Covid-19 : Mise en danger de la vie d’autrui

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L’émoi était vif parmi le personnel navigant d’Air Mauritius lorsque le ministère de la Santé annonçait que les proches d’un de leurs collègues, ainsi que ceux qui avaient effectué le vol MK015 du 16 janvier dernier avec lui, étaient placés en quarantaine après que celui-ci ait été positif au Covid-19. Une agitation compréhensible car ils sont nombreux à réaliser qu’en cédant à la contrainte de changer leurs déclarations d’incapacité à l’auto-isolement, ils exposent concrètement leurs familles aux risques de contamination. Ainsi, au-delà des discours d’autocongratulation et la propagande autour d’une prétendue gestion de la pandémie, les faits continuent de démontrer non-seulement des procédures chancelantes, voire inopérantes, mais aussi des pratiques opérationnelles relevant de la mise en danger de la vie d’autrui.  

Le sketch: Comment documenter une infraction!

L’agitation avait commencé depuis la semaine dernière suite à la publication dans L’Express de la photo ci-dessus. Une photo qui peut paraître anodine pour de nombreux profanes au secteur de l’aérien commercial car, ce n’est pas la première fois que des PNC[1] prennent la pose avec un showman, ici l’humoriste Bun Hay Mean qu’a fait venir JV Entertainment Ltd. pour une représentation. Mais, loin de ce qui semble être bon-enfant, cette photo apporte la preuve dramatique que les risques liés à la pandémie du Covid-19 ne sont toujours pas parfaitement intégrés, même pas par ceux qui y sont les plus exposés. Mais il ne suffit pas de penser que les réflexes de ces PNC se seraient simplement émoussés au fil des mois ; cette baisse de vigilance trouve sa source réelle dans des structures institutionnelles vidées de toute volonté de rigueur face à la crise sanitaire.

Frontliners… les oubliés de Jagutpal !

Les PNC sont, des « frontliners », les premiers. Même si l’olibrius qui se retrouve aux fonctions de ministre de la Santé, ainsi que sa troupe de conseillers, ne sont toujours pas parvenus à intégrer ce fait dans ce qui leur sert de cervelle, et encore moins dans leur stratégie de vaccination. Même si certains de nos confrères parviennent à faire l’impasse sur eux, les PNC sont, sans conteste, les premiers à être en contact avec des passagers dont tous ne sont pas des plus commodes, comme cela a pu être constaté à l’arrivée des vols de rapatriement. C’est bien pour cela qu’il aura fallu que l’AMCCA[2], le syndicat des PNC, bataille dur pour obtenir l’accord du management de la compagnie nationale d’aviation pour adopter de strictes mesures de sécurité. Au nombre des conditions de cet accord, il y a l’engagement de la compagnie à fournir les combinaisons PPE assurant la couverture complète du PNC, ainsi que de surseoir au service des plateaux-repas pour procéder, en remplacement, à la distribution de « lunch-box ».

Pour comprendre la raison de la suppression du service des plateaux-repas à bord, il faut comprendre que la compagnie sous administration fait opérer chaque appareil avec le nombre minimal de PNC correspondant aux normes de sécurité de sa catégorie. Pour le syndicat des PNC, il était surtout question de minimiser le contact avec les passagers. Aussi on peut comprendre que cette photo du directeur de JV Entertainment publié par L’Express ait provoqué beaucoup d’agacements au sein du personnel navigant. Car si cela peut prêter à rire que « Le Chinois Marrant » fasse le pitre sur scène, en revanche, cela ne fait marrer personne que le passager Bun Hay Mean enlève son masque pour faire le singe avec des PNC.

En réalité, plutôt que de se prêter au jeu de la photo[3], les PNC auraient dû rappeler le passager à l’ordre, l’informant qu’il était astreint au port du masque durant tout le temps qu’il était à bord de l’appareil. Tout passager qui n’obtempère pas à ces directives devrait faire l’objet d’un signalement l’exposant aux conséquences de sa témérité devant les instances policières et judiciaires à l’arrivée. Or, ici, le seul signalement fut de nature publicitaire : le promoteur de la tournée ayant choisi d’en faire une flagornerie au sujet de la destination mauricienne, selon lui « one of the only countries still able to organise events ». Ce faisant, il documentait cette infraction non-signalée aux opérations de vol d’Air Mauritius, encore moins aux autorités sanitaires ou policières à l’arrivée. Nous sommes bien au pays où l’on élève les pauvres en esprit aux béatitudes, où la contagion au crétinisme procède des sommets pour infecter les sentinelles qui désormais célèbrent le temps de l’opportunisme triomphant…

Sanction pénale de dix ans de prison

Tout cela ne serait pas si méchant s’il n’y avait des vies à la clé. Celles des « frontliners » de l’aérien au premier chef, et celles de leurs familles. Comme nous l’avions révélé précédemment, suite au sondage organisé par Alain Leung le 12 octobre dernier[4], environ 160 PNC s’étaient déclarés dans l’incapacité de se soumettre à l’auto-isolement à domicile. Ce nombre conséquent équivaut à près de 40% du personnel restant après les mises à la retraite d’une centaine de PNC. Pour pallier ce plantage monumental des estimations du directeur des opérations, les administrateurs Satar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool informaient les PNC de leur décision de mettre les déclarants en congé sans solde. Le 28 octobre, Doris Ah Kay Mun, la senior manager Cabin Operations, dans un courriel adressé aux PNC, leur proposait la possibilité d’une révision de leur déclaration d’incapacité d’auto-isolement… Selon nos informations, 110 PNC auront ainsi changé leur déclaration !

Le syndicat évoquera, dans la presse, la contrainte à laquelle ses membres auront été soumis. Mais, les responsables du syndicat ignorent toujours que cette coercition s’apparente à un délit pénal. En effet, la section 322 du Code Pénal prévoit une peine d’emprisonnement pour « (1) Quiconque aura extorqué par force, violence ou contrainte, la signature ou la remise d’un écrit, d’un acte, d’un titre, d’une pièce quelconque contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge ». Il s’agit d’une offense tellement grave qu’il n’est prévu aucune amende pour la sanctionner, mais seulement l’emprisonnement… pouvant aller jusqu’à dix ans!

Cependant, comme au temps jadis, ce sont les esclaves qui doivent se soumettre. Air Mauritius, dont le management, sous la tutelle outrancièrement politique de son conseil d’administration, était devenu à ce point médiocre que la compagnie d’aviation s’est finalement retrouvée sous administration. Avec ses administrateurs cette fois, ce n’est même plus du management, mais de la curée pour ces quelques cadres qui se repaissent de ce paille-en-queue transformé en charogne. Avec une garantie d’impunité.

Eddy Jolicoeur, le DRH, a fini par jeter l’éponge avec un départ acté au 31 décembre, et de rudes entailles de l’AMCCA au panache de son palmarès. Aurait-il, mieux que d’autres, réalisé d’avoir permis, ou fermé les yeux, sur cette coercition dont les auteurs seraient passibles d’emprisonnement ?

Le gratin démasqué

Très concrètement, cela signifie qu’entre mai et octobre 2020, les familles de 160 PNC constituaient un vivier viral potentiellement dangereux pour l’ensemble de la population. Très concrètement aussi, au moment où la compagnie d’aviation et ses administrateurs Satar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokool prenaient conscience du problème, ils ont choisi sciemment, d’une part, de contraindre les PNC à changer de déclaration, et d’autre part, de maintenir les conditions hasardeuses constituant une menace pour l’ensemble de la population.  

La mise en danger de la vie d’autrui n’est pas un délit dans notre arsenal légal. (Il n’est pas prêt d’y figurer avec des législateurs qui passent le plus clair de leur temps hors du parlement et qui, quand ils s’y trouvent, s’intéressent davantage à leurs querelles partisanes qu’aux lois, surtout celles qui leur seraient contraignantes). Toutefois, il existe des lois qui tiennent compte autant des dispositions nécessaires pour préserver la santé des personnes que celles promulguées pour assurer la sécurité sur les lieux de travail.

Nous avons déjà démontré comment Kailesh Jagutpal a abdiqué les pouvoirs qui lui sont conférés sous la COVID-19 (Miscellaneous Provisions) Act, qui amende la section 79 de la Public Health Act permettant au ministre de la Santé d’édicter tout règlement nécessaire en vue de prévenir une résurgence de la pandémie. Aux responsables de l’AMCCA qui l’avaient sollicité afin qu’il convienne d’un lieu pour abriter ceux des PNC incapables de respecter les conditions d’un auto-isolement à domicile, Jagutpal s’était contenté d’indiquer qu’il ne peut que faire des recommandations à la direction de la compagnie aérienne et ses administrateurs. C’est ce qui permet à Alain Leung et aux administrateurs de maintenir certains PNC en congé sans solde ou sur des vols de convoyage de fret. Cela alors que ni le ministère de la Santé, ni la direction d’Air Mauritius, n’ont jusqu’ici procédé à une vérification des capacités effectives des PNC pour respecter les conditions d’un auto-isolement à domicile !

Mais il y a aussi un autre ministre qui n’a pas fait intervenir toute la puissance de la loi dans cette affaire. Il s’agit de Soodesh Callychurn, ministre du Travail. La Occupational Safety and Health Act (OSHA), promulguée initialement en 2005, est la loi qui régit la gestion des risques de manière générale, et les risques éventuels de contamination en particulier. Dans la mesure où cette législation inclut la contamination éventuelle par des agents biologiques[5], elle garde toute sa pertinence pour la gestion des risques liés au virus du Covid-19. Il s’avère qu’en vertu de l’article 10 de cette législation, l’employeur est tenu de procéder à une nouvelle évaluation des risques[6] et d’élaborer des mesures de protection plus adéquates envisagées pour assurer la protection des employés face à de nouveaux risques. La sous-section (3) de cet article précise même que cette évaluation et l’élaboration de ces nouvelles mesures doivent être effectuées « within the shortest possible delay ». C’est là que l’on peut évaluer le sens de l’urgence d’Alain Leung et de ses collaborateurs des Flight Operations : son sondage pour évaluer les capacités de ses PNC à respecter les conditions d’auto-isolement, il l’aura initié sept mois après la mise en place de la procédure d’auto-isolement !

La compagnie d’aviation et ses administrateurs sont bien habilités sous l’article 12 (2) (c) à empêcher un employé de reprendre le travail si une situation de danger sérieux ou imminent perdure. Satar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool pourraient-ils se prévaloir de cette disposition pour justifier leur décision de mettre en congé sans solde ceux des PNC incapables de respecter le protocole de l’auto-isolement à domicile ? Il leur faudra certainement démontrer que la mesure de protection qu’ils ont envisagée consistait à réduire le nombre des PNC en incapacité de s’auto-isoler. Mais une telle mesure est-elle valide dès lors que l’on offre la possibilité à ces PNC de changer de déclaration ?

Là où l’on pourrait éventuellement considérer que l’AMCCA a failli, c’est que la législation OSHA offre des garanties aux employés sur ces questions de santé et de sécurité au travail. Ils n’ont pu informer correctement leurs membres au sujet de ces garanties qui, non seulement prévoit ce qu’on appelle le « droit de retrait » dans les cas où un employé a des raisons sérieuses de considérer qu’il fait face à un danger sérieux ou imminent. L’article 12 (3) va même jusqu’à prémunir un employé dans cette situation de toute poursuite pénale ou civile et même de toute action disciplinaire. Le syndicat des PNC aurait pu aussi porter plainte contre l’employeur et ses administrateurs auprès du secrétaire permanent du ministère du Travail en se prévalant des dispositions de l’article 15 de OSHA. Là encore, la législation protège les employés contre toute mesure de rétorsion[7].

Mais ce n’est peut-être que partie remise ; les responsables de l’AMCCA sont formés pour être PNC mais, ils ont montré une exceptionnelle capacité à évoluer de plus en plus efficacement sur le terrain syndical, de la législation du travail et de la négociation que ce soit avec les ministères ou les administrateurs. En tout cas, bien plus efficacement que les pilotes qui ont consenti à cette situation où ils peuvent répondre présents alors qu’ils n’ont par terminé leur septaine. C’est ainsi que deux d’entre eux, qui avaient fait le vol MK015 arrivé de Paris le 17 janvier dernier, se sont retrouvés dans le cockpit le lendemain pour effectuer le vol MK218/219 sur La Réunion. Il y en a encore qui croient qu’ils sont mieux protégés que les PNC en cabine juste parce qu’ils se retrouvent dans le cockpit ! La séropositivité de leur collègue leur aura-t-elle mis les yeux en face des trous ?

Le pilote d’Air Mauritius testé positif est un rappel que le risque d’une deuxième vague est bien réel. Toutefois, le véritable danger n’est pas tant le coronavirus ou ses variantes régionales, mais bel et bien des ministres peu disposés à assumer leurs responsabilités. Jagutpal, qui s’était illustré par le passé en allant promener son Premier ministre dans un centre de quarantaine, s’octroie à nouveau le rôle de montreur de personnalités en affichant sa proximité avec la Haut-commissaire de l’Inde à Maurice. Le gratin du monde diplomatique, avec même son représentant de l’OMS pris dans une controverse politique, faisait tomber masque à l’hôpital Candos pour le lancement de la campagne de vaccination…

Oubliée donc la distanciation sanitaire, oublié aussi le danger auxquels ces notables se soumettent et le risque de contamination qu’ils font courir aux personnes vulnérables qui sont présents dans l’hôpital. Désormais les « Cocovid » sont ceux qui siègent au conseil des ministres de son altesse crétinissime Pravind Kumar Jugnauth. Les fous ne sont plus à l’asile ; ils font psy !


[1] PNC: Personnel Navigant Cabine. Les PNC sont essentiellement responsables de la sécurité de l’avion et de ses passagers, même si leurs taches annexes les plus visibles, notamment le service des boissons et des repas, prédominent dans la perception des termes « hôtesses » et « stewards ».

[2] AMCCA: Air Mauritius Cabin Crew Association, le syndicat du Personnel Navigant Cabine d’Air Mauritius.

[3][3] Prendre des photos avec des PNC se conçoit très bien pour peu que ceux-ci en conviennent et qu’il en est fait un usage personnel. Toutefois, dès qu’il est question d’un usage promotionnel quelconque, par soi-même ou par un tiers, l’accord préalable de la compagnie d’aviation est requis.

[4] Ce qui signifie qu’entre mai et octobre 2020, la direction des opérations de vol ne s’était même pas soucié des conditions d’isolement des PNC.

[5] Fourteenth Schedule – LIST OF NOTIFIABLE OCCUPATIONAL DISEASES 1.3 Biological agents

1.3.1 Infections or parasitic diseases contracted in an occupation where there is a particular risk of contamination.

[6] Les évaluations doivent être régulièrement menées avec obligation de les effectuer avant l’échéance de deux ans. L’article 10 (b) (ii) précise qu’elles doivent être menées “earlier (…) where there has been significant change in the matters to which it relates”

[7] 15 (2) No civil or criminal action, or any form of disciplinary proceedings, shall lie against any employee as a result of a complaint made in good faith against his employer under this Act.


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