée d’une communauté mauricienne qui honore et rend gloire au travail. Mais les faussaires de la politique, « les pros » y faisant carrière, sont revenus avec leurs réflexes de féodaux. Elus mandataires du peuple, et réélus représentants du peuple, ils se prennent un Mentor pour s’abreuver à la fontaine du pouvoir. Jusqu’à plus soif. Il leur a appris que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir. Trois mandats d’affilée s’il le faut, quatre au besoin. Et toutes les casquettes possibles en même temps ! Avec les indemnités qui vont avec, cela va de soi. Il y en a qui meurent, mais il faut bien vivre…  

Ce n’est pas la première fois que nous reprendrons nos lecteurs à rebrousse-poil, notamment lorsqu’il nous semble nécessaire d’inviter nos concitoyens à moins d’hypocrisie en ce qui concerne le délitement de notre démocratie au profit d’une kleptocratie et surtout d’en assumer la responsabilité. Foin donc de ces jérémiades au sujet de 2020 que l’on s’accorde trop facilement à présenter comme une année néfaste. Elle n’aura été, ni plus ni moins, que la somme des égarements du citoyen Mauricien qui, à chaque fois, entache son vote par le choix de ceux financés par la mafia. Et après de telles inconséquences, il ne nous reste plus qu’à en tirer les conséquences.

Il ne faut pas seulement revoir la question du financement politique par le biais de la messe basse entre les dirigeants de ces partis qui ont accaparé l’Assemblée nationale. Au lieu d’aller gueuler devant les tribunaux, les Mauriciens devraient réclamer la commission d’enquête sur ce financement qui instaure la mafia. Qu’on en sorte dégouté de tout ce que l’on pourrait y trouver, et que l’on en soit à gerber sur tout ce que les Mauriciens ont pu adorer jusqu’ici, ne peut être que sain et salutaire. Pour remonter, il faut consentir à toucher le fond.

Ainsi, après l’an foiré, il ne faut pas fuir la perspective de l’an culé. C’est seulement en ce sens que cela pourrait être une bonne année.  

Joël TOUSSAINT


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