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La presse étrangère évoque « l’opacité » de la juridiction mauricienne
Quatre fonds basés à Maurice continuent de mobiliser l’attention des autorités indiennes pour avoir placé presque la totalité de leur argent dans des sociétés contrôlées par le milliardaire indien Gautam Adani. Ces fonds ont des antécédents d’investissement dans des entreprises qui ont soit fait défaut ou fait l’objet d’enquêtes pour des actes répréhensibles. Toute la presse des affaires, en Inde comme ailleurs, évoque cette affaire qui vaut plusieurs milliards de dollars. Publiée en primeur par The MIND à Maurice, et reprise une fois par L’Express, l’affaire semble poser un défi à la presse locale.
C’est le 16 juin que The MIND, le site dédié à la diaspora mauricienne, publie la nouvelle pour les lecteurs mauriciens. Il était question de quatre sociétés – Elara India Opportunities Fund, Cresta Fund, Albula Investment Fund et APMS Investment Fund – enregistrées dans l’offshore mauricien qui faisaient l’objet d’investigations de la part de National Securities Depository Ltd. (NSDL), l’instance régulatrice des fonds d’investissements indiens.
Avant de placer environ 90% de leurs biens sous gestion dans l’empire Adani, ces quatre fonds d’investissements détenaient des participations importantes dans deux sociétés dont les fondateurs avaient fui l’Inde. Les directeurs de deux de ces sociétés sont depuis interrogés pour blanchiment d’argent. Une troisième a fait faillite et la quatrième a été liquidée après une dispute avec le gouvernement éthiopien.
Certains législateurs indiens s’y mettent aussi et réclament désormais une enquête pour déterminer si les fonds mauriciens constituent des sociétés-écran pour l’argent d’Adani. Ainsi, au parlement la semaine dernière, Mahua Moitra, un député de l’opposition et ancien banquier d’investissement, a remis en question la propriété finale des fonds affirmant que l’information devrait être publique étant donné que le groupe Adani détient des participations dans des infrastructures indiennes stratégiques telles que des ports, des aéroports et des centrales électriques.
Dans une réponse écrite aux questions parlementaires de Moitra, le ministre indien des Finances, Pankaj Chaudhary, déclarait, le 19 juillet, que ni les fonds ni les entreprises Adani ne font l’objet d’une enquête par la Direction de l’application de la loi, l’agence indienne qui enquête sur les crimes financiers graves tels que le blanchiment d’argent et les aller-retours.
Chaudhary admettait, toutefois, que certaines sociétés du groupe Adani font actuellement l’objet d’un examen du régulateur des marchés financiers, le Securities and Exchange Board of India (SEBI) pour la conformité aux règles sur les valeurs mobilières. Ces sociétés font aussi l’objet d’examens pour la conformité aux taxes à l’importation et à l’exportation. Le ministre n’a pas souhaité développer davantage, citant des règles qui lui interdiraient de divulguer toute enquête fiscale.
« Nous voulons savoir à qui sont ces fonds », a déclaré Moitra dans un texto envoyé à Bloomberg News. « Si c’est l’argent d’Adani, alors les actionnaires minoritaires sont foutus. Si ce n’est pas le cas, alors quels sont ces acteurs étrangers qui ont, à ce point, leur mot à dire sur nos actifs stratégiques ? ».
Pendant qu’en Inde tous les grands journaux indiens évoquent l’opacité de la juridiction financière mauricienne et que le député Moitra cherche à savoir qui aurait son mot à dire dans cette affaire, à Maurice on s’évertue surtout à en dire le moins. Voire même à ne rien dire. Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer le silence mauricien ? D’abord le montant de ces dépôts dans l’offshore mauricien. Il serait question de 6,9 milliards de dollars. Ce n’est pas rien !
La presse «patriotique» selon Seeruttun
Au-delà de ce montant, il y a le rapport ambiguë à l’argent qu’une catégorie de Mauriciens cultive de plus en plus. Un rapport vicié même et qui se reflète jusque dans les propos des dirigeants qu’ils se choisissent. A l’exemple de ceux du ministre des Services Financiers lui-même. Il ne s’en cache pas, puisqu’il les énonce ouvertement dans une interview qu’il accorde à Lindsay Prosper à sa prise de fonctions[1]. Mahen Seeruttun considère, en effet, que pour les médias mauriciens est « important de ne pas écarter la possibilité de faire cause commune lorsque l’image du pays est en jeu et que sa protection présuppose que nous fassions preuve de patriotisme. Les médias locaux devraient être en mesure de se ranger de notre côté lorsque la réputation de Maurice subit des attaques inacceptables et sans aucun fondement ».
Les journalistes locaux ne relèvent pas l’insulte. Pour ceux qui ne comprennent pas la culture d’une presse libre, il faut préciser que les journalistes n’ont pas vocation « à faire cause commune lorsque l’image du pays est en jeu » ou à s’engager dans des concepts douteux de « patriotisme ». La seule « patrie » dont pourrait se réclamer le journaliste est celui des faits vérifiables. Sa seule fonction est de déshabiller les parangons de vertus. Surtout lorsque ceux-ci poussent l’outrecuidance jusqu’à oser suggérer que la presse serait un partenaire d’on ne sait quelle institution… surtout quand il incombe à cette même presse de veiller à ce que ces institutions ne deviennent pas le repaire des associations de malfaiteurs !
Concrètement qu’est-ce que cela veut dire ? Très concrètement, on devrait considérer, en premier lieu, que Gautam Adani est un personnage suffisamment connu pour ses frasques plutôt conséquentes dans l’offshore mauricien pour que L’Express reprenne dès le lendemain l’information publiée par The MIND le 16 juin dernier. Parce qu’en effet M. Adani n’en est pas à ses débuts dans la juridiction mauricienne.
C’est Vel Moonien qui, dès le 19 août 2017, dans Le Défi, révèle que le fisc indien s’intéresse à l’investisseur pour détournement de fonds. L’article est rédigé dans les règles, le journaliste fait les attributions à The Guardian qui a publié des documents qui indiquent qu’une société de l’homme d’affaires indien aurait obtenu un emprunt pour l’achat d’un équipement minier qui, plutôt que de servir aux fins proposés, sera revendu par une autre entité lui appartenant également. C’est le profit réalisé sur cette opération qui sera injecté dans l’offshore mauricien.
Adani, la récidive
L’investissement – il était question d’environ $ 8 milliards cette fois – passe sans difficulté le test du « due diligence » mauricien. Mais le fisc indien, et de même The Guardian, et Le Défi en ce temps-là, savaient comment définir ce type d’opérations : un détournement de fonds ! D’ailleurs Vel Moonien cravachait la bête une nouvelle fois deux jours après, le 22 août 2017. Le journaliste nous apprenait cette fois que l’ICAC s’intéressait aux placements du groupe Adani à Maurice.
En deuxième lieu, toujours aussi concrètement, de nombreux journaux à travers le monde vont s’intéresser à Gautam Adani, qui est même devenu la première fortune indienne, devançant Mukesh Ambani alors qu’il se trouvait en troisième position. C’est normal, vu les montants engagés. Bloomberg, publication financière de premier plan, assigne jusqu’à quatre journalistes sur l’affaire : Anurag Kotoky, qui rédige l’article avec l’assistance de Shruti Srivastava, Upmanyu Trivedi, Andy Mukherjee, et du Mauricien Kamlesh Bhuckory.
Le correspondant mauricien de Bloomberg est aussi journaliste économique chez Le Défi, mais ce journal ne pipe pas un mot de l’affaire. Introuvable dans ses publications en ligne. C’est vrai que ce groupe de presse caracole en tête des médias qui bénéficient de la manne publicitaire du gouvernement. Et voilà que cette affaire n’apparaît même pas dans ce journal qui avait pourtant les moyens de devancer une nouvelle fois ses concurrents.
Mahen Seeruttun n’a plus qu’à transmettre sa culture au Media Trust. On peut difficilement faire plus concret en matière de transparence. Pourquoi pas une remise de certificats aux journalistes participants ? Un certificat avec les tampons de la Financial Action Task Force (FATF) et du Groupe d’Action Financière (GAFI) par exemple ? La délégation pour ces deux organismes sera à Maurice du 13 au 15 septembre 2021. Adani a de quoi sponsoriser les petits fours.
[1] Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers – dans son interview à Lindsay Prosper L’Express, 20 novembre 2019