Venir à la barre…

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Il aura fallu que la magistrate Zeenat Bibi Cassamally contraigne le ministre Sawmynaden – le député de la circonscription No. 8, juriste devenu législateur – à ce fameux « box des accusés » et, malgré tout, nous n’aurons lu quelque observation sur la part d’indignité à laquelle les justiciables sont régulièrement soumis pour peu qu’ils fassent l’objet d’une mise en cause devant les instances judiciaires.

Ce serait être aveuglé par cette partisanerie qui pollue le débat public que d’ignorer l’humiliation à laquelle ramène la condition dévolue à l’accusé dès lors qu’il se retrouve assigné dans le box de l’infamie. Cela n’émeut personne tant que cette condition échoit aux hommes de conditions plus modestes ; humilier les gens humbles semble tellement aller de soi que nos juges et autres juristes, qui se réclament pour la plupart des droits de l’homme, ne songent même pas à la perversité convenue dans ces places attribuées. Dans quelle mesure celles-ci anéantissent les notions de l’égalité devant la justice et celle de la présomption d’innocence ?

Quelle est la place du prévenu, d’un témoin, ou de toute personne mise en cause, au sein d’une salle d’audience ? Cette question, tout comme celle de la foule qui se masse aux abords d’un tribunal, sont loin d’être anodines. Nos administrations coloniales, française et britannique, nous ont légué des salles d’audience aux dispositions porteuses d’une symbolique assignant l’accusé, sinon à la place du présumé coupable, au moins à la place d’un forcené dont la violence devra être contenu par l’étroitesse de ses mouvements. En effet, les accusés comparaissant dans la plupart de nos tribunaux de première instance doivent passer par ce fameux « box », une cage étroite faite de barreaux de fer forgé se terminant en pics pouvant perforer celui qui pousserait la témérité à les enjamber.

L’humiliation à laquelle ramène la condition dévolue à l’accusé dès lors qu’il se retrouve assigné dans le box de l’infamie…

Quand bien même que nos juges et les membres du barreau se soient jusqu’ici abstenu d’élaborer de cet aspect à la lumière des droits humains fondamentaux comme de la philosophie du droit, l’éducation de votre serviteur ne lui permet pas de feindre d’ignorer la portée symbolique véritable de ces places assignées qui fondent aussi bien la posture dominante du ministère public que celle du dominé quand il s’agit de celui qui doit répondre d’un acte d’accusation. Il est question ici de plus de deux siècles de conditionnement mental auquel la Law Reform Commission s’adresse avec de biens maigres résultats – qui rendent son CEO défunt, Me. Pierre Rosario Domingue encore plus méritant depuis 2006 qu’il s’y est attelé.

Ce ne sont donc pas des sujets dont on devrait rendre compte selon les affinités que l’on pourrait entretenir avec quelques responsables des mouvements dissidents ou les aversions qu’ils pourraient éventuellement nous inspirer. Ce ne sont certainement pas des sujets que l’on pourrait traiter à la légère sachant que, d’un côté, il s’agit du système qui fonde le privilège des juges et des juristes et, à l’autre extrême, la stigmatisation de nombreux justiciables.

Il est peu probable que le barreau se soit donné une direction apte à nous rassurer de la qualité de sa réflexion sur le sujet. Un peu comme la sonde Vikram, la mission Varma semble s’être échoué sur la partie obscure des vœux des membres du barreau de se doter d’un président paraissant mal luné. Bien que la partisanerie locale voudrait que cet échec participe à l’éclipse inexorable du soleil du MSM, elle nous renvoie surtout l’image d’un barreau fait désormais de baritons et de castras. Face à la prétention et aux légèretés de ceux-là, on peut comprendre et compatir même au fait que les ténors se condamnent au mutisme et à la modestie !

Quoi qu’il en soit, au moment où l’administration de la justice étrenne ses nouvelles salles d’audience, n’est-il pas nécessaire de poser la question de ces places assignées ? Viennent « à la barre », ceux qui doivent, devant une cour de justice, attester, certifier avoir vu ou perçu quelque chose. C’est ainsi que l’on établit les faits qui sont alors jugés en droit. Alors, pourquoi les faits provenant d’un accusé, présumé innocent rappelons-le, devraient-ils provenir d’une position différente, pouvant être perçue comme dégradante voire humiliante ?

Soyons clairs : cette question ne relève pas de nos juges, elle est éminemment politique. Il appartient, en effet, aux parlementaires de convenir de cette position égalitaire dans une salle d’audience et de légiférer en ce sens. Mais, de toute évidence, nos ministres chargés du portefeuille de la Justice n’ont pas su jusqu’ici faire un plaidoyer convaincant auprès de leurs collègues en faveur d’une considération aussi élémentaire. Pourtant, à cette fonction, notre législation prévoit qu’ils soient des juristes. Ceux qui, comme Valayden, Varma, Yerrigadoo ou Gobin, s’enorgueillissent d’avoir été « called to the bar ».  

Joël Toussaint


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