La loi sur l’immigration: la question du Lakshman Rekha

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Lindsey Collen (Lalit) et Aruna Pulton (En Avant Moris) Deux visions politiques qui parviennent au même constat des pouvoirs discrétionnaires du Premier ministre contraires à la Constitution.

La loi sur l’immigration fait l’objet d’une contestation en cour par le biais d’une plainte logée par Lindsey Collen. Mariée au Mauricien Ram Seegobin, l’égérie de Lalit indique que son statut d’épouse est devenue précaire avec ladite loi, puisque le Premier ministre dispose de prérogatives lui permettant d’expulser un ressortissant étranger hors de toute procédure juridique. Dans Weekly, Touria Prayag accordait au sujet l’importance qu’il mérite. Cependant, elle considérait qu’à part quelques énervements exprimées derrière les écrans, cette contestation juridique était la seule initiative concrète pour s’opposer aux dispositions de cette loi controversée. Ce n’est pas exact. Il s’avère que le mouvement politique “En Avant Moris” (EAM) avait, en juillet dernier, organisé une conférence de presse, non seulement pour dénoncer les dispositions scélérates qui font l’objet de la contestation logée en cour par Lindsey Collen, mais surtout pour proposer trois amendements à ce qui n’était encore qu’un projet de loi. Et lire les deux approches concurremment enrichit l’éclairage sur une législation qui aura peut-être reçu un assentiment trop automatique. 

Le recours déposé par Lindsey Collen devant les instances du judiciaire mauricien est important car il est du type où le citoyen demande au judiciaire indépendant de se prononcer sur la validité d’une législation qu’il considère attentatoire à ses droits constitutionnels. Elle fait valoir qu’elle a une vie faite d’engagement politique et que ses activités d’écrivaine participent à l’éveil social du pays qu’elle contribue à faire connaître. Il ne s’agit pas pour elle de contrer ni de prévenir une décision administrative qui aurait été mise en œuvre à son encontre.  

La démarche tient au fait qu’elle craint que sa manière de vivre sa citoyenneté pourrait être compromise si ses orientations, aussi bien l’expression de ses considérations littéraires ou de ses convictions politiques, venaient à déplaire au Premier ministre. Aussi, considérant qu’elle a un locus standi dans la mesure où ces dispositions légales sont susceptibles de lui porter préjudice, elle conteste la validité de ces pouvoirs qui, avance-t-elle, seraient contraires à la Constitution. 

La démarche est d’importance parce qu’elle vient questionner, non pas le pouvoir des élus de légiférer, mais celui des législateurs à octroyer des pouvoirs à des ministres (ou leurs représentants, par pouvoirs délégués) qui leur permettraient d’expulser des résidents ultra vires, c.à.d. au-delà du cadre juridique régissant la République de Maurice, et plus concrètement, sans aucune forme de procès et sans qu’ils n’aient à en rendre compte.

La requête de Lindsey Collen au judiciaire n’est, toutefois, pas la seule initiative pour s’opposer à cette loi sur l’immigration. En effet, au-delà de la seule contestation, EAM proposait, notamment par la voix d’Aruna Pulton, les amendements suivants : 

(1) l’abolition des pouvoirs discrétionnaires du Premier ministre, surtout dans la mesure où il n’a pas à en rendre compte, 

(2) l’institution d’un tribunal pour résoudre les litiges éventuels en matière de citoyenneté, d’accès au territoire et de déchéance de nationalité, et

(3) l’octroi de la nationalité mauricienne de facto aux parents étrangers d’un enfant Mauricien pour garantir les droits de l’enfant à disposer de ses deux parents surtout dans l’éventualité d’un divorce. 

Il nous paraît ainsi nécessaire de revenir sur cet oubli, ou cette omission, de notre consœur de Weekly parce qu’une démarche comme celle de proposer des amendements à un projet de loi, venant surtout d’un parti non-représenté au parlement, est plutôt inhabituelle. Pour une petite formation politique cela requiert la mobilisation de conseillers juridiques dont on sait que leurs heures ne coûtent pas quatre sous. Par ailleurs, une conférence de presse elle-même engage des frais qui grèvent le budget restreint des petites formations. Mais, au-delà des coûts financiers, on aura constaté l’effort, non seulement de contribuer au débat public, mais surtout d’apporter concrètement des amendements à un projet de loi. 

Fait intéressant: malgré les trois propositions d’amendement au projet de loi, les partis de l’Opposition parlementaire n’en ont relayé aucune! Pour les avoir rendues publiques, EAM n’aurait pu s’offusquer d’une reprise éventuelle de ses propositions d’amendements par un parlementaire. Pour peu que le parlementaire aurait poussé l’élégance à attribuer les mérites à ceux qui ont planché sur le sujet, on se serait retrouvé dans le cadre plus honorable d’un personnel politique servant l’intérêt général. C’est bien ce qui nous fait pointer du doigt cette partisannerie fanatisée entretenue par les élus venant des partis qui se retrouvent au parlement. 

La séparation des pouvoirs

Ainsi, par son initiative au plan juridique, Lindsey Collen est la requérante qui pose un cas d’école au judiciaire mauricien et on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’arrêté de la Cour Suprême fasse jurisprudence. Quelle qu’en soit l’issue, quand on considère cette initiative conjointement avec celle posée par EAM, on y trouve une complémentarité qui force l’interrogation sur la valeur de l’assentiment présidentiel, le titulaire à la présidence étant le seul garant de la conformité à la Constitution. D’ailleurs, notre consœur de Weekly faisait bien ressortir que l’ancien Chef Juge Eddy Balancy considérait que cette législation serait éventuellement de nature à “répugner au principe de la séparation des pouvoirs ». Le Lakshman Rekha aurait-il été franchi avec cette législation? 

Une situation identique à celle qui avait provoqué une crise institutionnelle lorsque Cassam Uteem démissionnait plutôt que de donner son assentiment à la Prevention of Terrorism Act (PoTA). 

Pour ceux de nos lecteurs étrangers à ce référencement culturel, le Lakshman Rekha est une notion de droit d’inspiration indienne qui renvoie au récit du Ramayana dans lequel Lakshman, au moment de se mettre à la recherche de son frère Rama, dessine une ligne sur le sol pour écarter les esprits malfaisants de leur habitation dans la forêt et pour protéger Sita, la femme de son frère, contre quiconque oserait traverser la ligne. Mais, usant de la ruse, Rawan se fit passer pour un mendiant et Sita se fit ainsi capturer en traversant la ligne pour lui faire l’aumône. Depuis les érudits se sont écharpés sur la question; certains faisant valoir que le Méchant essaie et parvient toujours à se déjouer des lignes qu’il ne faudrait pas transgresser et d’autres considérant que, quand bien même qu’elle était mue par les meilleurs sentiments et son sens du devoir envers un pauvre, c’est bien Sita qui a néanmoins franchi la ligne rouge. Ce sont, toutefois, les conséquences de cette transgression qui mettent tout le monde d’accord: tous les personnages du récit en souffrent ! 

Il faut rappeler que cette réaction aux pouvoirs accrus accordés au chef du gouvernement, ou à ses agents, est identique à celle qui avait provoqué une crise institutionnelle lorsque Cassam Uteem démissionnait en février 2002 plutôt que de donner son assentiment à la Prevention of Terrorism Act (PoTA). Présentée par le gouvernement d’Anerood Jugnauth, dans le cadre de la campagne internationale contre le terrorisme après les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis, la PoTA accorde des pouvoirs accrus à la police, à l’appareil judiciaire et au Premier ministre. Anerood Jugnauth avait exigé que le président donne son assentiment… ou qu’il démissionne! 

La partisannerie acharnée dont est faite la culture du MSM donne au président le cachet réducteur d’un automate de l’acquiescement. 

Cassam Uteem opta pour la démission. Il demeure, certes, la personnalité politique le plus respecté du pays pour avoir incarné une présidence résolument éloignée des récupérations partisanes. Toutefois, en choisissant de démissionner il apportait une résolution politique à la crise institutionnelle provoquée par Anerood Jugnauth. Ce dernier, en contraignant le garant de la Constitution à donner son assentiment, avait-il incité le président Uteem à franchir le Lakshman Rekha ? On réalise que, plutôt que par la résolution politique, c’est par la voie juridique que l’on aurait pu obtenir la réponse à cette question. Par conséquent, si Cassam Uteem est apprécié pour avoir évité l’escalade de cette crise institutionnelle, il n’en demeure pas moins vrai que le choix de l’évitement aura frustré le pays d’un éclairage juridique qui aurait procuré le plus grand bienfait à la démocratie mauricienne.  

Le viol de Sita?

Vingt ans après la démission de Cassam Uteem, la même question du Lakshman Rekha se pose. Et, étrange coïncidence, la question resurgit par l’entremise de Lindsey Collen, celle dont la carrière de romancière s’affirmait avec la publication, en décembre 1993, de “The Rape of Sita”. Pravind Jugnauth aurait-il crée les conditions pour qu’en donnant son assentiment le président Roopun transgresse lui aussi la ligne de démarcation qui régit les pouvoirs des gouvernants?

Contrairement à d’autres démocraties, Maurice ne dispose pas d’un Sénat ou d’une instance équivalente qui aurait pour mission d’examiner les lois votées par les représentants à l’Assemblée pour éventuellement renvoyer à cette chambre celles qui auraient été retoquées. Cette tâche revient au nominé politique que les partis majoritaires placent au Réduit pour valider des lois, ou pour les renvoyer à l’Assemblée afin que les législateurs remettent leur ouvrage sur le métier. Mais la partisannerie acharnée dont est faite la culture du MSM donne à la nomination du titulaire à la présidence le cachet réducteur d’un automate de l’acquiescement. 

Même des personnalités politiques idéologiquement divergentes, telles que Collen et Pulton, s’accordent à trouver les dispositions de la loi sur l’immigration contraires aux droits qui définissent les pouvoirs du gouvernement et de celui qui en assume la primature. Est-il possible qu’en république un Premier ministre dispose des pouvoirs absolus d’un monarque? Est-il possible que dans une démocratie, puisque n’ayant pas de compte à rendre, un chef de gouvernement puisse exercer ses pouvoirs de manière autocratique ? 

Si Lindsey Collen parvient à convaincre les juges que la ligne de démarcation a été franchie, le président Roopun devrait alors tirer les conséquences de son assentiment malvenu. Si tant est qu’il soit un homme d’honneur. Car, on ne serait pas non plus surpris qu’il s’aligne sur le fourbe qui pousse l’effronterie jusqu’à demander “kot mon foté?”. D’autre part, dans la foulée, l’honorabilité des parlementaires qui auront choisi d’ignorer les amendements proposés par EAM aura été réduite en peau de chagrin. 
Avec Sita, on est toujours ramené à la question de la vertu… Quels que soient les artifices dont les uns et les autres voudraient user pour plier le droit dans le sens de leurs travers !


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