Une presse juste bonne à glapir ?

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Au sein des Avengers, Roshi Badhain veut se la jouer dans un rôle inédit : ainsi naît « Intimidator ». Le personnage s’est donné en spectacle à la sortie du tribunal de Moka, le 24 février dernier, se permettant de ridiculiser puis de congédier le journaliste et le cameraman de la MBC. Suite aux réactions négatives d’un nombre croissant d’internautes, le sieur Badhain a tenté de minimiser son fait le lendemain, prétendant que l’attaque n’avait rien de personnel[1]. Dans le sillage de cet incident, David Boodhna, le Head of News de la rédaction de la radio-télévision nationale, s’est tourné vers le Bar Council, souhaitant « tourner la page sur cet incident » et que « nous puissions travailler en toute sérénité ». La presse dans son ensemble n’y a trouvé qu’une brimade, mal inspirée pour certains, méritée pour d’autres. Mais l’attitude de l’avocat était-elle seulement vexatoire ou de nature criminelle ? Parce que si cela s’avère, nous avons dans ce pays une presse faite essentiellement d’individus qui ne sauraient soupçonner la moindre infraction au Code Pénal.

« Au revoir Roshi », lançait Manisha Jooty à sa sortie de la conférence de presse donnée par Xavier-Luc Duval, Paul Bérenger et Roshi Badhain. Les deux premiers avaient invité la journaliste de la MBC à interroger l’avocat ultérieurement afin de s’en tenir à l’objet de leur convocation à la presse. Les échanges rapportés par l’Express nous montrent la journaliste prenant congé en appelant l’avocat par son prénom. Une familiarité choquante venant d’une journaliste, le vouvoiement et les titres de civilité[2] étant de rigueur dans les fonctions publiques, quand bien même que l’on aurait pu avoir gardé les cochons ensemble !  

Mais il ne s’agit pas ici de se faire arbitre des élégances quand il importe surtout de prendre la réelle mesure de ce que cet incident représente pour la presse locale. Habitués à la comparaison des écarts de conduite des personnages politiques envers le corps journalistique, certains n’ont pas manqué de se référer aux précédents de Pravind Jugnauth qui avait notamment fait virer des journalistes de L’Express venus assister à la conférence de presse qu’il donnait dans le sud dans le sillage du naufrage du Wakashio. Ne trouvait-il pas normal son invitation sélective à une conférence de presse où Top FM était boycotté sans que personne ne l’envoie paître pour cette discrimination dont il assumait la responsabilité ? Alors, en quoi la comparaison entre Jugnauth et Badhain serait pertinente quand l’un comme l’autre appartiennent à cette même culture où l’on usurpe des pouvoirs dont on ne dispose pas ?

Accréditation et usurpation

Oui, il convient de se poser la question de l’usurpation de pouvoirs dans l’incident qui s’est produit à Moka. De quelle autorité pouvait se réclamer Roshi Badhain pour interroger le journaliste de la MBC, intimant même celui-ci à lui répondre par oui ou par non ? De quel pouvoir était-il fondé pour congédier ces membres de la rédaction de la MBC ?

Nous n’avons pu trouver le moindre fondement à cette autorité dont l’avocat s’est bel et bien prévalu devant un lot de journalistes, médusés pour certains et indifférents pour d’autres. En revanche, l’article 182 du Code Pénal décrit bien un délit désigné comme l’usurpation de la fonction publique : « Quiconque, sans titre, se sera immiscé dans des fonctions publiques, civiles ou militaires, ou aura fait les actes d’une de ces fonctions, sera puni de l’emprisonnement, sans préjudice de la peine de faux, si l’acte porte le caractère de ce crime ». Un acte criminel grave au point que le Code Pénal considère seulement l’emprisonnement pour sanctionner l’infraction.  

Ceux qui nous lisent ont besoin de comprendre, au préalable, que les journalistes qui viennent couvrir l’actualité de ce que l’on désigne comme « l’affaire Kistnen » sont légalement habilités à le faire d’autant qu’ils disposent de l’accréditation qui leur est délivrée par le Government Information Services (GIS) à cet effet. Cette accréditation, souvent présentée à tort comme une carte de presse[3], sert à démontrer aux agents de l’Etat que le titulaire peut avoir accès en des lieux sécurisés et autres établissements du service public parce qu’il a satisfait aux vérifications des services de renseignement à l’effet qu’il ne pose aucune menace à la sécurité de l’Etat. Seul un agent dépositaire de l’autorité publique peut éventuellement, dans des circonstances particulières, interdire l’accès d’une administration publique à un journaliste.

De quelle autorité pouvait se réclamer Roshi Badhain pour interroger le journaliste de la MBC, intimant même celui-ci à lui répondre par oui ou par non ? De quel pouvoir était-il fondé pour congédier ces membres de la rédaction de la MBC ?

D’autre part, les lecteurs, et de même les narcissiques qui pullulent au sein du personnel politique, doivent savoir que les journalistes n’ont absolument aucune obligation de publier la moindre ligne ou de diffuser tout ou partie de ce qu’ils enregistrent de l’actualité qu’ils couvrent. Même si un politicien, fut-il Premier ministre ou président de la République, tient le crachoir pendant trois heures, le journaliste peut considérer qu’il n’y avait là rien de pertinent – newsworthy – ou sa rédaction peut considérer que cela n’est d’aucun intérêt par rapport à sa ligne éditoriale – no newsvalue – ce discernement s’exerce dans une souveraineté qui ne souffre pas de conteste. Le personnage public qui se donne en représentation doit pouvoir survivre au peu de considération pour son égo boursouflé et, au cas contraire, il lui reste l’option d’aller pleurer dans les jupes de sa maman.

Tous ceux qui auront vu le clip vidéo sur les réseaux sociaux auront pu constater que, cédant à l’intimidation, le journaliste et le caméraman de la MBC vont quitter les lieux comme Roshi Badhain leur somme de faire. La menace d’être filmé et d’être exposé sur les réseaux sociaux leur est au point où ils omettent de poursuivre l’activité qu’ils sont « legally entitled to do ». Or, cette menace s’apparente à ce que l’article 291 du Code Pénal[4] décrit comme un « Criminal Intimidation ». Si l’infraction est avérée sous cette disposition de la loi, le coupable est passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an et d’une amende n’excédant pas Rs. 10 000.

Intervient aussi la question de la liberté de conscience. Le Code Pénal se montre particulièrement sévère pour toute infraction pouvant porter atteinte à la jouissance de ce droit fondamental. Faisant partie des droits individuels garantis par la Constitution, le journaliste fait son travail en exerçant cette liberté. Même si les nominés du gouvernement chargés de la direction de la radio-télévision nationale n’ont pas toujours connaissance de ce qu’il en coûte d’entraver l’exercice, il serait temps qu’ils découvrent les dispositions du Code Pénal à ce sujet. En effet, l’article 183 précise, entre autres que : « Tout particulier qui par des voies de fait ou des menaces, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes […] de faire ou quitter certains travaux, sera puni, pour ce seul fait, d’une amende qui ne pourra excéder 10,000 roupies, et d’un emprisonnement qui n’excèdera pas 2 mois ».

Les rudoiements sont souvent le fait des adolescents qui, ne pouvant s’engager dans un débat raisonné en raison d’un déficit de vocabulaire, se font valoir dans des rapports de force qui se réfèrent aux clichés de la virilité.

Maintenant, quand on relève trois éléments du Code Pénal qui semblent prima facie constituer des infractions dont le journaliste de la MBC aurait été victime, pourquoi diantre solliciter le Bar Council plutôt que de faire appel à la police pour que celle-ci enquête ? De toute manière c’est le DPP qui, se basant sur le rapport de la police, avalise la décision éventuelle d’entamer une procédure au pénal. Donc, à quoi ça sert aux journalistes de gloser sur le fait que ce pays serait un Etat de droit, quand les uns sont trop lâches pour s’en prévaloir et les autres trop ignorants pour les invoquer ?

Rudoiements et insécurités

Au sein de ce Media Trust, où l’éligibilité tient en cette accréditation présentée comme carte de presse, il est bien plus aisé de s’adonner à l’autocongratulation dans l’entre-soi des complaisants que de se montrer sourcilleux sur des usurpations auxquelles on a soi-même cédé. C’est peut-être ce qui explique la lâcheté à recadrer celui qui, par ses rudoiements fréquents, incarne bien le « bully » qui sévit par l’intimidation. Mais ceux qui sont formés aux sciences psycho-cognitives savent aussi que sous ce profil on trouve généralement des névroses qui traduisent des souffrances personnelles. L’insécurité culturelle en est souvent une manifestation ; les rudoiements sont souvent le fait des adolescents qui, ne pouvant s’engager dans un débat raisonné en raison d’un déficit de vocabulaire, se font valoir dans des rapports de force qui se réfèrent aux clichés de la virilité.

D’ailleurs, on aura noté que le juriste, ancien ministre de tutelle de la MBC, au moment de congédier le journaliste de la MBC, use du terme « feuille de route ». A ne pas confondre avec la lettre de renvoi, la feuille de route est, en réalité, un ordre de mission. C’est ainsi, au plan militaire comme au niveau des entreprises, reconnaître des compétences à un chargé de mission qui se voit, par conséquent, fondé de pouvoirs. Au plan local, on pourrait user de l’exemple de la confusion entre « depuis » et « jusqu’à ». Il y a de ces distinctions auxquelles certains ne parviennent pas. Mais, celui dont le vocabulaire limité et approximatif autorise le raisonnement abscons, peut s’accommoder de la formule « dépi démin » !

L’olibrius, par définition, est un homme qui se fait fâcheusement remarquer. Roshi Badhain souffrira, ou se consolera, de n’être pas le seul au sein du personnel politique mauricien.

Joël TOUSSAINT


[1] Roshi Badhain : « Je n’ai rien de personnel contre le journaliste de la MBC (…) je ne voulais en aucune façon le faire se sentir mal à l’aise. (…) Je ne m’adressais pas à lui. Au contraire, je parlais au cameraman qui était là ».

[2] Ou le nom complet, le cas échéant.

[3] Il n’y a pas d’instance à Maurice légalement habilitée à émettre de carte de presse. Il faudrait pour cela un organisme d’autorégulation pour la profession qui aurait alors le pouvoir de reconnaître ceux exerçant la profession de journaliste et aussi le pouvoir de destituer un titulaire pour manquement au code de déontologie.

[4] 291 Criminal intimidation – Any person who threatens another, either by writing or verbally, with making any disclosure or imputation which may cause any injury to his person, reputation or property, or to the person, or reputation of any one in whom that person is interested, with intent to cause alarm to that person, or to cause that person to do any act which he is not legally bound to do, or to omit to do any act which that person is legally entitled to do, as the means of avoiding the execution of such threat, shall be guilty of criminal intimidation, and shall be liable to imprisonment for a term not exceeding one year and to a fine not exceeding 10,000 rupees.


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