Un « gagging order » quand la loi est muette

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M. Caramben (centre) a-t-il eu raison de laisser aux parties engagées – l’administrateur Arvindsingh Gokhool (g) et lYogita Babboo-Rama de l’AMCCA (d) dans ses rencontres de conciliation la discrétion de leur communication aux tierces parties?

L’issue que la Cour suprême donnera à la requête des administrateurs d’Air Mauritius (MK) est une question d’intérêt public dans la mesure où ce « gagging order » qu’ils voudraient imposer à l’AMCCA, le syndicat des PNC. Le contentieux majeur, tient au fait que Mariahven Caremben, le représentant du ministère du Travail et des Relations Industrielles, n’ait pas agrée à la requête du représentant légal des administrateurs, Me. Avinash Sunassee, pour restreindre les expressions de l’AMCCA sur la procédure. Cette affaire se présente comme une poupée russe : on y trouve aussi bien le mutisme de la loi sur la question de confidentialité que le reproche fait aux représentants du syndicat d’évoquer ce que dit la loi. La démarche des administrateurs vient poser des contraintes, par extension, à la presse qui a le devoir de rapporter des disputes entre parties mais qui se doit d’observer la réserve qu’elles s’imposent dans le cadre d’une procédure de conciliation et de médiation.

Nul besoin de grande enquête pour chercher à savoir ce qui s’est passé dans les coulisses de ces tentatives de conciliation entre l’AMCCA et les administrateurs de MK, Satar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool, tous deux de la firme comptable Grant Thornton. Il suffit de se référer à ce que les administrateurs documentent eux-mêmes dans leur affidavit pour réaliser que loin d’avoir rapproché les parties, l’exercice aura plutôt produit d’autres divergences.

Il suffit aussi de prendre acte du fait que le président de la Commission de Conciliation et de Médiation (CCM) ait retenu 17 points litigieux qui devraient faire l’objet d’une procédure devant l’Employment Relations Tribunal pour comprendre que déjà à ce niveau initial l’exercice de conciliation aboutit à un désastre puisque les administrateurs n’y participent pas. Au-delà de ces 17 points que M. Iswarduth Seetohul, le président de la CCM, aura retenu, il s’abstient de considérer la question du protocole sanitaire qui oppose les deux parties.

Compte tenu de l’urgence pour la résolution de ce différend M. Seetohul, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, va orienter les représentants de l’AMCCA vers le dispositif convenu sous la section 68 de l’Employment Rights Act qui prévoit des réunions de conciliation avec un Supervising Officer du ministère. Ici, l’exercice est moins formel que dans les instances du CCM, mais l’issue permet de dégager un accord collectif qui est alors documenté par les deux parties et qu’ils s’engagent à respecter.  

Dans leur affidavit, les administrateurs estiment que les représentants de l’AMCCA et Yogita Babboo, la présidente du syndicat en particulier, auraient fait des déclarations inexactes dans la presse ou dans la newsletter à ses membres affiliés, et que l’éventualité d’une grève a été évoquée. Si l’on ne peut se prononcer sur la question de l’exactitude ou non des déclarations puisqu’elle est soumise à l’appréciation des juges, en revanche, la question de l’éventualité d’une grève relève d’une évidence. A moins d’être paresseux ou imbécile – c’est possible, la profession n’en est pas exempte – les journalistes devraient savoir que la loi sur les relations industrielles prévoit soit l’arbitrage ou une procédure de grève – voire le lock-out qui peut être envisagé par l’employeur – quand les exercices de conciliation n’aboutissent pas à un accord. Qu’un interlocuteur, en l’occurrence Mme. Babboo dans ce cas précis, puisse le dire revient seulement à faire écho de ce que dit la loi.

L’article 68 de l’Employment Relations Act ne prescrit rien en matière de communication sur les disputes qui font l’objet de réunions de conciliation

La loi, cependant, demeure muette sur la question de la confidentialité que devraient observer, selon Me. Sunassee, les parties engagées dans une réunion de conciliation avec un Supervising Officer du ministère. La loi ne faisant pas provision spécifiquement de l’observance d’un caractère privilégié aux échanges dans le cadre de ce service de conciliation, M. Caramben a-t-il eu raison de s’en remettre à la discrétion des parties ? Me. Sunassee trouvera-t-il les arguments pour convaincre la juge d’émettre le « gagging order » des requérants ? Ou est-ce son confrère Me. Shakeel Mohamed qui parviendrait à convaincre la cour que ce qui est reproché à ses clients n’existe pas en droit ?

Cette détermination de la Cour Suprême n’est pas seulement attendue de la part de ceux qui à Maurice s’intéressent à ce cas d’école. En effet, la International Transport Federation (ITF), la plus importante des fédération mondiale des syndicats opérant dans le domaine du transport aérien et maritime et aussi la plus influente de ce secteur auprès de l’Organisation Internationale du Travail, a écrit au Premier ministre, Pravind Jugnauth, pour faire part de leur préoccupation du fait que l’AMCCA fasse l’objet d’une telle procédure en Cour Suprême alors que le syndicat s’était engagé dans une procédure de conciliation pour obtenir des protocoles plus conformes aux risques sanitaires auxquels ils devaient faire face dans le cadre des vols commerciaux qu’ils doivent opérer.


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