Des « laryaz » aux cercles de barrique, l’histoire d’un beau boque

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Comme le souhaite la charité bien ordonnée, commençons par évoquer ces travers de notre profession qui, depuis l’avènement des réseaux sociaux, s’est mise au service de la société du spectacle. La presse a subi l’attrition au point tel que les réseaux sociaux consacrent ces médias où les porteurs de micro passent désormais pour des journalistes. Alors que c’est l’un des fondements de la profession du journaliste, ces échotiers n’éprouvent nullement le besoin de vérifier ce qu’avancent les personnalités publiques. Leur réputation désormais s’evaluent en Like Facebook, c’est ce qui permet à leurs services marketing d’engager la négoce des espaces publicitaires et autres événements qui drainent des foules abruties par moult effervescences commerciales et les effluves de briani des rassemblements politiques. L’information s’efface au profit du buzz et des patrons de presse justifient la perversion de la profession par la nécessité d’assurer le treizième mois.

« Laryaz » : c’est par ce terme que Pravind Jugnauth qualifie certains journalistes qui ne lui semblent pas favorables. A la bonne heure ! L’individu propulsé dans le fauteuil de Premier ministre ne rate pas une occasion de démontrer son inculture. C’est vrai qu’en face cela ne vole pas très haut non plus, mais de là à en faire la norme de la pratique politique c’est oser promouvoir ce qui reste un noble engagement au rang du plaisir à se vautrer dans la fange !

Faut-il éprouver quelque agacement au fait que le Premier ministre ait osé cette comparaison que beaucoup considèrent dévalorisante ? Seuls ceux qui partagent avec lui le même niveau d’inculture pourraient s’en sentir outragés. De même que nous nous en désolons au sein de notre profession, nous sommes aujourd’hui bien dubitatifs quant à l’éducation du personnel politique aux humanités. Ce passage obligé il n’y a pas si longtemps aurait permis à plus d’un de comprendre que le jeu du cerceau n’est pas seulement celui des enfants venant des quartiers de misère, mais que c’est, depuis l’antiquité grecque et romaine, une activité recommandée autant pour les éphèbes que pour les hommes faits.

Si on avait enseigné le latin à cet individu qui se retrouve à la primature, il aurait appris que l’exercice du trochus (le cerceau) nécessitait l’usage du clavius qui servait non seulement à le pousser mais à l’engager dans des tournants et pour des figures de style connues comme des « méandres ». Le patron du MSM aurait peut-être alors réchigné à emprunter cette comparaison au « laryaz », qui n’est autre que le clavius du jeu d’antan. Aurait-il été davantage instruit, ce mot latin désignant la clé l’aurait répugné, tant celle-ci fait référence à son adversaire obsessionnel. Mais voilà, cette culture n’est pas celle de Pravind Jugnauth, ni celle de ses opposants.

Depuis une bonne vingtaine d’années, les politiques recrutent leurs attachés de presse au sein des groupes de presse. C’est dire à quel point notre profession, pourtant pas exempte de reproches, fait en même temps l’objet de convoitises. Jusqu’ici aucun journaliste n’aura fait ressortir que ces attachés de presse ne sont pas ceux d’un ministère auquel ils seraient rattachés. Non, bien au contraire, ils sont au service du ministre dont ils ont pour mission de soigner l’image, alors que les secrétaires permanents abdiquent leurs responsabilités pour se plier aux désirs de ces politiques plutôt qu’à leurs visions, tant ils demeurent incapables d’en formuler la moindre.

« La première méthode pour estimer l’intelligence d’un dirigeant est de regarder les personnes qui l’entourent »,

Nicholas Machiavel

Nous sommes ainsi bien obligés de constater que chaque élection nous vaut une floppée de journalistes qui s’en vont rejoindre le lot de ces conseillers bénéficiaires de voitures hors-taxes et autres privilèges que l’Etat accorde à certains fonctionnaires. Ces mêmes journalistes qui se sont abstenus d’une critique d’un groupe politique auquel ils étaient, par l’exercice de leur complaisance envers un futur ministre, secrètement affiliés. Il faudra bien que l’on s’interroge tôt ou tard sur le fait que ceux-là proviennent majoritairement de la même écurie.

Le constat de ce type de situation ne viendra pas du cercle où la carrière se détermine, d’un côté, par la domination perverse d’un adepte du branding des opérations policières et, de l’autre, avec un directeur de publication dont la notoriété tient à ces histoires de petites culottes. Ce serait illusoire de s’attendre à ce que l’arsenal médiatique orange en fasse ses choux gras ; il vaut mieux faire l’économie d’une guerre que de risquer la dénonciation de la provenance des fonds adroitement siphonnés des caisses où l’Etat a ses billes. Ainsi, le pas est vite franchi du dévergondage à la prostitution !

Pravind Jugnauth aura grandi en politique sans la clairvoyance de son père qui avait appris à voir au-delà des flatteries dont il faisait l’objet. A commencer par celle de son « ennemi intime »1, son « kamarad Paul » qui le sortit de ses fonctions à la magistrature pour en faire son « paravent hindou ». Conscient de ses tendances à l’aggressivité, le Premier ministre défunt s’entoura de quelques compétences qui surent, sinon l’en prémunir, au moins d’en limiter les conséquences désastreuses. « La première méthode pour estimer l’intelligence d’un dirigeant est de regarder les personnes qui l’entourent », faisait ressortir Nicolas Machiavel2. Pour sa part, le successeur de l’âne rude s’est entouré de ces flatteurs qui, célébrant le culte de sa personne, lui font croire dans sa propre propagande.

« Celui qui n’a pas appris à jouer au cerceau se tient tranquille, s’il ne veut soulever impunément le rire des spectateurs pressés autour de lui », disait Horace. En évoquant les « laryaz », Pravind Jugnauth a omis de considérer les cerceaux qu’ils ont pour fonction de pousser. A Maurice, les gamins des quartiers populaires poussaient les cercles rigides des drums d’huile. Ces cercles de barriques nous rappellent essentiellement les tonneaux vides. Comme ceux qu’il promène et donne à voir en ce moment d’un village à l’autre. A trop vouloir faire le beau boque !

Joël TOUSSAINT


1  En référence à l’ouvrage de Jean-Claude de L’Estrac « Jugnauth-Bérenger : Ennemis Intimes », Ed. Le Printemps, 2018.

2  Philosophe italien et théoricien de la politique (1469-1527).


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