De la gratuité. Ou, comment perpétuer l’esclavage!

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Nous ne sommes jamais sortis de la logique Ramgoolamienne du pouvoir. Les éditorialistes de l’époque considéraient que Seewoosagur Ramgoolam, en rendant l’éducation secondaire gratuite, s’était montré astucieux et que sa démarche électoraliste servait une juste cause. La ruse ayant ainsi été érigée en vertu, devrait-on s’étonner que Pravin Jugnauth s’inspire aujourd’hui de cette formule politicienne? S’il n’en tire pas les bénéfices maximales auprès des éditocrates qui sévissent aujourd’hui sur la place, c’est tout simplement parce qu’un éjaculateur précoce, ça fait tâche : tout le monde s’est, en effet, aperçu que le substitut au poste de Premier ministre jubilait… alors que les préliminaires n’étaient même pas encore entamés ! Cependant, même si l’acteur principal est des plus risibles, cette question de la gratuité nous contraint à assister aux expressions contemporaines d’un drame humain qui trouve sa source dans une tragédie sociale qui affecte ce pays depuis trois siècles…
 
D’emblée, faisons clairement ressortir que nous ne nous donnons pas pour mission de gérer les susceptibilités des multiples groupes d’intérêts qui ont, à divers moments de notre histoire, profité des faveurs des gouvernants en place. L’histoire et la sociologie de ce pays ne nous ont pas attendus pour exister et se poursuivront bien sans nous. C’est juste qu’en ce qu’il s’agit d’INDOCILE, nous n’entendons pas assumer les positions définies par un personnel politique animé par la seule prédation électorale et qui n’est jamais précisément dénoncé par la presse au motif d’un « tissu social fragile ». Car, ne sont-ce ceux-là même qui légifèrent à l’encontre de l’incitation à la haine et de la violence qui, en réalité, créent les conditions qui les favorisent, les suscitent et les entretiennent ? L’auteur de ces lignes refusant de cautionner de telles hypocrisies, il appartient à chacun d’assumer la responsabilité de leurs actes comme de leurs omissions, de même que lui assume ses propos.
Habitués qu’ils sont à lire des éditoriaux où les éditocrates tombent à bras raccourcis sur un personnage présenté comme le responsable des maux du moment, les lecteurs sont portés à se focaliser sur les individus et les épiphénomènes plutôt que de considérer un système qui est à l’œuvre autant dans les circonstances présentes et plus loin dans le temps.
Ainsi, la question de la gratuité relève de l’épiphénomène dès lors qu’elle est cantonnée aux coûts de son fonctionnement et, aussi par rapport à sa mise en vigueur effective, ainsi que l’échéance électorale qui lui apporte sa pertinence politique. Pour sortir de la phénoménologie, il suffit d’oser interroger la notion même de la gratuité et sa pertinence politique dans le contexte sociologique et historique de Maurice.
Nombreux sont ceux qui dressent un parallèle entre la récente décision du Luxembourg de rendre gratuit les différents services de transport public et les services gratuits que l’on trouve à Maurice. Au Luxembourg, la subvention du transport public n’émane pas d’une situation où la population n’en aurait pas les moyens. Au contraire ! Là-bas, la décision sert une philosophie politique qui obtient l’adhésion de l’ensemble de la population : il s’agit d’encourager l’usage des moyens de transport collectif et d’ainsi réduire l’impact carbone du duché.
Dans cette logique, certains peuvent arguer qu’à Maurice l’éducation gratuite au primaire aura servi les objectifs de l’alphabétisation et de la numération et que la gratuité au secondaire aura servi à obtenir la main d’œuvre flexible qui a contribué à la croissance économique de la période industrielle et offrant aujourd’hui une qualification suffisante pour la transition vers les tâches basiques des plateaux des centres d’appels.
Les contradicteurs, eux, ne manqueront pas de faire valoir le caractère prétentieux du gratuit puisque cette éducation prétendument gratuite aura aussi produit sa mafia enseignante qui parvient aux résultats avec des élèves qui paient pour des cours particuliers et voue ceux qui n’ont pas les moyens à l’échec scolaire. Idem pour les soins de santé où l’on poireaute une journée pour quinze minutes avec des médecins qui, dans des conditions qui se dégradent sans cesse, auscultent à la chaîne comme des travailleurs d’usine ! Ce qui donne une bonne idée de l’inefficacité des formations même chez ceux qui, prétendument, en reçoivent des meilleurs. Heureusement que, pour accéder à ces soins indispensables, les petits vieux obtiennent le bus gratuit !

Plutôt qu’une obligation de l’Etat, la gratuité est désormais rendue au stade de faveurs que les gouvernants font au petit peuple.

Mais, on constate que pour une grosse part, les malades finissent par consulter des médecins dans le privé, font de l’automédication avec l’aide des pharmaciens et, ceux qui ont quelques économies ou une assurance, se tournent vers les cliniques privées. Non, ce n’est pas mafieux tout ça ; même si cela ressemble à s’y méprendre à ce qui a longtemps constitué les structures de l’économie calabraise…
On peut ainsi réaliser que, plutôt qu’une obligation de l’Etat, la gratuité est désormais rendue au stade de faveurs que les gouvernants font au petit peuple. Pour des services plus décents, il faut passer à la casserole. Bien entendu, c’est au niveau de ces réalités sociologiques, et non pas en se contentant de rapporter des épiphénomènes, qu’il est possible de rendre compte des inégalités économiques et sociales.
C’est donc à ce niveau qu’il est possible de distinguer, autant les intérêts particuliers qui motivent certaines mesures politiques, que leurs effets insignifiants ou leur impact durable au plan sociétal. En effet, rendu à ce niveau, il est évident que l’on ne saurait comparer la gratuité que prévoit le duché du Luxembourg à celui qui se pratique à Maurice.
Qu’est-ce qui fonde cette différence ? Elle se fonde essentiellement dans les rapports entre bénéficiaires et décisionnaires. Des rapports qui structurent le système des inégalités de telle sorte que le Mauricien opprimé, devenu totalement ignorant des chaînes qui l’entravent, finit par vénérer ses oppresseurs. Nous sommes effectivement dans des rapports de domination et de violence qui rappellent parfois le syndrome de Stockholm (où des otages développent de l’empathie pour leurs geôliers et finissent même parfois par épouser leurs causes), ou celui de la femme battue (celle-ci sombre dans l’obsession d’éviter la situation qui pourrait occasionner une nouvelle irruption de violence à son encontre).
C’est dire la violence qui s’exerce de manière structurée entre dominants et dominés ; la même que l’on retrouve du temps de l’engagisme et, bien avant, sous le Code Noir et l’esclavage, avec la violence exprimée dans sa forme la plus bestiale. Y a-t-il une différence entre les pratiques de ce temps-là et les rapports d’aujourd’hui ? Tant pis, ou tant mieux, si cela choque, mais notre réponse sera sans équivoque : la violence ne s’exerce plus avec la même sauvagerie, mais il s’agit bien des mêmes rapports sociaux !
Analysons les choses de manière clinique. Pour la sociologie ou l’anthropologie, la main d’œuvre est ce que l’on désigne aujourd’hui avec le vocable « ressources humaines ». Ressources que, du point de vue de l’économiste, il convient d’exploiter afin d’en tirer le meilleur bénéfice ; d’où l’usage du terme « gestion », qui implique une rationalité de l’exploitation et des systèmes de mesure de la productivité de cette ressource.
Du temps de l’esclavage, cette main d’œuvre est sous le régime servile. Le maître se contente seulement de nourrir l’esclave au même titre que sa bête de somme. Bien entendu, au bout d’un siècle de ce traitement (puisqu’ils mouraient jeunes, un siècle équivalant à quatre ou cinq générations), incapables de réaliser qu’il y a un coût à leur labeur, les esclaves finissaient par apprécier « la gratuité » de leurs rations !  
Vous ne voyez toujours pas le lien avec la situation présente ? Cela devrait vous éveiller à votre état de conditionnement car, même la presse généraliste est atteinte de cette même cécité. Le lien est pourtant évident : nous avons à Maurice environ 40% de la population qui est rémunéré à hauteur de Rs. 10,000 par mois et nous atteignons les 60% si on met la barre à Rs. 20,000. En somme, il s’agit là de personnes qui ne tombent pas dans la catégorie des miséreux – ceux que l’on classe dans la colonne « pauvreté absolue » – mais qui, avec un tel salaire, travaillent seulement pour le loyer d’une case modeste et pour se nourrir.
Dans de telles conditions, comment voulez-vous faire payer la scolarité obligatoire jusqu’à quinze ans à ceux qui obtiennent seulement Rs. 10,000? C’est ce qui va donc fournir le prétexte aux gouvernants pour rendre l’éducation secondaire gratuite, et aujourd’hui le tertiaire. Bien sûr que la qualité du service constitue le cadet de leurs soucis. Ce qu’il faut retenir c’est que la gratuité d’un service est une aubaine qui renforce davantage l’image d’un gouvernant généreux et bon envers ses sujets. Le rapport est des plus pervers, en effet, car il aide à mieux comprendre cette association de l’homme politique, et des Premiers ministres en particulier, à la figure paternelle qui pourvoit au nécessaire…

Un dispositif qui permet de toujours assujettir les plus pauvres et, en appauvrir davantage, produisant les mêmes conditions qu’au temps de l’esclavage et de l’engagisme.

Il est évident que des révisions salariales favoriseraient l’autonomie de toute cette masse, mais celle-ci échapperait alors à la soumission envers ce cartel politique qui a investi le parlement et s’y maintient par la volonté pervertie des sujets Mauriciens. Ce cartel politique a partie liée à une vraie mafia économique qui en assure le financement non-régulée et dispose des canaux médiatiques pour que ses patrons assurent que « Financer les élections en partie, c’est aider la démocratie »!
Le résultat on le connaît : par exemple, chaque gouvernement se place en arbitre dans les tripartites, alors que la situation de collusion est manifeste. Mais ce n’est pas tout: la perte de pouvoir d’achat faiblement  compensé force ensuite le Mauricien à s’endetter auprès des organismes de crédit où les conglomérats récupèrent leurs gains après avoir misé aux paris électoraux. Ce n’est pas pour rien que ces gens-là parlent de « la course au pouvoir ». Bref, il s’agit d’un dispositif qui permet de toujours assujettir les plus pauvres et, en appauvrir davantage, produisant ainsi les mêmes conditions qu’au temps de l’esclavage et de l’engagisme.  
Désolé pour les quelques esprits chagrins du suprémacisme hindou qui auraient souhaité s’accrocher à l’idée que l’engagé valait quand même plus que l’esclave. Foutaises ! Il valait même bien moins cher. Il est donc assez surprenant d’entendre chez ceux-là aujourd’hui les mêmes arguments que ceux utilisés par les blancs au temps de l’abolition de l’esclavage, pour dénigrer les Mauriciens descendants de cafres ou Mazanbik ou quel que soit le vocable par lequel l’on voudrait bien désigner les phénotypes africains!
Ces arguments se répandent aujourd’hui jusqu’à englober tous ceux qui se retrouvent dans ces conditions de travail quasi-serviles que nous décrivons plus haut. La peau noire et les cheveux crépus ne sont plus les seuls critères pour désigner ceux que la bourgeoisie locale considère désormais comme les gens de peu. Ainsi, un individu comme Ignace Lam, président de l’enseigne Internart à Maurice, peut, dans les colonnes de L’Express, prétendre à l’absentéisme caractérisé des travailleurs Mauriciens pour légitimer sa démarche auprès du gouvernement pour embaucher des Bangladais dans ses supermarchés.
Oui, c’est dans ce même journal que l’on trouvait un reportage sur la traque des travailleurs au noir, provenant en majorité du Bangladesh. Un reportage avec deux reporters à ce point écervelés qu’is étaient incapables de se distancer de cette propagande primaire de la police. Un reportage validé par une direction amputée de la mémoire que, Rémy Ollier, le fondateur de La Sentinelle, est ce journaliste qui, sans diplôme aucun, sut raconter comment, dans des conditions inhumaines, les esclaves furent chassés des camps!
Etre incapable de voir les inégalités comme un système structuré condamne à cette cécité qui efface le caractère structurant de ce dispositif. Et alors, les acteurs jouent parfaitement leurs rôles d’aveugles au système et le maintiennent ainsi en place. Les profiteurs et les pleutres trouveront que ceux qui évoquent ces réalités incitent à la haine et à la violence… comme s’ils n’étaient pas ceux-là même qui l’exercent et l’instituent en créant les conditions de cette pauvreté croissante!
Quoi qu’il en soit, l’histoire des civilisations nous montre que ce genre de système d’exploitation finit toujours par engendrer cette explosion de violence où le peuple en colère finit par s’en prendre aux symboles et à ses dirigeants. Peut-être que la perspective d’un lynchage et de voir leurs têtes au bout des piquets pourrait mettre un peu de cervelle dans cette racaille politique et économique…
​Mais, notre propos était de démontrer comment la gratuité s’articule à l’esclavage. Qu’importe alors si le coq chante à chaque trahison? C’est que le soleil a déjà tout grillé et qu’il n’y plus de cœur ni de clé pour gouverner !

Joël Toussaint


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