Gopia : Une histoire de cerveaux lents…

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Flics aux ordres pour ploucs en délire : les dindons de la farce ou… les « gopias » de la force ?

Serait-ce une offense que de traiter quelqu’un de « gopia » ? Et si cela s’avérait, est-ce que l’offense serait de nature à justifier une détention ? Le commissaire Dip gagnerait à prendre une petite heure hebdomadaire avec sa pléthore de « prosecutors » pour éventuellement s’instruire de ce qui est attendu de la police qu’il dirige en matière de justice. Pour peu que le plus futé d’entre eux aurait le sens de la jurisprudence autant que de l’humour, il pourrait taquiner quelque peu son chef hiérarchique pour mériter toute son attention. Il lui citerait alors un cas d’école avec les propos suivants : « To enn pilon ! Si to enn mari, to vinn lagèr ! ».

Cela fait maintenant 25 ans[1] que le magistrat Stephen démontrait la nécessité de faire de la pédagogie sur la jurisprudence en cour de première instance. Les propos mentionnés plus haut sont ceux que l’on retrouve dans l’affaire Gowin vs Bangaroo ; le premier, le plaignant donc, s’estimant diffamé par les propos du défendeur. Ou devrait-on dire qu’il s’agissait plutôt du point de vue de ses représentants légaux. Car, Rex Stephen va leur apprendre qu’il n’a aucune difficulté à admettre que le défendeur a effectivement tenu les propos incriminés, mais que ceux-ci ne pouvaient être qualifiés diffamatoires puisque relevant davantage de l’insulte.

Pour soutenir son point de vue, le magistrat Stephen citait le jugement de Coralie contre la Couronne (Coralie v R. 1975 MR 271) et celui de Sajeewon v Jeewan 1981 MR 165. Il suggérait aussi de considérer l’affaire Lesage v Mason (1976 MR 172) pour une vue en profondeur de ce type de litige pouvant se qualifier sous l’article 1382 du Code Civil. Il avançait même qu’il aurait rejeté l’affaire in limine[2] « had it been so canvassed ».

L’affaire se solda, certes, en faveur du plaignant mais ses représentants légaux n’étaient pas parvenus à convaincre le magistrat que le préjudice causé était à la hauteur des Rs. 50 000 de dommages réclamés. Le plaignant Gowin n’obtint ainsi que Rs. 5 000 de Bungaroo à titre de réparation pour cette insulte.

Alors, « Gopia », est-ce diffamatoire ou cela relèverait-il plutôt de l’insulte ? Il est raisonnable de penser que le magistrat qui se penchera sur l’affaire devra à nouveau user de pédagogie. Parce que, de toute évidence, la différence demeure incompréhensible pour certains aux Casernes centrales, dans la mesure où ceux-là estiment qu’il pourrait même s’agir d’une offense pouvant justifier la détention d’un prévenu !

Pourtant, les fonctions du policier sont telles qu’il est régulièrement confronté à ces situations où les mésententes entre individus peuvent entraîner des invectives de nature insultante. Il en est ainsi du cas où Bungaroo exprimait son énervement en invitant Gowin à se battre et suggérant une impotence quant à sa virilité sexuée. L’invitation à la confrontation physique aurait-il outragé le plaignant tout autant si son opposant aurait dit : « Si to enn zom, vinn lagèr ! » ? On peut ainsi réaliser que le contexte influe grandement sur la perception de l’insulte et que dans le cadre social mauricien l’outrage survient à partir d’un doute émis sur l’intégrité sexualisée d’un individu, dans ce sens qu’il y aurait eu atteinte à son intimité ultime, en l’occurrence le questionnement de son identité sexuelle.  

Des crétins en politique

Alors, « Gopia » ? Qu’il s’agisse du dictionnaire Kréol, ou du bon sens découlant de la manière dont le terme est usité dans la vie courante, le terme désigne un idiot, un imbécile. Ici aussi il est fait allusion à une impotence, celle-ci, toutefois, se référant à la qualité cérébrale de la personne visée. Si l’invective contenant une suggestion de caractère sexué laisse l’outragé sans recours raisonnable, en revanche, l’allusion à l’imbécillité laisse à celui que l’insulte vise de pouvoir se distinguer par ses répliques ou par son attitude. Les plus intelligents savent même qu’il suffit parfois d’un sourire pour désarmer l’impudent qui s’aventure dans ces champs minés : on se souviendra davantage des limitations de ceux des politiciens qui osaient trouver que leurs pairs étaient « limités intellectuellement » ou qui trouvaient en leurs adversaires de « petits crétins ». Barack Obama, par exemple, pourrait disserter durant de longues heures sur la manière dont certaines humiliations peuvent faire surgir des monstres politiques à l’instar de Donald Trump. Et des « petits crétins » nous en révèlent désormais de bien plus grands quand on assiste aux désertions humiliantes que subit le mouvement auquel s’identifiaient, il n’y a pas si longtemps, ces militants mauriciens du renouveau sociétal et politique…

En réalité, c’est celui qui ose suggérer l’imbécillité de l’autre qui prend le risque d’être contredit – et parfois même de manière cinglante – quand il s’agit de faits vérifiables notamment. Mais souvent, néanmoins, l’imbécile confirme, par son attitude ou ses agissements, le jugement défavorable dont il fait l’objet. Ainsi, ceux qui vont se plaindre à la police, comme autant de gamins qui s’en vont pleurer dans les jupes de maman. A bien des égards, toutefois, la bêtise paraît contagieuse : au lieu de simplement renvoyer les pleurnichards, il y a des policiers qui initient des procédures alors que celles-ci peuvent connaître un piteux aboutissement : que le parquet ou qu’un magistrat détermine le caractère frivole de ladite procédure !   

A partir de là survient une autre problématique qui relève surtout des droits du citoyen d’entretenir des opinions défavorables au sujet de ses représentants législatifs. En somme, le citoyen serait-il disqualifié de maugréer à l’encontre de ses représentants dès lors qu’il considère, à tort ou à raison, que ceux-ci se montrent incapables d’une telle représentation ? Certains hommes politiques semblent avoir des difficultés à convenir de ces opinions qui leur seraient défavorables, voire hostiles, préférant celles de leurs partisans dans lesquelles ils se complaisent volontiers. C’est certainement là une contradiction, autant que le défaut d’une éducation, que de s’adonner à la représentation publique et de n’être aucunement disposé à la désapprobation et la critique du public ! 

Mégalomanie délirante

En fait, ces questions relèvent des rapports que certains individus engagés en politique pourraient entretenir avec la notion de pouvoir. Il s’agit d’un rapport qui, en dépit des complexités de la psyché de chaque individu, s’établit de manière fort simple : est-ce que le pouvoir « monterait à la tête » de certains ? Et, est-ce que cette « montée » équivaudrait à une telle perte de contact avec la réalité que l’intéressé ne puisse souffrir ces commentaires qui le feraient « redescendre sur terre »

Il n’est pas nécessaire d’être diplômé de psychologie ou expert en psychanalyse pour réaliser que la description habituelle de personnes dites « narcissiques », ou aux « égos surdimensionnés » ne rend pas vraiment compte des comportements auxquels nous faisons face. Ce sont là les travers du langage courant et des conceptions de profane de certains troubles mentaux. En réalité, si nous énumérons un certain nombre de symptômes, nos lecteurs pourraient commencer eux-mêmes à s’interroger sur le comportement de leurs élus : la surestimation de soi-même, le délire de grandeur ; le délire de puissance ; une auto-attribution de capacités extraordinaires ; un désir immense de gloire ; un orgueil démesuré. Ce sont là, en l’état de la connaissance, les symptômes qui nous permettent de reconnaître l’individu mégalomane.

Ceux qui nous lisent attentivement auront réalisé que nous faisons une différence entre le « narcissisme » et la « mégalomanie ». Certes, on trouve dans les deux cas, le besoin excessif d’être admiré et un manque d’empathie. Toutefois, le narcissique souffre souvent de la mésestime de soi. Le mégalomane, au contraire, est convaincu de sa supériorité et, malheureusement pour lui, sa conviction est erronée.

Souvent la mégalomanie, ce comportement pathologique caractérisé par le désir excessif de gloire et de puissance, dérive du développement psychique de l’individu. Ces traits de caractère sont alors en lien avec la place attribuée à l’enfant au sein de sa famille : notamment le cas des parents qui sont toujours à célébrer le caractère « extraordinaire » ou « exceptionnel » de leur enfant ou ceux qui, par exemple, appartiennent à des familles privilégiées. Mais la mégalomanie peut aussi être délirante et ainsi s’inscrire dans un trouble mental sévère (la schizophrénie et le trouble bipolaire de l’humeur sont les causes les plus fréquentes de mégalomanie délirante[3]). Dans ce cas, on doit considérer la mégalomanie comme pathologique et nécessitant un traitement.

Mais pourquoi dire « Gopia » alors que ces politiques que les Mauriciens désignent par ce terme sont loin de correspondre aux « pauvres en esprit » consacrés dans les béatitudes[4] ? Pourquoi, en dépit des fausses promesses de campagne, ne pas convenir qu’ils pourraient être honnêtes à ce chapitre et par conséquent ne pas les désigner par ce terme qui les dédouanerait de toute responsabilité ? Puisqu’ils sont de ceux à se prétendre intelligents, plutôt donc que de constater les limites de leurs prétentions que de l’intelligence elle-même, pourquoi ne pas reconnaître les perversités qu’ils infligent à ceux qui nuisent à leurs prétentions ?

L’identité des « Kas Paké »

En fait, la société mauricienne semble éprouver beaucoup de difficultés à franchir ce pas qui consiste à sanctionner les mégalomanes dont la classe politique est désormais affligée. Et cela s’explique assez aisément : il s’agit bien de ceux que les Mauriciens ont choisi comme leurs représentants. On aura beau invoquer le pouvoir coercitif qui use de la corruption des plus vulnérables économiquement, il faut néanmoins admettre que le libre arbitre ne pourra s’exercer tant que des corporations continuent de financer ces organisations mafieuses qui ont pris le parlement en otage.

Il nous faut nous en tenir à l’essentiel : les Mauriciens se choisissent des représentants qui seraient pour la plupart des mégalomanes. Comment pouvons-nous oser une telle affirmation ? Parce que les mots apportent du sens. Et ils viennent dire que les Mauriciens se choisissent des élus qui les représentent effectivement. Ce sont des gens qui, à bien des égards, leur ressemblent !

Il est peut-être bien nécessaire de revenir à un propos essentiel qui fut tenu jadis par la critique fort juste du travers du Mauricien… Ces propos qui affirmaient que le Mauricien était tellement imbu de lui-même qu’il pouvait considérer que le bon dieu avait créé l’île Maurice si parfaite et qu’il s’en inspira pour constituer le paradis… Même ces propos lapidaires du très génial Mark Twain ont été détournés par la mégalomanie mauricienne. En effet, les incultes, et les plus ignorants des aventuriers du tourisme mauricien, ont détourné ces remarques absolument dévalorisantes pour n’en retenir que la fin : « Dieu avait créé l’île Maurice si parfaite et qu’il s’en inspira pour constituer le paradis ! ».

Ainsi, les mégalomanes, les champions auto-proclamés du « kas paké », plutôt que d’être sanctionnés, sont toujours glorifiés. Parce qu’ils se conforment à l’identité véritable d’une population elle-même en plein délire mégalomaniaque ?   


[1] Rex Stephen entendait cette affaire le 4 avril 1997.

[2] In limine : D’emblée, c.à.d. au tout début même du procès.

[3] Dans le cas de la schizophrénie, la mégalomanie s’accompagne d’autres délires (de persécution, mystiques…). Dans le cas du trouble bipolaire, on retrouve souvent des signes d’exaltation de l’humeur (insomnies sans fatigue, hyperactivité non productive, accélération de la pensée…)

[4] Elles sont au nombre de huit dans l’Evangile de Saint Mathieu et de quatre dans l’Evangile de Saint Luc.


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