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Prakash Neerohoo
Le Canada vient de nous donner une belle leçon en matière de moralité publique. Le ministre des Finances du gouvernement provincial de l’Ontario, Rod Phillips, a démissionné de son poste le 31 décembre 2020 après son retour des vacances passées dans une île des Caraïbes. Le voyage du ministre fut jugé inappproprié au moment où le gouvernement avait conseillé aux membres du public de ne pas voyager en dehors du pays pour cause de pandémie Covid-19. Certes, le voyage n’était pas un acte illégal, mais le démissionnaire a décidé qu’il devait quitter son poste pour des raisons morales.
La décision du ministre démissionnaire est une démarche digne et honorable. Elle consacre la prééminence de la moralité sur la légalité dans une démocratie qui se respecte. Contrastez cet exemple de moralité avec ce qui se passe à Maurice.
A Maurice, aucun officiel public (ministre, fonctionnaire ou cadre d’une entreprise d’Etat) faisant l’objet d’allégations de corruption ou de conflit d’intérêts ne démissionne de son plein gré pendant qu’une enquête est en cours sous l’égide de la police ou d’une agence d’investigation. A moins qu’il ne soit contraint de démissionner par son chef supérieur, il restera en poste jusqu’à ce que l’enquête soit conclue. Au cas où l’enquête débouche sur une poursuite, il attendra que la Cour donne son verdict sur l’acte d’accusation. S’il est condamné par une Cour de première division, il fera appel auprès d’une Cour supérieure. Entretemps, l’officiel en question continue de jouir des privilèges du pouvoir politique ou administratif.
Ouvrons une parenthèse pour souligner que l’ex-ministre de l’Energie, Yvan Collendaveloo, fut révoqué (selon la version officielle) après qu’il eut refusé de démissionner à la suite d’une mention alléguée de son nom dans le rapport de la BAD sur les pratiques frauduleuses concernant l’octroi par le CEB d’un contrat d’installation de moteurs à la station Saint Louis à la firme danoise BWSC.
Cette semaine, la Cour décidera du sort d’une poursuite privée intentée par une citoyenne contre un ministre qui, selon les allégations, aurait créé un emploi fictif au nom de celle-ci. Le ministre se dit serein face à ces allégations et ne compte pas démissionner en attendant que la Cour donne son jugement. La poursuite privée pourrait être arrêtée ou maintenue sur la base des points de droit que les avocats de la plaignante et du défendeur débattront en Cour. La décision de la Cour aura valeur de jurisprudence pour tout procès privé dans l’avenir dans la mesure où elle permettrait de savoir si un citoyen a un ultime recours légal s’il s’estime lesé dans ses droits civils. Rappelons que le DPP avait décidé d’arrêter la poursuite privée intentée par le citoyen Bruneau Laurette contre deux ministres dans la foulée du naufrage du vracquier Wakashio. Celui-ci a demandé une révision judiciaire de cette décision.
Naviguer les méandres du labyrinthe juridique à Maurice peut être très frustrant pour le citoyen Lambda, qui doit engager un véritable parcours du combattant afin de faire prévaloir ses droits, avant même d’obtenir justice. Pour saisir la Cour d’une plainte quelconque, il devrait se payer les services d’avocats réputés ou compter sur la magnamité d’avocats pro bono. Idéalement, nos institutions (notamment la police et l’agence d’investigation) sont censées faire une enquête à la suite d’une plainte et recommander toute action légale appropriée. En l’absence d’une démarche pro-active de la part de ces dernières, le citoyen est forcé de lancer son propre action légale, sujette à l’aval de l’instance judiciaire appropriée.
Dans d’autres pays, les institutions font volontiers des enquêtes sur des officiels publics suspects d’infraction à la loi et recommandent des poursuites sur la foi des évidences en faveur d’une culpabilité probable. Pour preuve, l’ancien premier ministre français François Fillon a été condamné le 29 juin 2020 à Paris à cinq ans de prison, dont deux ferme, dans une retentissante affaire d’emplois fictifs qui avait fait dérailler sa campagne présidentielle en 2017. L’ex-président Sarkozy fait face à plusieurs procès concernant des affaires dans lesquelles il fut impliqué.
La sagesse conventionnelle veut que tout ce qui est légal n’est pas forcément moral. Or, à Maurice, le raisonnement traditionnel veut que tout ce qui est légal serait de facto moral. On peut pousser le légalisme à ce point absurde où un suspect parvient à se tirer d’affaire sur un point de procédure, mais il faut savoir qu’il n’échappera pas au jugement d’un public qui l’aura trouvé manifestement condamnable. C’est le cas par exemple de cet ancien PDG que l’on fit transporter sur une civière pour attester de son incapacité à faire face à son procès. Aux yeux du public, il demeure un bon vivant.