Abolition de l’esclavage : C’est la mémoire que l’on enchaîne

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Temps de lecture : 7 minutes

Entre révisionnisme et négationnisme, la mythomanie se déchaîne !

Marquage au fer rouge d’une femme réduite en esclavage, système de traite et d’exploitation de la ressource humaine assujettie en condition servile conformément à la bulle “Romanus Pontifex” du pape Nicolas V.

Commémoration pour certains, célébrations pour d’autres, devoir de mémoire et tutti quanti : quand la politique et la religion s’accordent sur un tel sujet, il convient de se méfier. Aujourd’hui, à Maurice, les ministres du culte et ceux de la politique se retrouvent dans le champ du folklore, formidable dissolvant d’une mémoire sérieusement mise à mal par les institutions ayant la charge d’assurer l’éducation des Mauriciens et la culture républicaine eu égard aux particularités d’une ancienne colonie de plantation.

Aujourd’hui comme hier, ces trous faits à la mémoire des oublieux, comme à celle des abrutis, ouvre un boulevard à tous ces responsables dont les institutions furent, et demeurent engagés, dans la lâche entreprise de s’absoudre de leurs crimes contre l’humanité. S’y engouffrent aussi les cyber-exploitants des nouveaux délires afrocentristes ainsi que ceux qui animent des mouvements de primitivisme moderne qui empruntent aux symboles de bondage et de domination qui ont fait leur retour par la voie des fantasmes sexuels propres à certaines sociétés occidentales.

Les révisionnismes, les détournements des éléments de mode, révèlent le caractère contemporain de ces drames qui demeurent irrésolus. Inclure un curé dans l’élaboration d’un musée de l’esclavage est loin d’être une garantie d’authenticité pour ceux qui recherchent ou fantasment sur la part africaine de leur ancestralité. Dans quelle mesure ceux-là seraient effectivement exposés aux rituels initiatiques de certaines sociétés – et pourraient éventuellement être initiés eux-mêmes – alors que ces systèmes de croyances, encore simplement décrits comme « animistes » dans l’ethnologie occidentale, demeurent incompatibles avec la foi chrétienne qui n’y aura trouvé, au long des siècles, que de « la sorcellerie » et aujourd’hui de « la superstition » ?

Et de même, le seul fait de planter son derrière dans les travées de l’Assemblée n’absout en rien l’exploitation des trous faits à la mémoire chancelante d’une population que l’Etat prive éhontément de l’éducation à son histoire.

De la culture au culte : soumettre sarrasins et païens

Dans les faits d’hier, comme ceux d’aujourd’hui, tout n’est qu’accommodement de la conscience. Et puisqu’il n’est jamais question de mémoire à réparer, on s’autorise à la triturer pour toujours la nier. Aujourd’hui, les politiques et les religieux semblent avoir trouvé un terrain d’entente : Le Morne s’anime à chaque 1er février entre les rites d’une messe et le rituel politique des dépôts de fleurs. Le culte de la bonne conscience ne laisse même pas d’espace pour gerber.

Voilà maintenant que l’élaboration du Musée de l’Esclavage a fait place à un curé. L’église catholique aurait-il trouvé en l’abbé Romaine la possibilité de revaloriser son image autant que l’abbé Laval, le Normand béatifié avait pu ici l’absoudre de sa participation active à la déshumanisation des noirs d’Afrique en particulier ? Plus sont ignorants ceux qui se réclament de cette ascendance, et plus les politiques osent les accommodements qu’ils estiment pouvoir justifier même avec les antinomies. Car, ces exploitants de la bêtise populaire, ceux qui s’en vont pontifier et se faire remarquer à chaque manifestation ethno-religieuse, auraient-ils osé faire valoir leur présence s’ils savaient que cet esclavage pratiqué alors par les Occidentaux trouvait son fondement dans une autorisation papale ?

C’est, en effet, le pape Nicolas V1, qui trônait au Vatican à l’ère des premiers explorateurs occidentaux. Il fut celui qui écrivit, le 8 janvier 1454, au souverain du Portugal Alphonse V, une bulle papale spéciale l’autorisant à soumettre « les sarrasins » et « les païens » et de prendre possession de leurs terres. Ainsi, selon l’expression consacrée, le pape Nicolas V « fulmine » une bulle mémorable, Romanus Pontifex, par laquelle il encourage le roi du Portugal Alphonse V à combattre et assujettir les « sarrasins, païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient ».

Que disait précisemment cette fameuse bulle papale ? En voici un extrait non-équivoque : « Nous [donc] pesant tous et singulièrement les lieux avec la méditation voulue, et notant que puisque nous avions autrefois par d’autres lettres de la nôtre accordé entre autres choses la faculté libre et ample au roi Alfonso susdit — d’envahir, rechercher, capturer, vaincre, et soumettre tous les Sarrasins et païens quels qu’ils soient, et les autres ennemis du Christ où qu’ils soient placés, et les royaumes, duchés, principautés, dominions, possessions, et tous les biens mobiliers et immobiliers qu’ils détiennent et possédaient et pour réduire leurs personnes à l’esclavage perpétuel ». C’est par ce préambule qu’il va se poser en arbitre entre l’Espagne et le Portugal, assurant à ce dernier une position prépondérante dans la colonisation des continents.

Quelles que soient les justifications que les milieux chrétiens tenteront d’apporter par la suite – et encore aujourd’hui – l’Eglise a concrètement apporté sa caution à la traite des noirs. Un commerce qu’elle n’aura finalement condamnée qu’en 1839. Soit au-delà de la période où, les dominions britanniques notamment, auront concrètement aboli – non l’esclavage comme on a coutume de le dire ici mais – la traite négrière.

On notera que le diocèse de Port-Louis n’aura pas su célébrer l’année dernière les 185 ans de cette condamnation tardive de la traite négrière par le Vatican. Ni évoquer, et encore moins s’excuser, à l’occasion du 570e anniversaire de cette bulle ponificale qui plongeait le Vatican, et l’Eglise catholique par extension, dans l’ignominie et l’indignité de l’esclavage. Mgr Durhonne dira-t-il éventuellement à ceux qui entreprennent une lecture analytique de ces faits qu’ils se livrent à une action infamante ? Ou faudrait-il, au lieu de ces rituels à l’emporte-pièce qui conviennent surtout aux politiques, que le diocèse de Port-Louis se contente désormais de seulement renouveler un acte de contrition ?

Car, il n’y a pas que les descendants d’esclaves à libérer de ce lien d’un baptême imposé par le Code Noir. Pour cause, au-delà des années et quelle qu’ait pu avoir été la position personnelle de leurs ancêtres, ou leur engagement actuelle pour une humanité partagée, les blancs se retrouvent toujours enchaînés à cette part moins glorieuse de l’histoire du monde.

Code Noir, Sinistre Blanc ?

En effet, l’aliénation de l’esclavage ne concerne pas seulement les Noirs qui auront subi la déshumanisation ; elle implique aussi tous les blancs dans une stigmatisation dont les plus fourbes des rabatteurs politiques n’hésitent pas à faire commerce. Car, n’est-ce pas à force d’en dire le moins, que perdure cette fourberie jamais dénoncée ?

Il importe, en effet, de se souvenir des circonstances dans lesquelles le Code Noir fit son apparition au parlement mauricien. Ce fut lorsque le ministre des TIC, Deepak Balgobin, s’y présenta le 22 juillet 2020 et, brandissant un exemplaire polycopié du Code Noir, il évoquait les « colons blancs » ! N’est-ce pas à cette occasion que Patrick Assirvaden, député travailliste, effectua un walk-out parce qu’il n’avait pas supporté que l’on puisse ainsi narguer les Bérenger, père et fille, avec des attitudes aussi rétrogrades que l’allusion non-assumée à leur épiderme ?

Le Bug : 22 juillet 2020, Deepak Balgobin, le ministre qui aura tenté la Colonisation Numérique de l’île Maurice, agite le Code Noir à l’Assemblée Nationale et insinue que Paul et Joanna Bérenger seraient des “Colons Blancs”.

Pourtant, quelle que soit l’opposition que l’on pourrait manifester à l’encontre de Paul Bérenger pour ses choix politiques, quelle que soit même l’aversion que certaines personnes auraient pu avoir développé pour le personnage politique, il s’avère que ce type de suggestion de racisme à l’encontre du dirigeant du MMM n’est tout simplement pas fondé. Si tant est qu’un tel reproche pourrait s’envisager, ce serait pour avoir, au contraire, favorisé des sympathies ‘mazanbik2 aux fonctions de Lord-maire de la cité de Port-Louis alors que leurs aptitudes n’étaient pas aussi élevés que le niveau des complaisances au sein du MMM ! Dans ce registre, c’est comme si les aptitudes des Ti-Moignac, Régis Grivon, ou Luc Marie notamment, auraient été les mêmes que celles d’un Amédée Darga ou d’un Percy Lafrance. Ou, pour parler crûment et sans ambiguité aucune, vouloir faire accroire que les capacités mentales pour élaborer une vision politique pour une ville seraient équivalentes pour peu que les cheveux soient également crépus !

L’histoire politique de ces soixante dernières années nous renvoie ainsi à une succession de cas d’exploitations politique et religieuse des personnes érigées en symboles d’une catégorie, quelle qu’elle soit. Ainsi, on ne s’étonnera pas, qu’en son temps, Anerood Jugnauth agita lui aussi, dès 1983, sa figure emblématique du milieu populaire « créole » en la personne de Georgy Candahoo. Si l’intéressé, aujourd’hui disparu, n’hésitait pas à s’identifier comme « mazanbik », on s’apercevra que le personnel politique s’est toujours gardé de recourir à de telles désignations populaires, leur préférant les catégories légales et officielles, comme celle de « population générale », cette fiction juridique fondée sur des critères sociologiquement inexactes et inopérantes.

Le vocable « mazanbik », terme familier qui servait à décrire le noir aux cheveux crépus, de la même manière que l’on désigne le « cafre » à La Réunion, n’est ainsi jamais rentré dans le discours politique en raison d’une hyper-correction politique qui ne se reconnaît pas et ne s’assume pas. Mais la classe populaire n’est pas aussi hypocrite que les lourdauds qu’elle fait élire. L’interdit, rendu efficace par le non-dit politique, a ainsi donné lieu au terme « nasyon ». C’est dans cette logique que se définit le « créole » désormais : ce serait celui provenant du milieu populaire et qui aurait les caractéristiques physiques de la négritude. Ainsi, par cette même logique, n’est plus créole celui qui est blanc. Et cela convient néanmoins à la désignation de la « population générale ».

Alors comment font ces gens qui, pour peu qu’ils soient élus, s’en vont exploiter la symbolique du drame de ces marrons qui se jettent du promontoire de Le Morne et qui n’ont jamais cherché jusqu’ici à comprendre ce qui s’est réellement produit pour les esclaves chassés des camps ? Le marchandage de la mémoire défaillante autant que l’exploitation de l’ignorance populaire leur est devenu naturel. Il y a ces ministres de la Culture qui ont jusqu’ici fait étalage de leur inculture et il y a aussi les fonctionnaires de ce ministère issus de cette école publique qui prédispose au moindre effort. Comme celui de mieux se documenter sur ce sujet et qui leur paraît une tâche herculéenne.

Il y a aussi à l’autre bout de la chaîne, il faut bien l’admettre, la culture d’évitement de cette caste d’« intellectuels » que toute controverse rebute au point de s’abstenir de toute remise en question de ces manifestations folkoriques. Ainsi, c’est quand les lâches de la conscience et autres obséquieux ont pour mission d’éclairer les parts les plus sombres de notre histoire, que nous est offert le triste spectacle de l’intégrité qui se déculotte.


1  Nicolas V, de son vrai nom Tommaso Parentucceli [1398-1455], était le 208e pape dans la lignée de Saint-Pierre, considéré comme le premier chef de la chrétienté vers l’an 30 de notre ère.

2  Le vocable « mazanbik » est une allusion directe au Mozambique, l’un des comptoirs majeurs d’approvisionnement d’esclaves pour les différentes implantations coloniales dans l’océan Indien. Ce vocable a fini par désigner toutes les personnes de type négroïde, alors que ces individus provenaient aussi des comptoirs de Zanzibar, de Port Saïd, de Madagascar et du Soudan.


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