Soucis et Sursis : quel sursaut ?

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Que l’on soit débarrassé du MSM de Pravind Jugnauth est une chose, que l’on soit embarrassé de nos soucis économiques, sociologiques et politiques en est une autre. Ne pas savoir distinguer l’une de l’autre nous condamne à ce même fanatisme qui avait fait le lit des profiteurs obséquieux qui remplacent aujourd’hui ceux de leur acabit. Les lèche-bottes du gouvernement Sanzman ne devraient pas différer de ceux du précédent régime. Enn Chatwa res enn chatwa ! Le comble de l’ironie c’est de constater que ceux qui, il y a une quinzaine d’années, avaient déifié le Navin, étaient aussi ceux qui, hier encore, se prosternaient devant l’Anerood et ensuite le Pravind. Et ce sont ceux-là même qui continuent de chanter les louanges des Premiers ministres, tant que la fonction demeure entre Vaish qui rient.

Alors que l’économie nationale est en surchauffe en raison surtout de sa dette publique, les services publics périclitent. L’ironie et le paradoxe se disputent les exemples : le contribuable mauricien paie ses impôts pour que les malades puissent avoir des soins à l’hôpital public mais, en même temps, il se ruine avec les frais de la clinique privée. Alors que tout le monde reprend l’antienne de la méritocratie, le système scolaire assure la reproduction de l’élite sociale avec des droits d’admission à cent mille balles dans certains établissements scolaires – sans compter le MacBook et l’i-Pad dans la liste des fourntures scolaires ! Pendant ce temps l’école publique, complètement larguée, produit de l’échec en masse et fournit au capitalisme mauricien sa ressource corvéable.

Pour peu que nous admettions que l’école publique de ces trente dernières années a échoué dans sa mission d’éducation, nous sommes en mesure de réaliser que nous avons une population rendue inapte face aux grands enjeux de ce monde, et ceux encore plus catastrophiques de notre caillou au milieu de l’océan Indien. Au diable les susceptibilités nationalistes : les « Mauricianisme » et autres « patriotisme » ne sont que de vains slogans quand une nation ne parvient pas à se réinventer et qu’elle attend tout du personnel politique. Or, celui-ci fonctionne en mode de centralisation castratrice, en ce sens qu’il émascule les porteurs de visions d’avenir et rend stérile l’environnement nécessaire aux initiatives.

Ainsi se retrouve-t-on avec un pays endetté sur trois générations alors que, depuis le début du millénaire, le personnel politique, tous bords confondus – ainsi que les comptables complaisants commentant le budget national – nous bassinnent du « vieillissement de la population ». Malgré les beaux discours, nous voilà, néanmoins, avec nos caisses de retraites anémiées ainsi que nos jeunes condamnés à l’exil parce que la fameuse méritocratie n’a pas de jobs à fournir aux diplômés. Comme ceux-là partent vers d’autres cieux, les statistiques affichent un plein emploi qui ont permis à Padatachy d’ouvrir toutes grandes les vannes de la main-d’oeuvre issue de la migration. Ceux qui sont en déficit d’un certificat – qui, de toute manière, ne garantit pas les compétences – se retrouvent ainsi en compétion avec les Indiens et les Bangladais.

Entre attentes de résultats et désirs de revanche

Nombreux sont les Mauriciens qui, avant les législatives, se montraient frileux sur Facebook ; ils s’expriment désormais sans crainte sur la plateforme. Ce sont surtout ceux-là qui, pris d’une soudaine bravoure opportuniste, se montrent les plus impatients pour les règlements de compte. L’idée des enquêtes qui doivent déboucher sur des procès devant les tribunaux ne les rassurent aucunement. Ils craignent les tactiques dilatoires et les vices de forme qui offrent autant d’échappatoires au bout de plusieurs années de procédure.

Ramgoolam sait que la fonction publique est une gruyère infestée par les rongeurs installés par toutes les alliances qui se sont succédés au pouvoir.

L’envie de « Bour-Li-Déor » exprimée au temps de Bruneau Laurette s’était estompée, mais a surgi à nouveau avec l’effet combiné des révélations de Missie Moustas et la censure entamée par l’ICTA de Ng Sui Wa. Suscitant des sentiments de colère, d’une part, chez ceux qui auront enfin compris que la dictature se manifestait sans ambiguité et, d’autre part, le sentiment d’angoisse, notamment chez ceux qui ont profité des abus, ainsi que leur entourage. Car, le Chatwa n’est pas isolé : cette engeance prolifère au sein des mêmes réseaux de familles qui, bon an mal an, se maintiennent au rang des courtisans des monarques du moment. Le financement de certaines célébrations religieuses, c’est eux. Le briani que vienent servir ministres et députés, c’est encore eux. Les bus pour se rendre aux meetings, c’est toujours eux.

Navin Ramgoolam sait que les Chatwa sont simplement comme les chiens qui changent de fidélité. C’est important pour lui d’en tenir compte. En effet, l’analyse scrupuleuse des résultats des élections nous montrent ce que les 60-0 escamotent : un électeur sur quatre a voté MSM ! En somme, sans les revirements occasionnés par Missie Moustas et l’ICTA, cette proportion aurait été plus conséquente. Ainsi, malgré sa majorité totale au parlement, Ramgoolam sait que la fonction publique est une gruyère infestée par les rongeurs installés par toutes les alliances qui se sont succédés au pouvoir. Et les rongeurs installés depuis ces dix dernières années sont parmi les plus redoutables : inefficaces et incompétents pour les tâches attendues d’eux, ils sont, cependant, les plus friands de faveurs et de promotions, en même temps qu’ils sont les plus aptes à freiner les dossiers des plus méritants.

Au-delà des revirements constatés, cette fonction publique, qui coûte trop cher pour les services qu’elle peine à rendre, est un passage obligé pour le gouvernement désormais en place. L’Exécutif, sous Jugnauth, en voulant s’étendre au-delà des périmètres qui lui étaient assignés sous la Constitution, laisse à Ramgoolam un héritage spolié par l’actif successoral négatif auquel celui-ci ne peut renoncer. Mais n’est-ce pas ce qui avait propulsé le MSM au pouvoir en 2014 ? Et, les plus âgés devraient-ils avoir autant de mal à se souvenir que c’est la même perversion des institutions – d’une police trop politique et infiltrée par la mafia à une justice trop lente et perçue comme biaisée en faveur des puissants et du patronat – qui avait provoqué le premier 60-0 post-indépendance ?

Navin Ramgoolam n’hérite pas d’une ardoise propre et, rien que pour les dettes, il aura contribué, d’entrée de jeu, par la surenchère électorale du 14e mois notamment, à ajouter sa part à la dette nationale. Quelle que soit sa volonté de changement, il va lui falloir fédérer une population dont la moitié au moins s’attend à des sanctions contre les nuisibles les plus visibles parmi les profiteurs des années Jugnauth. Il lui faudra, en même temps, s’attirer la sympathie de ces fonctionnaires susceptibles de constituer une opposition des plus furtives. Il reste une moitié de sceptiques : pas seulement ceux qui n’ont pas voté pour lui, mais qui ont voté contre Pravind Jugnauth. Il est important qu’il accorde les meilleures considérations à ces sceptiques qui, très raisonnablement, se demandent encore comment croire en la démocratie pour le pays quand les partis eux-mêmes sont incapables de renouveler leur leadership. Reprochera-t-on aux plus jeunes de se demander s’ils vont devoir, compte tenu de l’âge statistique du Premier ministre et de son adjoint, payer des enterrements de première classe à Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ?

Cécités et absence de vision

Passé l’euphorie des 60-0, des gratitudes du 14e mois, des pétarades et des ivresses du Nouvel An, s’ouvre le feuilleton Seegoolam auquel la presse à sensation va donner les plus forts retentissements. Les enquêtes mèneront sans doute vers le procès de l’ancien gouverneur de la Banque centrale et éventuellement de ses acolytes qui auraient pu l’avoir aidé à sacrifier les réserves nationales sur l’autel des enrichissements douteux. Mais, à bien voir, ce sera aussi le procès de la piètre qualité de la gouvernance ainsi que des hommes nommés pour l’assurer. Ce sera le procès d’une juridiction par trop complaisante et d’un gouvernement qui était devenu excessivement partisan.

Quoi qu’il en sera, ce n’est pas avec des procès juridiques et médiatiques que l’on remet un pays sur la voie du développement économique et du bien-être social. Ramgoolam a placé deux néophytes, Gavin Glover et Ashok Subron, au ministère de la Justice et celui de l’Intégration sociale respectivement. Mais si ces deux-là jouent intelligemment, leurs ministères pourraient devenir le lévier d’un pouvoir capable de transformer notre société en profondeur. Pour peu qu’ils parviennent à mobiliser leurs collègues du Cabinet pour coordonner la puissance exécutive de leurs ministères sur des projets communs, ils sont à même de donner forme aux notions de la justice du droit et de la justice sociale. C’est par ce type de synergie qu’ils pourront donner du sens au Budget, à l’Education, à l’Environnement, au Travail et à la Santé.

Mais ce n’est pas ce que l’on voit pour l’instant. Les visistes surprise d’Anil Baichoo et de Deven Nagalingum, par exemple, ramènent à ce conservatisme réducteur de la fonction de ministre. C’est un peu comme En Avant Moris qui propose un programme révolutionnaire pour l’admnistration de la ville de Beau-Bassin/Rose-Hill, alors que les cadres de cette formation politique confondent leur rôle avec les fonctions des officiers du Welfare de la municipalité.

Ces flous dans les actions entreprises révèlent l’absence de formation politique même chez ceux qui se retrouvent au sein des principales formations qui accèdent au parlement et au gouvernement. Il en résulte des empiètements sur les tâches des fonctionnaires qui ne peuvent pas compter sur les Secrétaires permanents pour indiquer leurs limites aux élus. Cela veut surtout dire qu’il y a une absence de vision que ministres et fonctionnaires doivent servir selon leurs responsabilités respectives. Cette incapacité de fédérer une population dans une vision commune a pour effet de maintenir notre société dans une campagne partisane permanente.

L’île Maurice, cependant, n’a pas toujours été prise au piège du fanatisme politique aveuglant. C’est ce qui a permis à ce petit pays de faire des bonds de géant dans quelques secteurs stratégiques. Au temps où ce pays avait encore un Ministère du Plan et du Développement économique, le gouvernement énonçait non seulement son plan quinquennal mais se faisait le devoir d’une projection sur vingt ans. Bien au-delà donc des mandats électifs qui sont devenus de véritables visières pour les élus. L’orientation proposée par José Poncini, par exemple, avait permis de résorber, en 20 ans, le chômage qui était de 40% en 1968. Mais, en 2005, ce génie mauricien se désolait que son pays ait recours à la main d’oeuvre étrangère… pour le métier de boulanger ! Tout ça parce que les gouvernants n’avaient pas compris la pertinence de sa recommandation pour des chambres des métiers. C’est là qu’il aurait fallu crier au scandale, mais les éditocrates de la presse mauricienne préfèrent encore, malgré tout, les narratifs des comptables plutôt que les constats des économistes et des sociologues. Aux processus historiques, ils préfèrent les éphémérides et ses anecdotes. Depuis longtemps l’information n’éduque plus.

Le problème de Ramgoolam c’est d’être tenté par la propagande facile des résultats catastrophiques dont il hérite.

Il s’avère, cependant, que l’histoire devra toujours retenir les faits, en particulier ceux émanant des hommes constants. Car, c’est toujours Poncini, ce Mauricien né de parents suisses, qui avait résumé la formule du pays géographiquement bien situé pour le marché financier : cette île Maurice pouvant poursuivre les transactions 24/7 puisque « quand le Dow Jones s’endort, l’indice Nikkei se réveille ». Seul un initié de l’horlogerie suisse pouvait ainsi conjuguer l’espace et le temps. Et c’est ce qui a permis au pays d’avoir un secteur financier, que des malpropres auront vite souillé.

C’est grâce à ce type d’hommes que nous sommes parvenus à diversifier notre économie de la seule monoculture de la canne. Pourtant l’inculture aura fait que l’on plante deux graines des chefferies partisanes dans un jardin botanique ; comme s’il en aurait poussé des bourgeons de quelque vertu qu’on eut pu admirer. Leurs successeurs auront confirmé la vaine attente.

L’ère des technocrates

Mais voilà, Poncini n’est plus. Envolée la vision créative. Et, comme de bien entendu, les ministres du Cabinet Ramgoolam 2.0 vont administrer avec des technocrates sortis de leurs réseaux. Le personnel politique, on l’aura constaté durant ces trois dernières décennies, est plus prompt à faire confiance aux technocrates. Il en faut certainement, mais ce sont les objectifs économiques qui retiennent l’attention de ces experts qui passent à la trappe les considérations relevant du bien-être social. Nos ministres, de quelque famille politique qu’ils soient, se fient à cette caste qui formulent essentiellement des orientations pouvant satisfaire leurs homologues de la Banque Mondiale ou du FMI. Certains d’entre eux, individus méprisants incapables de réaliser que la légitimité de leurs maîtres provient du vote populaire, s’enorgueillissent même publiquement de n’être « pas là pour faire plaisir à la population ». A qui d’autre alors ?

Le problème de Ramgoolam c’est d’être tenté par la propagande facile des résultats catastrophiques dont il hérite. Cela émoustille ses partisans les plus fanatiques, mais pas l’ensemble de la population. Le problème du pays est tout autre : il s’agit d’instaurer une justice sociale susceptible de redonner confiance à une population afin qu’elle s’investisse dans l’effort pour résorber la dette. Aborder cette problématique dans l’autre sens équivaudrait à mettre sa culotte à l’envers. Même si le système politique mauricien fait de Navin Ramgoolam un monarque dont on ne dit pas le nom, après Pinocchio l’île Maurice n’a pas besoin d’un Roi Dagobert.

Joël Toussaint


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