Dr Didier Wong : « La politique est un poison, même dans l’art ! »

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Dans l’entretien qu’il nous accorde, Didier Wong, titulaire d’un doctorat en Sciences de l’Art, nous livre ses réflexions sur la censure dont le tableau de Palvishee Jeewon a fait l’objet. La jeune femme qui participait pour la première fois au Salon de Mai a osé l’auto-portrait les seins nus. L’administration, et son directeur-général en particulier, ont exprimé leur embarras et souhaité le retrait à deux heures de l’inauguration. Mais, c’aurait été désavouer les commissaires de l’exposition. Aussi, consentant à l’exposition du tableau avec le sein ceint d’un bandeau portant la mention « Censored », l’administration du Mahatma Gandhi Institute (MGI) a fait étalage de sa tartufferie. Le tableau est devenu l’attraction de ce Salon de Mai. Didier Wong consent à nous aider à décrypter cet énième récit de la bêtise institutionnalisée.

Le docteur Didier Wong évoque la nudité dans l’art et ce que cela révèle du Mauricien qui en a fait, plutôt qu’une question, un sujet tabou.

Quel rapport l’artiste mauricien entretient-il avec le corps dénudé?

La société mauricienne de manière générale est pudibonde. Tout ce qui touche à la sexualité, à la nudité est quelque chose de quasi tabou. 

Pour répondre à votre question, je dirai que tout dépend de l’artiste. Celles et ceux qui sont en adéquation avec leur corps, leur pratique et tout ce qui touche à l’art contemporain (car ce dernier est protéiforme) n’aura pas de mal à voir, à dessiner et à se questionner par rapport à la nudité dans l’art. En revanche, celles et ceux qui sont prudes et qui veulent être bien vu-e-s, ne voudront et/ou ne pourront pas franchir le pas. D’autre part, je pense aussi que si on n’inculque pas la nudité dans les études artistique (je parle plutôt dans le supérieur), les étudiants resteront bloqués sur le sujet quand il s’agit d’en venir à la pratique. Il me semble qu’aux Beaux-Arts de Maurice, dessiner des modèles vivants nus (cela fait partie d’un cursus normal en art. En France ou dans d’autres pays d’Europe ou ailleurs, les élèves en première ou terminale dessinent d’après modèle vivant) ne se fait pas. Ils ont toujours des modèles habillé-e-s ou partiellement nus (avec sous-vêtements). En revanche un modèle femme ne mettra pas ses seins à l’air pour les étudiants.

Aussi, je dirai que les artistes qui ont fait des études à l’étranger sont plutôt à l’aise avec le sujet nu. Bien évidemment il y a des exceptions. Comment voulez-vous que les étudiants traitent la nudité dans leurs pratiques alors que le sujet est plus ou moins tabou ?

Votre question inclue aussi la nudité partielle. Là, il n’y a pas de problème. Tant que les attributs ne sont pas dévoilés, tout va bien. Il y a bien des artistes mauriciens contemporains qui ont travaillé sur la nudité : Nirveda Alleck, Arvin Ombika. Je vous parle beaucoup des étudiants dans la mesure où la plupart des artistes mauriciens sont issus des Beaux-Arts.

Le problème à Maurice c’est qu’il faudrait être comme il faut, ne pas trop franchir certaines lignes ou s’écarter du chemin. Car derrière tout ça, il y a des passe-droits. Plus on est dans les clous, plus on a la possibilité d’avoir des subventions, des billets d’avions pour aller participer à telles ou telles expositions régionales ou internationales.

Y a-t-il une auto censure des artistes eux-mêmes ?

Très certainement, pour ne pas dire bien évidemment. Le problème à Maurice c’est qu’il faudrait être comme il faut, ne pas trop franchir certaines lignes ou s’écarter du chemin. Car derrière tout ça, il y a des passe-droits. Plus on est dans les clous, plus on a la possibilité d’avoir des subventions, des billets d’avions pour aller participer à telles ou telles expositions régionales ou internationales. En février dernier je donnais une conférence auprès des étudiants des Beaux-Arts de Maurice sur le thème : L’art engagé. Je leur disais l’importance de l’engagement dans l’art et dans les messages véhiculés dans et à travers les œuvres d’art. Je constate que trop souvent, la plupart des artistes sont dans cette recherche ou cette quête du beau, du travail bien exécuté. Or, on est plus dans ce délire aujourd’hui. Mais à Maurice, la maîtrise technique demeure un facteur important. Il y a très peu d’artistes qui osent dire haut et fort les choses à travers leurs pratiques. Pourquoi ? Parce que cela dérange, parce que cela ne se vendra pas. Donc même s’ils ont envie de dire les choses, ils vont le faire de façon subtile de manière à ce que cela ne provoque pas des réactions trop négatives ou alors de façon à ne pas avoir des problèmes. La génération des artistes grande gueule comme Firoz Ghanty est en voie de disparition. La politique est un poison, même dans l’art.

L’embarras occasionné serait-il le seul fait de la tartufferie d’un administrateur ou traduit-il le rapport au corps du Mauricien lui-même ?

Je répondrai par la connerie d’un administrateur ! C’est la décision d’une seule personne qui a provoqué ce scandale. Lui n’est certainement pas en phase avec la nudité. Comment un administrateur qui visiblement n’y connait rien à l’art, du moins les arts plastiques peut-il imposer cela ? Est-ce qu’il interdirait qu’on enseigne le Rennaissance Italienne aux étudiants ? Est-ce qu’il mettrait une feuille de vigne sur le sexe de Vénus dans « la naissance de Vénus » de Botticelli ? Est-ce qu’il arracherait la page d’un bouquin qui montre « l’origine du monde » de Courbet ? Ridicule. Le Mauricien n’est pas bête à ce point. La pornographie est accessible en un click sur le net. En quoi voir des seins en peinture choquerait ? Si on voyait la femme complètement nue avec le sexe en évidence, je pourrais éventuellement comprendre que cela choquerait plus d’un notamment celles et ceux à qui la pensée religieuse dicte le cerveau. Or, des seins nus … J’ose espérer que la jeunesse mauricienne a évolué.

Au plan de l’anthropologie culturelle, qu’est-ce que ce fait nous révèle de l’homo mauricianus ?

D’après mes informations, comme je vous l’ai dit plus haut, c’est la décision d’une seule personne qui avait peur de heurter des sensibilités. Ce fait nous révèle que nous sommes dirigés par des gens qui n’ont pas évolué avec la société. Nous avons ici affaire à quelqu’un qui a pensé à sa propre personne d’abord pour être bien vu par les plus hauts de la cuisine. En faisant cela, il empêche l’émancipation de l’homo mauricianus. Il bafoue la liberté d’expression, il rabaisse la femme, ne respecte pas le corps de la femme libre qui veut montrer son corps. Jeewon voulait montrer ses seins et il l’en a empêché. Ce sont des hommes comme lui qui retarde l’évolution de l’homo mauricianus voire de l’homo également. L’art n’est pas qu’une question de beau ! La nudité fait aujourd’hui partie de la culture contemporaine. Certains sont restés hélas ancrés dans cette culture ancestrale entravée par la religion et certaines croyances.


Ancien élève du Collège du Saint-Esprit, Didier WONG CHI MAN a entamé ses études tertiaires à l’université Toulouse 2(Maîtrise d’arts plastiques). Il a poursuivi avec un DEA à Paris 1, Sorbonne d’où il est titulaire d’un Doctorat en Art et Sciences de l’Art. Il a aussi fait un BTS en Architecture d’intérieur. Il est aujourd’hui, enseignant d’arts appliqués en tycée, tuteur pédagogique d’enseignants stagiaires et artiste-peintre engagé.


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