Comment parler d’un crime qui n’existerait pas en droit ?

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Il n’y a pas lieu de le cacher : on nous a fait le reproche d’avoir offert la tribune à un contributeur, plutôt que d’évoquer nous-même la tournée délirante du MSM et de son Premier ministre dans les différentes circonscriptions de l’île. Reproche encore pour n’avoir pas évoqué la question de l’arrestation de Me Akil Bissessur. De prime abord, ces reproches semblent fondés. Nous assumons aisément le premier ; nous sommes persuadés que la tournée du cirque MSM ne mérite davantage que le billet d’humeur de notre contributeur. Quant à l’arrestation d’Akil Bissessur, cette affaire, nous devons bien l’avouer, nous contraint à reconnaître les limites de nos compétences en matières de compréhension, de discernement et de restitution d’un crime… dont le fondement nous laisse aussi pantois que dubitatif !

Welcome to Mauritius. Bienvenu à l’île Maurice. C’est le pays où l’on prétend faire un peu de tout et, malheureusement, de tout très peu et du peu, tout un foin. C’est celui du Mauricien qui se réclame du plurilinguisme et se vante d’être polyglotte, alors qu’il se confond dans la polysémie. Mais voilà, quand les mots ont des sens multiples et ne désignent plus spécifiquement les choses auxquelles ils donnaient sens, ils se prêtent à l’emberlificotage et mènent à l’escroquerie…

Bienvenu aussi dans la société-spectacle. Celle où l’on vous en met plein la vue sans que vos méninges remuent. Celle où vous croyez tout voir et pensez autant savoir, celle où plus vous en apprenez et moins vous comprenez… Intrigués ? Considérons concrètement le traitement qui vous est infligé : en ce moment, en divers lieux, votre Premier ministre tient congrès. Le mot « Congrès », issu du latin, désigne une assemblée de notables – des ministres et ambassadeurs – qui se réunissent pour échanger sur des thèmes importants ayant trait à la régulation de la vie publique. Et qu’avons-nous pu constater jusqu’ici ?

Le folklore des congrès

Les notables conviés aux « congrès » sont ces individus venus du suivisme MSM. Ce sont ceux qui, une fois débarqués du bus à Plaine-Verte, sollicitent les passants au Square Kadhafi pour qu’on leur indique la direction pour le centre Idrice Goomany… Il n’y a pas de mal à ne pas maîtriser l’application de géolocalisation Google mais, humble suggestion : il aurait mieux valu engager des guides pour ces embarqués du MSM qui avaient mission de faire figure locale !

Pour faire court, ces fameux « congrès », loin de tout débat, ne sont que des performances monologuées, la révélation pitoyable des défauts dont l’Assemblée nationale est désormais tarée. Après les prestations de quelques ministres et députés du MSM à ces « congrès », l’Internet mauricien nous aura révélé que Babu Bhaiya (de la série Hera Pheri) et Johnny Lever (le Puppy Boss de Golmal3) ont été détrônés de la mémoire collective. Pour ne pas être en reste, Pravind Kumar Jugnauth (PKJ), s’improvise maintenant humoriste lui aussi. Voilà cette fois K. K. Singhania réduit à la stature d’un vulgaire amuseur de rue. C’est l’hémorrhagie à Bollywood !

Devant l’assistance lui vouant du zèle à force dolocs et vouvouzela, votre Premier ministre, s’attaque à des sujets « sérieux » et entreprend ainsi de vulgariser l’affaire Bissessur. Laissons de côté le fait que PKJ réagit davantage en chef de clan qu’il n’agit en chef de l’Etat. Mais peut-on considérer que le Premier ministre est dans son rôle quand il commente un cas subjudice, c.à.d. un cas en cours d’examen par un tribunal ? Soyons clair : ce n’est pas parce que la population propulse un avocaillon dans un fauteuil de Premier ministre que celui-ci se transforme soudainement en juriste émérite.

« Zof finn trouvé zot mem… », lance le Premier ministre et chef du MSM à l’assistance. Celle-ci rugit de plaisir. Bien sûr que tout le monde a vu… Quoi au juste ? Un teaser conçu par une unité de production et de diffusion (de la police ?) qui alimente la conversation Facebook et suscite le questionnement au sujet, notamment, du sac que l’avocat prend lorsqu’il sort du champ de vision. Et PKJ d’enchaîner que l’avocat était sur « leur radar » depuis quelque temps déjà. Et il lâche le mot qui laisse la foule en transe : « synthé ». Et il va même jusqu’à affirmer que l’avocat était impliqué dans le « trafic » de « drogue syhthétique ».

A Rama Valayden de surenchérir : pourquoi seulement deux minutes d’une version éditée ? A première vue, l’avocat est bien informé par ses sources policières, et souhaite maintenant visionner les images de « 11 caméras » qui auraient enregistré toute l’opération. Et son collègue Teeluckdharry de rappeler les nombreux cas d’opérations policières aboutissant à des révélations de maquillages de scènes de crime, de manipulation des preuves, de plantage de drogues, d’aggressions physiques et d’incarcération de personnes innocentes… Ces cas qui demeurent en suspens sont, non seulement indicateurs du fait que le pourrissement de nombreuses structures policières a atteint le stade de gangrène, mais ils engagent ultimement la responsabilité du ministre de l’Intérieur, en l’occurence Pravind Jugnauth lui-même !

Tout ceci excite le milieu populaire mauricien qui, à défaut de meilleures propositions culturelles, passe du foot anglais aux commérages politiques. Si c’est à cela que nous devrions nous aussi nous consacrer, les deux sujets sont vite résumés dans les quelques paragraphes qui précèdent. Nos confrères auront peut-être trouvé là matière à gloser de manière intelligente. Grand bien leur en fasse et on leur souhaite plein succès aux prochaines sessions d’auto-congratulation du Media Trust. Dans notre publication, toutefois, nous sommes engagés dans un processus d’intelligibilité et ce n’est pas du tout le même exercice.

La rigueur des définitions

Pour comprendre l’arrestation de Me Akil Bissessur, il faut savoir que tout produit, toute matière solide, liquide ou gazeux qui serait commercialisable, est répertorié dans la nomenclature de tarif douanier. C’est ce qui permet la vente dudit produit à l’intérieur d’un territoire, ou d’un territoire national à un autre. Les Etats peuvent aussi décider de la prohibition à la vente de certains produits. Il en est ainsi des substances prohibées en raison de leurs propriétés toxiques ou addictives et celles-ci sont définies par la législation mauricienne dans les trois appendices du Dangerous Drugs Act. La définition légale des substances prohibées est de même nature que celle figurant à la nomenclature, faute de quoi les douaniers (ou les agents de l’ADSU) pourraient se méprendre et, soit laisser passer un produit prohibé ou, au contraire, interpeller un passager au sujet d’un produit autorisé.

« Synthétique », affirme Pravind Jugnauth dans ses « congrès ». PKJ est juriste. Dans quelle mesure comprend-il ce qu’il ose avancer ? Sa déclaration est aussi celle d’un Premier ministre qui avance qu’il casse les reins à la mafia. « Li kas lérin avek la mafya », ironisent ses détracteurs. Dans les faits, en dépit de ce qu’avance Pravind Jugnauth, les saisies policières indiquent de manière non-équivoque que la mafia de la drogue a les reins solides !

Quand Pravind Jugnauth vient affirmer qu’Akil Bissessur a été appréhendé avec de la drogue synthétique, loin de l’incriminer, il est en train de le dédouaner ! Parce que les substances synthétiques sont justement conçus pour ne pas correspondre aux produits prohibés sous le Dangerous Drugs Act !

Qui comprend de quoi il s’agit quand on parle de « drogue synthétique » ? Les drogues sythétiques sont des substances dont les molécules sont susceptibles de produire des effets similaires aux substances prohibées. Mais, restez attentifs à notre énoncé : si les effets peuvent être similaires, les molécules, en revanche, ne le sont pas. C’est comme pour la pâtisserie : la plupart de nos ménagères savent qu’à la place de l’amende ou de la vanille véritable, elles utilisent un produit de synthèse qui procure l’odeur et la saveur du produit souhaité. Donc, pour peu que l’on ait connaissance de ce qui se passe dans sa cuisine, on n’a pas vraiment besoin de faire les grandes écoles pour comprendre ce que c’est qu’un produit de sythèse.

Il n’y a pas de crime s’il n’y a pas de loi

« Nullum crimen, nulla poena, sine lege » : cette locution latine résume l’un des principes fondamentaux du droit. Combien de ces législateurs, dont la démocratie représentative nous afflige, auraient pu jouir de cette langue que beaucoup croient morte ? Cette formule vient nous dire expressemment qu’il ne peut y avoir de crime, ni de peine, s’il n’y a pas de loi. Ainsi, pour que la loi soit appliquée de manière effective par les agents de l’Etat, il faut que celle-ci soit déclinée de manière efficace par les législateurs.

Or, la drogue de synthèse est un ersatz. Ce mot, (que beaucoup pourraient ne pas comprendre et dont la paresse à consulter le dictionnaire nous vaudra fort probalement le reproche de nous adresser qu’aux intellectuels), désigne ce qui ressemble à quelque chose mais n’est toutefois pas cette chose. Aussi, quand on ose prétendre « casser le rein » à la mafia de la drogue, il est attendu que, prétendant ou prétentieux, celui qui l’affirme comprenne l’intérêt d’une drogue de synthèse par rapport à sa substance de référence…

Pour faire court, les drogues synthétiques – ou drogues sur mesure – sont essentiellement conçues pour contourner les lois relatives aux narcotiques. C’est-à-dire que, dans la mesure où leurs formulations les différencient des substances prohibées, elles ne peuvent être décrites comme telles.

Qu’est-ce que cela veut dire par rapport à l’affaire Bissessur ? Cela veut tout simplement dire que quand Pravind Jugnauth vient affirmer qu’Akil Bissessur a été appréhendé avec de la drogue synthétique, loin de l’incriminer, il est en train de le dédouaner ! Comment ? Tout simplement parce que les substances synthétiques sont justement conçues pour ne pas correspondre pas aux produits prohibés sous le Dangerous Drugs Act ! En d’autres mots, les accusations portées contre Akil Bissessur n’existeraient pas dans le droit mauricien !

Qu’est-ce que cela pourrait signifier pour Pravind Kumar Jugnauth ? Au point où il s’est aventuré, la probabilité que les avocats assurant la défense d’Akil Bissessur le fassent assigner à comparaître est désormais réelle. Dans une telle éventualité, il appartiendra alors au Premier ministre de convaincre le magistrat qu’il n’est pas un menteur du type manipulateur pervers et psychopathe (ce qui, au cas où le magistrat n’en serait pas convaincu, pourrait ouvrir la voie à une procédure d’empêchement !). Le cas échéant, ses avocats pourraient essayer de plaider la bonne foi du nigaud, un Premier ministre débile profond, l’équivalent du fou du village que la population de sa circonscription aurait élu, lui ouvrant ainsi la voie de la primature. Ce qui pourrait éventuellement le tirer d’affaire devant la justice, la cour pouvant éventuellement retenir la niaiserie de PKJ comme absence de malice. Mais une telle défense devrait aussi – selon les dispositions constitutionnelles – appeler et justifier une procédure d’empêchement.

Mais, au-delà du sort de Pravind Jugnauth, est-ce que cette affaire est grave pour le pays ? Mais bien-sûr que c’est grave. Extrêmement grave même. Pas seulement parce que nous avons choisi, au sein de notre profession, de distinguer ce qui relève de l’intérêt du public pour le morbide et les futilités, des questions d’intérêt public puisque celles-ci appellent, au contraire, à considérer le fonctionnement des institutions. Car, dans cette perspective, le problème se corse pour le Barreau mauricien notamment. Nous ne pouvons prédire de la manière dont Me. Varma, le Bâtonnier, abordera cette question avec ses confrères qui ont traité jusqu’ici les cas de possession ou de trafic de drogues « syhthétiques ». Nous ne pouvons non plus prédire de la manière dont la Cheffe-Juge abordera la question avec ses pairs et les magistrats de première instance. L’idée même que des personnes puissent faire appel de leurs condamnations pour ce motif est effrayante, tant elles sont nombreuses. C’est cela une question d’intérêt public !

Joël TOUSSAINT


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