Mario Nobin est aussi intervenu dans l’affaire Hurreechurn

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L’allégation de l’ASP Boodhram, à l’effet qu’il aurait reçu des instructions du commissaire de police pour émettre un passeport en urgence à Mike Brasse, serait-elle farfelue ? C’est ce que l’ICAC tente de déterminer, alors que le CCID est aussi saisi de l’enquête dans cette affaire qui vient dans le sillage de révélations de L’Express. Mais, cette allégation prend une valeur particulière si l’on tient compte du fait que Mario Nobin était intervenu dans un autre cas, celui de l’enquête de la National Preventive Mechanism Division (NPMD) sur le suicide suspect du constable-passeur Arvind Hureechurn. Cela, un mois seulement après son intervention pour le passeport de Mike Brasse.

Me. Lam Hung avait reconnu que le CP l’avait appelé le 2 novembre 2016 au sujet du cas Hurreechurn mais n’a jamais révélé la teneur de la conversation. Par contre, Marie Lourdes Lam Hung allait, d’une part, monter en épingle l’intervention à la radio de Mme. Anishta Babooram-Seeruttun, membre de la National Preventive Mechanism Division (NPMD) de la Comission des Droits de l’Homme ; d’autre part, elle décrétait que la note de Me. Hervé Lassémillante ne constituait pas un rapport et que la commission soumettrait son rapport suite à l’enquête qu’elle avait initié de son côté.
 
Les membres de la NPMD avaient démarré leur enquête aussitôt qu’ils avaient été informés du décès du constable Arvind Hurreechurn. On se souviendra que dans une note rédigée à la suite de la visite des membres de cette équipe à la cellule 14 du centre de détention de Moka, Me. Hervé Lassemillante, le vice-président de la NPMD, était arrivé à la conclusion que ce décès, présenté comme un suicide, devait être considéré comme un cas suspect.
 
Evoquée par le Leader de l’Opposition d’alors, Paul Bérenger, l’affaire allait susciter quelques débats lors de la 33ème session parlementaire de 2016. La note rédigée par Me. Lassémillante fut déposée à l’Assemblée législative par le député MMM Veda Baloomoody. Me. Lassémillante avait noté que les caméras en circuit fermé ne fonctionnaient pas dans certaines cellules du centre de détention, dont celle du prévenu. Il considérait que cette détention, dans une des cellules ne pouvant être supervisée par la caméra CCTV, constituait une gaffe pour une affaire aussi importante que l’importation de drogue : « Il est connu que des accusés de trafic de drogue qui pourraient parler et dénoncer sont soumis à de sérieux risques », avait-il fait remarquer.
 
La National Human Rights Commission n’aurait pas dû confier son enquête à la police, estimait le Premier ministre, Sir Anerood Jugnauth, à l’Assemblée. Cette commission, expliquait-il, agit dans le cadre de la Protection of Human Rights Act 1998,  et comme il est mentionné sur le site du gouvernement : « The NHRC is mandated to visit police stations, prisons and other places of detention. »

Obstruction à l’enquête?

On ne pouvait être plus explicite. C’est bien ce qu’auront fait les membres de la National Preventive Mechanism Division (NPMD) sous l’œil vigilant de Me. Hervé Lassemillante,  qui s’en allait lui-même régulièrement visiter les centres de détention et les pénitenciers. Mais c’était sans compter l’empêchement décidé par Mme. Lam Hung.
 
Shakeel Mohamed, n’avait aucun mal à saisir la portée de la déclaration de SAJ disant souhaiter que la commission des droits de l’homme fasse son enquête. Il est juriste certes, mais il venait aussi d’être approché par Mme. Anishta Babooram-Seeruttun qui avait souhaité qu’il la représente ayant été sommée de s’expliquer au niveau de la Commission des Droits de l’Homme. Le député travailliste allait ainsi  animer une conférence de presse dans la foulée, pour (1) évoquer la nécessité que le CP « step down » ou démissionne et (2) inviter à considérer la question que Mme. Lam Hung ait pu faire obstruction à l’enquête et qu’elle ne devrait plus y être mêlée.
 
Suivant des révélations des journalistes de l’équipe d’Axcel Chenney de L’Express, l’ASP Narendra Kumar Boodhram, ancien patron du Passport and Immigration Office (PIO), a confirmé à l’ICAC et à la presse que le CP Nobin serait intervenu pour qu’un « Restrictive Passport » soit octroyé à Mike Brasse. Le passeport, remis le 17 septembre 2016, a permis à ce dernier de se rendre le même jour à La Réunion. Sur place, le skipper se fait arrêter avec 42,6 kilos d’héroïne, dont la valeur marchande à Maurice est estimée à Rs 600 millions !

Mike Brasse (g) ASP Boodhram (d)

L’ASP Boodhram,  entretemps muté dans le Sud, affirme avoir reçu un appel de Mario Nobin qui lui aurait dit : «Éna enn boug apel Brasse inn perdi so paspor ek li bien bizin vwayazé. Mo finn anvway ou Domah so rapor é mo pé dir boug-la vinn laba. Fer li gagn so paspor».
 
Ceux interrogés dans l’enquête menée par le CCID auraient aussi déclaré avoir agi sous les ordres de Mario Nobin. Parmi ceux-là : Vinod Domah, assistant commissaire de police parti à la retraite, officiait à l’époque comme Divisional Commander du Nord. Un Chief Clerk avec grade de sergent affecté à la Northern Division aurait aussi déclaré que Mike Brasse était venu les voir sur les instructions du CP.

Les reflets de la réalité…

La situation dans laquelle se trouve Mario Nobin aujourd’hui suscite bien des embarras et les inquiétudes par rapport à la sérénité de l’enquête sont évoquées ouvertement, compte tenu de la fonction de l’intéressé qui dispose de nombreux pouvoirs sous la Constitution. L’éventualité qu’il se retire durant les enquêtes ou qu’il démissionne de ses fonctions est aujourd’hui très largement évoquée, et souhaitée même. Il en était de même après que le NPMD fut dessaisi de l’affaire Hureechurn. Sauf qu’il est désormais possible de prendre la mesure des dommages causés par cette décision de Me. Lam Hung où l’interférence prit le pas sur la transparence…
 
Comme on le sait, la gendarmerie à La Réunion n’avait pas pris cas des demandes de coopération de leurs homologues Mauriciens. Par ailleurs, les services de Me. Lassémillante ont été entretemps retenus au niveau de la Financial Services Commission (FSC). Mme. Anishta Babooram-Seeruttun a été limogée en juin 2017 par la Commission des Droits de l’Homme, valant à celle-ci d’être critiquée par le haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Sir Malcom Evans, président du sous-comité pour la prévention de la torture, qui signait la lettre remise à Israhyananda Dhalladoo, le représentant permanent de Maurice à Genève, faisait ressortir que l’Etat avait refusé de justifier le limogeage d’Anishta Babooram. Le bureau du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme s’inquiétait surtout du manque d’indépendance de l’instance mauricienne vis-à-vis des dirigeants politiques. Le ministre de la Justice, Maneesh Gobin considérait pour sa part que le communiqué des Nations-Unies ne reflétait pas la réalité…
 
Pour peu que le cas Hureechurn s’ajoute à l’affaire qui embarrasse déjà le commissaire Nobin, la réalité des affaires pourrait s’imposer au-delà des gigotements partisans. Reste à savoir si l’ICAC va s’intéresser à ce cas trop vite oublié. Les avocats des proches du défunt, qui intentent déjà un procès en réclamations à l’Etat, pourraient s’inviter à l’affaire. Ou alors, c’est l’avocat d’Anishta Babooram qui pourrait donner le coup de fouet pour faire ronfler la toupie des enquêteurs.
 
Arvind Hureechurn n’avait pas fini son déballage ; mais, il fera sans doute encore parler de lui…
 
Joël Toussaint


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