Le féminisme des têtes-à-claques !

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Le féminisme à la mauricienne aurait de quoi surprendre les féministes ailleurs sur le globe ou ceux bien plus authentiques et qui se reconnaissent comme tels. Depuis la gifle de l’acteur Will Smith à l’humoriste Chris Rock à la cérémonie des Oscars 2022, beaucoup de Mauriciens se considèrent féministes. Pas de ceux qui considèrent que la femme est tout à fait apte à se défendre dans une joute verbale et que sa protection physique ne serait justifiée que dans le cas d’une agression physique où le rapport de forces ne serait pas équilibré. Non, le féminisme de l’homme mauricien consiste essentiellement à se concevoir en mâle valeureux prêt à casser la gueule à celui qui oserait un tant soit peu « manquer de respect » à SA femme. Nous faisons bien ressortir l’élément de propriété car, il exprimerait les mêmes sentiments belliqueux s’il s’agissait d’une rayure à sa voiture.

L’attitude de l’homme ne semble pas indisposer les Mauriciennes. Si l’on s’en tient surtout à ce qui est exprimé sur Facebook en particulier, elles se soucient peu d’être féministes. Le fait d’être femme semble suffire à nombre d’entre elles, si ce n’est à la majorité. On pourrait trouver, dans cette catégorie, qu’elles s’accommodent très bien des machos et autres phallocrates à partir du moment où ceux-ci confortent leur égo narcissique. D’autres revendiquent leur statut de célibataire, avec une part de sarcasme couvrant à peine les frustrations découlant d’un échec amoureux ; le célibat souhaité étant plutôt muet.

Pourtant, quatre décennies plus tôt, le féminisme était un mouvement avec lequel il fallait compter à Maurice. La conscience des droits niés aux femmes était aussi celle des hommes ; inscrite dans la revendication militante, faisant même de la chanson « Krapo Kriyé » l’une des chansons emblématiques du courant dit « Kiltirel ». L’égalité des genres, avant qu’elle ne soit désignée par ces termes, était une notion déjà bien comprise dans les couches populaires par la formule simplifiée : « Esklav enn lot esklav ». La vision de classe établissait ainsi l’égalité homme-femme chez ceux qui n’avaient pourtant pas lu les concepts de Marx sur le matérialisme historique, mais qui maîtrisaient néanmoins, de manière empirique, la dialectique des esclaves et du maître. 

Que s’est-il donc passé ? Comment expliquer l’érosion de cette conscience politique à Maurice ? Autant donc procéder à un questionnement où chacun devrait finir par s’interroger sur sa vraie nature et ses rapports avec cette femme qui est sa mère, celle de ses enfants, son épouse, sa compagne, sa maîtresse, ses filles et au-delà du cadre privé, celles des autres.

Ce n’est pas le mercantilisme qui aurait fait dérailler la conscience féministe à Maurice. Certes, malgré la tendance surprenante à la répétition de la Saint-Valentin, on ne peut cependant accuser les commerces d’avoir développé un argumentaire commercial pour la journée internationale des Droits de la Femme. Ce qui est pénible pour la cause féministe à Maurice en particulier, c’est que la notion des droits soit oblitérée de la journée internationale qui y est consacrée.

Bann Madam : l’auto-exclusion sexiste

Nous sommes plutôt forcés au constat que l’érosion de cette conscience féministe à Maurice coïncide avec le délitement idéologique au MMM, plus particulièrement lorsque ce parti devient un mouvement qui se consacre au culte de son leader. Le parti bérengiste laissera ainsi la question des droits de la femme – et par extension les questions relatives à la famille – à une commission essentiellement féminine. Autant dire que les phallocrates de ce parti considéré progressiste avaient trouvé le moyen de renvoyer les femmes à leur cuisine !

La voie du progrès en politique étant ainsi tracée, les autres partis n’eurent aucune peine à reproduire chez eux la structure d’une commission des Femmes. Ainsi, plutôt que d’inclure des hommes dans la revendication des droits et l’élaboration des législations pour l’égalité hommes-femmes, « Bann Madam » obtinrent l’exclusivité de papoter entre elles, laissant même à leurs leaders respectifs l’option, à chaque élection, de communaliser la représentation féminine !

Faut-il s’étonner, à partir de cet état de fait, que les leaders en question se soient laissés eux-mêmes aller à des débordements qui en disent long de leurs rapports avec les femmes ? Tout le monde se souvient de la manière dont Navin Ramgoolam s’était adressé Nita Deerpalsing (le 1er mai 2010) dans son moment d’énervement pour un micro défectueux. La goujaterie du leader du PTr suscita bien quelques réactions, mais elles étaient loin d’être vives au sein de ce parti comme pour l’ensemble du personnel politique.

Tout progressiste que le MMM voulait paraître, son leader s’abstint cependant d’admonester Navin Ramgoolam. Pourquoi ? Parce que Paul Bérenger s’était lui-même précédemment (Août 2008) comporté comme un mufle à l’encontre de cette même élue. C’est bien ce Bérenger qui osa suggérer qu’il fallait qu’on lui trouve un mari pour la marier ! Cela, au sein même de l’Assemblée nationale où il était titulaire d’une fonction constitutionnelle, en l’occurrence celle de Leader de l’Opposition. Et comme si ces remarques méprisantes pouvaient être un tant soit peu justifiées, Rajesh Bhagwan vint expliquer que les propos de son leader tenait au fait de sa « colère ».

En bon opportuniste, Pravind Jugnauth se positionna aussi sur la question du féminisme. Pour nous procurer essentiellement une vision sur ses fantasmes : inviter ses partisans à le laisser seul avec leurs femmes ou avec leurs filles ! On peut attribuer sa diatribe ahurissante à son délire obsessionnel par rapport à Navin Ramgoolam, son rival dans le champ ethno-politique et dénoncé par ses opposants comme un homme par trop lubrique. Pravind Jugnauth se veut le héros qui terrasse son rival en se mettant en scène comme celui capable de maîtriser ses pulsions. Il se présente à la fois comme un sujet idéal, et en même temps comme un objet d’admiration. Au centre de tous les regards, il entend projeter une image sans ride. Mais dans l’énoncé de son fantasme, la femme n’est qu’un objet qui sert à la démonstration de sa prétendue chasteté. Réelle ou supposée, le gougnafier proposait ce critère pour se différencier de son adversaire.

Toutefois, au-delà du seul délire obsessionnel, l’énoncé de ce fantasme renvoie surtout à l’implicite d’un certain déterminisme œdipien. Nous sommes bien dans le champ de la psychonévrose et, à ce propos, on peut évoquer Freud : « Le rêve diurne chez l’homme révèle habituellement que toutes ces actions héroïques ne sont accomplies, tous ces succès ne sont remportés, que pour plaire à une femme et être préféré par elle à d’autres hommes ». Bien sûr la femme en question, avant toutes les autres, c’est la mère…

Ce n’est pas parce que chaque parti serait dirigé par de telles nullités que nous serions pour autant dans un jeu à somme nulle. Il y a de vrais perdants dans l’affaire et les pertes sont conséquentes pas seulement pour celles et ceux qui se battent pour l’élargissement des droits pour la femme, mais surtout pour celles qui demeurent une « esklav enn lot esklav ».

La féminisation du communalisme

Nous avons aujourd’hui des femmes, députés et ministres, qui, appartenant à ces partis dits « traditionnels » cautionnent cette féminisation du communalisme pratiquée par leurs dirigeants. L’école publique, sous la direction de la ministre de l’Education, Leela Devi Dookun-Luchoomun, n’initie pas aux droits fondamentaux et encore moins aux questions relevant de l’émancipation des femmes. Et forcément, ce n’est pas ce système éducatif qui produira une nouvelle génération de féministes.

Ce n’est pas meilleur en face, quand Joanna Bérenger, par exemple, vient proposer l’allongement du congé de paternité. Si à la place de son copié-collé, l’égérie du MMM se donnait la peine de considérer la réalité du congé de paternité dans les catégories des faibles salaires, elle s’apercevrait que ce temps est essentiellement consacré à une activité rémunératrice menée en parallèle. La vraie problématique, on s’en rend bien compte sur le terrain, est d’ordre salarial. Elle l’est pour nombre de situations difficiles auxquelles les femmes à faibles revenus doivent faire face et, nous osons postuler que cela va même jusqu’au viol conjugal. Car, il est subi le plus souvent parce que la femme ne pourrait quitter son agresseur de mari que si elle dispose d’une autonomie financière. Nous sommes bien dans ces situations où ce sont les revenus complémentaires qui permet au couple de faire face à ses obligations. N’oublions pas, en outre, les grossesses non-désirées et qu’à défaut d’une dénonciation dans les règles, l’IVG pour la pauvre femme n’est pas envisageable.

Que la presse généraliste n’en parle pas ne devrait pas nous étonner non plus. Il importe de réveiller les mémoires défaillantes à ce « Zak dan tant » du directeur de publications de L’Express. Le couillon Nad faisait ainsi allusion à la grossesse de la député Bérenger. Les allégations de droit de cuissage et de harcèlement survenues dans le sillage de la campagne #MeToo nous renseignaient sur l’étendue de la lâcheté de ceux de ces hommes assurant les offices de gestion des Ressources humaines ou de caution morale auprès du conseil d’administration.

On s’aperçoit ainsi que tout est lié de manière systémique. Que la femme soit perçue comme une propriété de l’homme nous ramène au fait que les droits des femmes relèvent essentiellement d’une question idéologique. Que la société, régie par ses tabous religieux ou superstitieux, s’autorise à consentir ou à nier des droits à la femme qui normalement aurait dû disposer de son corps comme l’ensemble des citoyens de leur libre-arbitre, nous indique de manière non-équivoque que le corps de la femme est politique. Et, en ce sens, l’engagement à la cause féministe ne peut se déterminer en fonction de ce que l’on a dans son slip. C’est bien là que, l’exclusivisme sexiste des commissions féminines révèle la déviance des partis politiques.

Qu’il s’agisse des partis politiques ou de l’école publique, le cloisonnement sexiste de la question féminine réduit le citoyen à n’être qu’une fente ou une bite. Et pourquoi la/le féministe ne devrait pas réagir par réciprocité à ces têtes-à-claques qui nous infligent d’aussi dégradantes réductions ? Will Smith a au moins eu le mérite de présenter ses excuses et de consentir à son exclusion de dix ans de l’académie des Oscars. Mais quand nos partis politiques font l’économie des sanctions à leurs dirigeants déviants et leur garantissent l’impunité, faut-il s’interdire le vœu que ceux qui estiment devoir recourir à la violence dès que l’on s’en prend à leurs femmes éprouvent le besoin de botter quelques honorables derrières ? Il suffirait que Mme. Koonjoo-Shah leur rappelle qu’en matière d’égalité des genres, les derrières se valent qu’ils soient dans un pantalon ou drapés d’un sari. Ce qui importe, c’est l’égalité de traitement.

Joël TOUSSAINT


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