La farce policière… Quand la justice est suppliciée !

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Un des suspects malmenés par des policiers du poste de Terre-Rouge

Suffit-il de sanctionner ceux coupables des traitements inhumains et dégradants sur les personnes interpellées pour que la police retrouve l’efficacité de son fonctionnement ? Est-ce que le fait de virer le présent commissaire pour que les faits qui ont indigné les Mauriciens disparaissent ? Est-ce qu’une démission de Pravind Jugnauth pourrait résoudre ce problème que ces prédécesseurs n’ont pas résolu en leur temps ? Est-ce que le silence de la Cheffe-Juge dans la circonstance minimise la responsabilité des magistrats qui ont abondé dans le sens de la police plutôt que d’exercer davantage de circonspection face aux aveux qui ont mené à de nombreuses condamnations ? Ces quelques questions montrent la complexité de cette problématique malheureusement réduite à ces formules toutes faites qui alimentent tous les populismes.

Certes, dans de nombreuses démocraties, on n’aurait pas été surpris que des ministres et d’autres responsables institutionnels fassent d’eux mêmes le choix de se retirer. De toute évidence, à Maurice, comme ailleurs de plus en plus, le temps est révolu où les tenants de hautes fonctions étaient mus par leur conscience de la responsabilité comme par leur sens de l’honneur. De telles démarches individuelles ont pour vertu, non seulement de décanter la situation quand l’indignation populaire est à son comble mais aussi de prendre la mesure de la faillite institutionnelle qui a fini par produire le dysfonctionnement. Le problème est bien plus complexe que ce que la presse généraliste nous donne à voir. Bien plus complexe que ce que les avocats ou ceux de l’opposition parlementaire ou extra-parlementaire évoquent. Ceux-là délivrent leurs punchlines dans la presse à sensation et sur les ondes des radios trop contentes d’alimenter ainsi leur audimat.

L’effort de compréhension commence dès lors que l’on réalise que les services de police sont bien ceux que l’on désigne comme les « forces de l’ordre ». Cette police est investie de pouvoirs conférés par l’État pour assurer le maintien de l’ordre au sein d’une société. Ce qui implicitement signifie que la manière dont les membres de cette société usent de leurs libertés – en dépit des angélismes et autres vertus idéalisées – revêt souvent un caractère abusif envers plus faibles qu’eux… La violence, physique ou psychologique, dont font montre les individus ou groupes dominants a alors besoin d’être contenue, voire maîtrisée, par l’usage d’une force supérieure dont il est convenu cependant qu’elle devrait être « proportionnée ».

A tainted occupation…

« La lutte contre le crime et la délinquance, ou plus largement les désordres, invite la police à employer des méthodes qui se distinguent parfois peu de celles de leurs adversaires », commentent les sociologues Fabien Jobard et Jacques de Maillard qui ont traité justement cette question de déviances policières1. « La faculté des policiers d’employer la force dès que la situation le requiert ajoute à la contiguïté permanente de la fonction policière et du scandale : la force choque et surprend d’autant plus que chacun en est privé dans la conduite de son existence, et qu’elle gagne ainsi une aura de mystère, de scandale et de sacré, qui déteint sur la police », expliquaient-ils. Ces mêmes sociologues faisaient aussi référence aux travaux d’Egon Bittner2, qui estimait que la police, est une activité « souillée » (a tainted occupation) : par les milieux qu’elle combat, les moyens qu’elle emploie, le mystère qu’elle suscite.

« Lapolis pa là pou donn dimounn bibron » : affirmation attribuée à Paul Bérenger, lorsque le MMM s’était retrouvé au pouvoir. partisan de la bastonnade pour disperser les manifestants qui lui étaient opposés. Anerood Jugnauth, l’ancien magistrat que le MMM s’était déniché pour en faire son Premier ministre il y a 40 ans, allait montrer que lui non plus n’était pas pétri de cette culture des droits de l’homme dont se gargarisaient pourtant les gauchisants de son ancien parti. Son parti à lui, le MSM, ne s’en réclamait pas et ainsi, les deux rustres estimaient qu’il suffisait de draper la pauvreté de leur vocabulaire et le recours instinctif à la force par une formule sentant bon le populisme. Face à l’éloge de la violence, c’est toujours Bittner que nous préférons citer pour son descriptif de la police par rapport au paradoxe de sa mission de « force de l’ordre ». « The police are a mechanism for the distribution of non-negotiable corcive force employed in accordance with the dictates of an intuitive grasp of situational exigencies », explique-t-il.

Ce qui précède nous montre bien que parler de « brutalités policières » relève plutôt d’un vocabulaire imprécis. Il ne saurait non plus être question de « bavures policières » tant le nombre de cas nous indique le caractère systémique de ce dysfonctionnement. Ce dont il convient de prendre acte, c’est que, au-delà des preuves qu’elles pourraient constituer dans des procédures de justice en faveur des victimes, les vidéos de torture qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux sont les éléments symptomatiques de « déviances policières ». Déviance, parce que la police mauricienne a dévié de ses missions, au nombre desquelles celle d’assurer le maintien de l’ordre et de contribuer à la concorde, et surtout d’être auxiliaire de la justice. Déviance aussi en ce qui concerne le comportement des officiers de police dont l’état mental est tel qu’il ne leur permet pas de s’abstenir de la barbarie à laquelle l’être humain devrait se refuser. Les normes sociales, rappelons-le, condamnent pareille barbarie par le biais de lois édictées par les représentants au conseil législatif.

« Mo met twa gard »

« Mo met twa gard », disaient les anciens à leurs enfants qui prenaient le pli du mauvais sujet. Du temps de l’administration coloniale, les officiers de la police de Sa Majesté assumaient bénévolement un rôle de moralisateur, une fonction communautaire aussi utile et respectée que celle de l’enseignant vénéré. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas quelques abus ici et là. D’après nos recherches à ce jour, Nanard3, a eu droit à un procès sous une charge d’homicide parce que ce cambrioleur-justicier, sorte de Robin-des-Bois local, était devenu un élément qui avait trop nargué la police de Sa Majesté en leur filant entre les doigts à chaque fois. Mais, pour revenir plus précisément à notre sujet, le jeune homme passait alors quelques heures au poste en compagnie de ces hommes en uniforme, en bonne condition physique et aussi respectueux des règles que de leur hiérarchie, qui usaient alors de leur autorité avec bienveillance. Ce qui avait le don de ramener plus d’un à la raison.

Cette forme de police préventive diffère certainement de celle obsédée par l’aveu de culpabilité à arracher à tout prix. Au détriment même de la vérité, pervertissant ainsi le cours de la justice qu’elle est censée servir. Nous sommes ainsi au cœur même d’un paradoxe où ce n’est pas la police de l’administration coloniale, mais bien celle de l’île Maurice indépendante et désormais républicaine, qui opprime, persécute et torture.

Comment se fait-il que l’on en soit là ? Comment des personnes interpellées sont ainsi livrés à la police qui peut en disposer à sa guise ? A partir d’un méfait constaté ou déclaré, il y a des éléments de la force policière qui s’en vont interpeller des individus, généralement sur la base des informations recueillies au cours de l’enquête et d’allégations présentant des éléments probants, mais aussi quelquefois farfelues et diversement motivées. La déviance commence déjà quand des individus interpellés, en particulier ceux ne représentant aucun danger véritable, sont détenus pour la nuit au prétexte que les dépositions auront duré au-delà des heures à laquelle un haut-gradé aurait pu valider une libération sur parole. Le lendemain, le procureur de la police (police prosecutor) prendra le relais au moment où l’interpellé est déféré devant la Bail and Remand Court pour objecter à la remise en liberté de celui qui, en vertu d’une charge dite provisoire, est passé au statut de prévenu durant la nuit. Le.a. magistrat.e. adoptera généralement le rituel consistant à accorder la liberté sous caution avec contraintes policières si un avocat est rentré en jeu entre-temps pour convaincre la cour que le prévenu respectera les conditions attachées à sa liberté et ne risque pas d’intimider les témoins.

Les irresponsables politiques

Quand il s’agit d’accusations farfelues et sans fondement, les charges sont tout simplement abandonnées au bout d’une année. Le mal pour le prévenu est fait. Les cas de réparations, s’ils existent, demeurent très peu connus. Nombreux sont ceux qui ne retrouvent pas les montants versés pour la caution, soit parce qu’ils auront égaré le minuscule reçu ou que celui-ci s’est effacé durant ce temps. C’est à se demander pourquoi la population vote pour un pléthore de juristes s’ils sont oublieux de ce type de détails qui n’en est pas un pour la multitude concernée. Le Trésor public, que ce soit par la paresse ou le je-m’en-foutisme de ses fonctionnaires, ne sait pas restituer ces montants par lesquels il s’enrichit outrageusement. Pourtant l’informatique permet de retracer le paiement et la carte d’identité sert justement à authentifier la personne qui a fait l’objet de la caution.

Lorsqu’il s’agit de délits de droits communs, c’est la détention préventive en attendant la fin de l’enquête. Ainsi, ceux qui se sont retrouvés « on remand », à défaut de moyens de se procurer les services d’un avocat, croupissent en cellule. Les autorités pénitentiaires se sont même retrouvés avec une mère et son fils qui, en l’absence d’un procès en bonne et due forme, avaient passé trois ans derrière les barreaux ! La célérité de la justice est ralentie par qui, sinon ceux-là même chargés des enquêtes ?

A titre de comparaison, le Crown Court britannique exige que toute enquête policière soit résolue dans un délai de six mois, sous peine d’un rejet simple de l’affaire en cour. Ce qui nous fait réaliser que toute la farce policière à Maurice est devenue parodie de justice, puisque le judiciaire s’est jusqu’ici gardé d’exigences similaires. De même, la succession de ministres chargés du portefeuille de la Justice n’ont pu considérer que cela relevait de leur devoir.

Ce sont bien par les manquements lamentables de ces dirigeants politiques que la police s’acquitte pauvrement de sa fonction d’auxiliaire de justice. Ce sont pourtant les tenants de ces fonctions, et avec eux ceux chargés du ministère de l’Intérieur, qui ont la responsabilité de veiller aux toutes premières dispositions de la Constitution qui, selon les dispositions de l’article 3 (a) garantit au citoyen mauricien ses droits fondamentaux, qui sont « le droit à la vie, la liberté, la sécurité de la personne et à la protection légale ».

Grand se croit néanmoins Pravind Jugnauth, au point de seulement se contenter d’une recommandation au respect des droits humains à des officiers de police fraîchement promus. Ceci après avoir feint l’ignorance de ces abus qui ont offusqué une majorité de Mauriciens. Voilà un ministre, le Premier du Cabinet, qui ne craint pas d’ainsi incarner l’impéritie. L’attitude, des plus irresponsables, tient à la culture obsessionnelle à tout ramener à la grille électoraliste et révèle sa difficulté à s’élever au rang d’un chef d’État. Ce qui, bien entendu, laisse le champ libre aux exploitants de scandales qui en usent pour avancer leur popularité en accentuant la crise dans sa dimension partisane. Au détriment d’une résolution effective d’un véritable problème social qui compromet autant l’exécutif que le fonctionnement du judiciaire. Au plan policier, c’est la justice que l’on assassine, et au plan politique, les fossoyeurs de la démocratie sont à l’œuvre.

Joël TOUSSAINT

1 Sociologie de la Police, ch. 5 Déviances policières, Fabien Jobard et Jacques de Maillard, Collection U, Ed. Armand Colin, 2015

2 The functions of the Police in Modern Society, A Review of Background Factors, Current Practices and Possible Role Models – Egon Bittner, Ph.D, Brandeis University, National Institute of Mental Health, Center for Studies of Crime and Delinquency, Chevy Chase, Maryland 20015, Nov 1970.

3 Nanard, de son vrai nom Léonard Armoogum, avait été arrêté suite à des blessures subies quelques jours plus tôt en fuyant les policiers lancés à ses trousses. Il a été accusé du meurtre du bijoutier Singaron lors d’un cambriolage qui aura mal tourné. L’accusé, qui a assumé de nombreux larcins a, cependant, nié jusqu’à la fin son implication dans ce meurtre pour lequel il a été condamné à mort.


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