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Notre classe politique a trop longtemps cru que ses magouilles et ses manœuvres en coulisse pouvaient réussir, avec une population connue pour sa mollesse, facile à endormir avec de vaines promesses à chaque rendez-vous électoral. Nos politiciens ont cependant oublié qu’ils étaient observés de l’extérieur.
Au fil des années, en manipulant et en contrôlant la fonction publique, et de même la Police et toutes les officines de régulateurs ou d’investigation, pour n’en faire sinon des bouledogues sans dents ou alors des aboyeurs aux ordres, notre classe politique en a conclu qu’elle bénéficiait d’une totale impunité. Au demeurant, l’actualité leur a souvent donné raison car jusqu’ici aucun d’entre eux n’a vu se refermer les portes d’une prison sur eux.
Pour l’heure, seul Siddick Chady semble faire exception, avec sa condamnation maintenue en appel, mais suspendue par son appel au Conseil Privé. Prakash Mauntrooah, qui l’accompagnait sur les bancs des accusés, est lui sorti d’affaire et déjà nommé aux fonctions de CEO chez AML et la MDFP. Joli signal pour nos partenaires étrangers, n’est-ce-pas ? Autre exception notable, mais touchant au monde des affaires celui-là : Gérard Tyack, le seul à avoir dévoilé la vérité sur la Caisse Noire d’Air Mauritius et avoir connu la prison, alors que tous les autres accusés étaient, soit exonérés de tout blâme, ou relaxés pour quelque vice de procédure. A commencer par Harry Tirvengadum !
Pour les observateurs indépendants, comme pour l’étranger, cela équivaut surtout à lancer un signal à ceux qui seraient tentés de cracher le morceau : « taisez-vous car seuls vous, qui aurez parlé, paierez de votre honneur, votre fortune et votre liberté, tandis que les autres s’en sortiront ».
Une nation de magouilleurs, d’escrocs à la petite semaine…
Cet état des lieux de nos mœurs politiques comme de l’immoralité du monde de nos affaires aura achevé de nous affubler, aux yeux de l’étranger, de la réputation d’une nation de magouilleurs, d’escrocs à la petite semaine… Tant que nous n’étions que le vulgaire petit caillou du fin fond de l’Océan Indien, lieu sympathique de villégiature pour touristes, en manque de soleil pendant les saisons froides de l’hémisphère boréal ou appréciant nos hivers humides et tièdes, les grandes puissances fermaient les yeux. Mais cela c’était avant…
L’an dernier, nous aurons subi un gros coup de semonce : le GAFI (Groupe d’action financière), émanation du G7, suivi de l’Union Européenne, puis du Royaume-Uni, nous auront placé qui sur liste grise, qui sur liste noire. Cette mesure, annoncée en avril 2020, fut mise à exécution à compter d’octobre et ne fut levée qu’après un an.
Tous les signaux démontraient que les autorités nous cachaient depuis quelque temps les véritables chiffres de l’épidémie, que nos services de santé étaient dépassés par l’ampleur des contaminations.
Pour avoir vécu l’angoisse des lendemains sans perspective, les acteurs de l’offshore et du global business, savent que ce ne furent pas seulement les réformes législatives, avec notamment l’introduction de l’AML/CFT Act 2020, qui auront été le moteur de la sortie du pays de ces listes infâmes. Mais bien plus la démonstration par nos organismes de contrôle et de régulation que nous entendions faire amende honorable.
Les pressions des compagnies du secteur offshore sur le Gouvernement pour introduire ces réformes et adhérer aux conditions imposées par le GAFI ou l’UE, auront été le fruit d’un marchandage simple et brutal : ou l’Ile Maurice se pliait aux exigences de l’étranger ou ces firmes se retiraient du marché mauricien et laissaient choir les 15 000 emplois directs du secteur financier et les milliards de revenus que ce secteur rapporte à l’État mauricien.
Le bon sens aura prévalu et nous voilà poussant un ouf sonore de soulagement depuis quelques semaines.
Cette fessée magistrale subie aux dépens de nos intérêts économiques et stratégiques majeurs n’aura manifestement pas suffisamment servi de leçon à notre classe politique. Si elle croyait qu’une fois les sanctions levées, ce serait du « business as usual », c’est qu’alors ces messieurs n’auront rien compris au coup de semonce et de coup de sifflet de fin de recréation que nous intimaient les grandes puissances.
La nouvelle gifle que nous inflige la France, imitée depuis 48 heures par l’Allemagne, en nous fermant ses frontières, est la résultante directe cette fois d’un certain discours lénifiant sur la réalité sanitaire du pays face au Covid-19. Tous les signaux démontraient que les autorités nous cachaient depuis quelque temps les véritables chiffres de l’épidémie, que nos services de santé étaient dépassés par l’ampleur des contaminations.
Situation normale, Covid-Safe
Notre ministre de la Santé s’est même permis de déclarer sur les ondes de Radio One, il y a quelques semaines, que la situation était « normale » dans le pays, alors que les morts se comptaient par dizaines chaque semaine. Son collègue du Tourisme, renchérissait dans le même sens en affirmant à la presse étrangère que nous étions « Covid-safe » !
Cette désinvolture, tant à l’égard de la population et plus grave encore face à nos visiteurs, et ce alors que nous étions en pleine courbe ascendante du variant Delta, aux si funestes conséquences, aura été suivie de désastreux effets sur notre pays tout entier.
Il a suffi que paraisse le nouveau variant Omicron, dont on connait encore mal les effets réels pour que Paris, suivi de Berlin, nous assènent la douche froide. On pourrait même s’attendre à ce que d’autres capitales européennes leur emboîtent le pas. Nous avions déjà pris des mesures similaires face à l’Afrique australe et les vols de Saudi Airlines ont été suspendus dans la foulée.
Déjà les milieux touristiques annoncent qu’ils compteront sur le tourisme local pour pallier aux effets dévastateurs de cette chute brutale des arrivées touristiques pour décembre.
Ce que ces déclarations maladroites, fausses et trompeuses, de nos plus hautes autorités, sans parler de cette absolue manque de transparence de ces mêmes autorités sur la situation de l’épidémie sur notre sol, auront généré, c’est une réaction aussi brutale pour le tourisme que l’inscription de notre pays sur la liste noire ou grise pour l’Offshore l’an dernier.
Quand donc la veulerie, l’obstination, la culture de tromperie et d’irrespect, voire la corruptibilité et l’incompétence de nos dirigeants cesseront-ils de nous nuire ?
On peut certes s’interroger sur la cohérence des mesures des pays européens, avec un variant aux contours encore inconnus des milieux scientifiques, alors qu’ils maintenaient leurs frontières ouvertes avec nous, en pleine ascendance du variant Delta chez nous comme chez eux. On pourra aussi tenter de justifier la décision de la France comme procédant d’une volonté de favoriser le tourisme réunionnais à nos dépens, le fait brutal demeure : NOUS AVONS ÉTÉ SANCTIONNÉS POUR AVOIR PRATIQUÉ LA LANGUE DE BOIS FACE À L’ÉTRANGER et notre principal secteur économique va en subir les conséquences.
C’est de notre biftek dont il est question
A force de biaiser avec la vérité, nous voilà dans de beaux draps : hier le secteur financier et l’offshore, aujourd’hui le tourisme ! Quand donc la veulerie, l’obstination, la culture de tromperie et d’irrespect, voire la corruptibilité et l’incompétence de nos dirigeants cesseront-ils de nous nuire ? Quand donc nos dirigeants comprendront qu’il ne suffit plus de couillonner le brave peuple pour arriver à leurs fins ?
Qu’ils ne croient pas un instant que les mesures prises pour sauver l’offshore auront permis de tourner une mauvaise page pour qu’ils recommencent avec leurs pratiques sordides et anti-démocratiques ! Désormais, nous sommes scrutés par l’International et le moindre de nos faux pas ne sera pas sans conséquences. Paris, puis Berlin et même Delhi nous envoient un message : si nous n’évoluons pas pour abandonner nos habitudes de magouilleurs et de petits escrocs, ils nous sanctionneront sans hésiter.
A nous aussi, la population de tirer les conclusions sur ce qu’il nous faut faire et exiger une conduite plus transparente de nos organismes et de nos autorités. Car, c’est de notre bifteck dont il est question. Cessons de croire, qu’en faisant le gros dos, que nous nous en sortirons.
Nos choix, lors de nos votes, ne sont pas sans effets sur notre devenir au quotidien : qu’on interroge seulement nos trop nombreux chômeurs, en particulier ceux qui auront perdu leur emploi depuis l’an dernier. Nous avons le devoir d’être extrêmement tatillons dans l’exercice de choix de vote et, ceux qui votent bloc, sont assurément les plus coupables d’entre nous.
Soyons très vigilants dans l’exercice de notre choix, car ce n’est pas en chantant que « It’s the most wonderful time of the year » que nous ferons revenir nos visiteurs…
Richard Rault