​Rétro Express: Enn vomi lor bistop…

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Les radios privées ou les réseaux sociaux ne changeront rien à l’affaire : le déficit culturel a depuis longtemps atteint son point abyssal et, on n’en reviendra pas sans la volonté de se défaire d’un système. Car, le problème est bien entendu systémique ; et, dans ce registre, les plus vocables au sein du personnel politique et médiatique n’en sont pas les plus avertis. Encore moins ceux qui, reprenant la formule « Think out of the box », alimentent la logorrhée sur Facebook et révèlent de nouvelles mises en boites : les conditionnements socio-éducatifs aussi bien que les schèmes de la reproduction sociale. L’école mauricienne ne parvient plus à produire des sujets pensants ; et cela depuis tellement longtemps que les responsables politiques, autant que ceux qui doivent leur poser cette nécessaire confrontation, ne parviennent à le réaliser. Incapable d’évoluer, notre système politique s’enlise et contraint les analystes plus rigoureux à constater une démocratie qui rétrograde et rend l’Etat moribond.
Quels sont les signes concrets de ce que nous avançons ? Les Mauriciens découvraient, sur la deuxième partie du mandat de ce gouvernement, un ministre de la Pêche totalement ignorant des habitudes des cétacés dans les eaux dont il a la responsabilité. Toutefois, les signes d’une telle ignorance prévalant au conseil des ministres étaient bien présents dès le début. Il suffit de se souvenir de l’affirmation de Prithviraj (Pradeep) Roopun, alors ministre de la Sécurité sociale, qui se donnait deux ans pour éradiquer l’extrême pauvreté à Maurice ! Pour qui comprend un tant soit peu les fondements de la sociologie ou de l’économie, une telle affirmation grotesque est certainement aussi énorme que la baleine de Koonjoo. Néanmoins, Roopun parvenait à passer entre les mailles du filet, sans que l’opposition ou la presse ne condamne une prétention aussi grossière au sujet des plus vulnérables de notre société. Bien sûr que Roopun était dans le faux : on ne traite pas en deux ans, ce qui émane pour une bonne part de trois siècles d’histoire où une société avait intégré des pratiques déshumanisantes dans ses règles juridiques et ses normes sociales. Il était clair que Pradeep Roopun n’était pas taillé pour le job ; et ceux dont la responsabilité était de mettre en garde contre une telle escroquerie intellectuelle ne valaient guère mieux!   
On peut, et on doit, aussi citer Anil Gayan comme exemple. Lam Shang Leen est peut-être le bigleux le plus cher payé pour n’être pas parvenu à appréhender les relations de causalité de la recrudescence de la toxicomanie en ce qui concerne la décision de ce ministre de la Santé qui est venu compromettre le protocole méthadone. S’agissait-il seulement d’une gabegie aux conséquences désastreuses au plan de la santé publique ou d’une politique active pour la criminalisation des personnes souffrant d’addiction ? Les millions déboursés pour cette commission sur la drogue n’auront pas été suffisants pour répondre à ce type de questionnement.

On ne traite pas en deux ans, ce qui émane pour une bonne part de trois siècles d’histoire où une société avait intégré des pratiques déshumanisantes dans ses règles juridiques et ses normes sociales. 

Il n’y a pas lieu de spéculer sur une éventuelle partisannerie de notre part avec de telles interrogations. Sur cette même question de la toxicomanie, nous ne manquerons pas de rappeler comment les parlementaires de la précédente législature avaient tous voté en faveur de la classification du Buprénorphine au rang des drogues dangereuses. L’enjeu véritable : il importait de trouver des réponses au mésusage du Subutex, car au lieu de sa prise sublingual, les toxicomanes se l’injectaient. Le résultat fut que le produit prohibé donna lieu à un trafic lucratif et cela, simplement parce que Navin Ramgoolam n’était pas parvenu à contrer la pression démagogique de Paul Bérenger !
Le raisonnement s’applique aussi au système de transport public alternatif. C’est se perdre en conjectures que d’écouter l’argumentaire des partisans fanatiques du MSM ou du PTR, quand bien même qu’il y ait moult contradictions entre ce que Jugnauth-père décriait et ce que Jugnauth-fils a conclu. On voit bien sur les réseaux sociaux ceux qui s’accrochent à la seule question du mode de transport alternatif et qui tentent de faire valoir que l’alternatif se résumerait au fait de pouvoir aller d’un point A à un point B dans un temps déterminé. Ceux-là ignorent que leur raisonnement absurde trouverait sa contrepartie dans le fait que l’hélicoptère ou le téléphérique constitueraient aussi des modes de transport alternatifs dans ce cas.
Loin de ces considérations farfelues, ce qui est certain c’est que, quel que soit le nom que l’on voudrait bien donner à ce véhicule sur rail, cela ne résoudra en rien les embouteillages qui sont eux-mêmes, en réalité, l’expression d’un modèle d’urbanisation et de productivité totalement inadapté pour notre pays.
C’est bien sûr cela le véritable enjeu, mais faute de rigueur, le raisonnement donne dans la facilité et s’arrête aux symptômes plutôt que de s’attaquer aux causes. Et du coup on s’abstient de penser la décentralisation des services, alors que celui-ci  permet autant de garder les gens dans leurs localités que de procurer aux employés de divers secteurs ces heures passés inutilement dans le transport en commun et qu’ils peuvent mettre alors à profit pour une meilleure cohésion sociale et l’entretien du lien familial.  A cela, on préfère le maintien du modèle de développement qui nous dote de structures urbanisées qui ne sont que des parcs dédiés à la production, avec les faubourgs et les bidonvilles comme seuls lieux de vie tandis que ceux qui ont le sentiment de mieux réussir s’emmurent dans les lotissements symbolisant le niveau de leur embourgeoisement. Ceux-là pensent tellement le développement avec leurs concepts éculés et pratiquent tellement le mot « inclusion » dont ils se gargarisent, qu’il faut leur installer la vidéosurveillance pour leur procurer un sentiment de sécurité !

Gouvernement fort – Nou ki mari

Alors qu’avance ce désert qui grignote la pensée critique, c’est aussi le modèle de gouvernement lui-même que l’on ne parvient pas à remettre en cause. Issus des désirs despotiques que Seewoosagur Ramgoolam manifestait dès 1965, l’idée du « gouvernement fort » aura révélé sur 50 ans toute la palette des perversions que la formule aura permis aux gouvernements successifs de décliner à la démocratie parlementaire.
Sous toutes les législatures, les gouvernements se sont employés à éliminer les contrepoids au pouvoir, ces fameux « checks and balances » sans lesquels le fonctionnement d’une démocratie est tout simplement compromis. Celui issue de cette législature qui s’achève aura mené cette perversion à son point culminant en début même de mandat. Des faits tels que le démantèlement du conglomérat de la BAI, la fermeture de la Brammer Bank, les expropriations et la spoliation des biens de Dawood Rawat, auraient-ils été possibles si ce pays avait développé la culture des commissions parlementaires au point d’en faire un passage obligé pour la validation des décisions du conseil des ministres ?

Cette théorie de Ponzi émanerait-elle donc d’un charlatan présenté à l’électorat comme un faiseur de « miracles économiques » ? Ce gouvernement se serait-il donc laissé aller à des errances en allant dans le sens des thèses farfelues d’un mythomane ? ​

Mais non, cela a toujours été plus commode pour les partis de faire valoir que « Nou ki mari », ce qui en réalité montre des leaders à l’âge mental où le petit mâle s’enorgueillit d’une quéquette qu’il croit plus grosse que celle de son camarade !
Durant la semaine écoulée, nous avons eu droit à une déclaration à l’Assemblée pour préciser que tout ce qui était jusqu’ici reproché au groupe BAI et à son président en particulier, avait été invalidé par les instances judiciaires. De même que l’ensemble qui avait bénéficié de largesses de Dawood Rawat n’avait pas bronché au moment de la curée, la lâche incurie fit qu’ils se turent également à l’admission de ces désaveux.
N’était-ce pas ce gouvernement qui avait infligé la théorie du Ponzi, et qui ameuta des « journalistes influents », ceux-là même qui, abdiquant de tout esprit critique, s’en firent l’écho ? Cette théorie de Ponzi émanerait-elle donc d’un charlatan présenté à l’électorat comme un faiseur de « miracles économiques » ? Ce gouvernement se serait-il donc laissé aller à des errances en allant dans le sens des thèses farfelues d’un mythomane ? Celui que l’on pressentait comme le plus érudit de ce gouvernement nous aura appris que la bonne gouvernance consiste à faire évaluer le caractère des personnes intéressées en les regardant dans les yeux…Mais non, la communication politique, malgré ses aptitudes aux acrobaties, aurait compromis la transformation du Ministre-qui-Pisse en Ministre-Mentor ! L’étrange personnage fut donc muté aux Affaires Etrangères, ce ministère qui a réduit la diplomatie à l’activité du Moufta ; c’est à qui excelle dans l’activité du « Tal-lamin ».

Assainir le système

Comment peut-on donner dans l’éloge panégyrique après 50 ans d’indépendance alors que l’examen de ce système politique révèle que notre démocratie est phagocytée par des conglomérats à la solde d’une oligarchie ? La cartellisation du pouvoir politique par le biais du financement des conglomérats engendre une collusion qui pervertissent les rapports tripartites qui devaient réguler le monde du travail. Le personnel politique, tous bords confondus, sur les ondes des radios,  font l’aveu de pressions qu’exercent les patrons du privé en échange de leur soutien financier. Ces derniers, sans honte aucune et sans le moindre scrupule, donnent des interviews où, prétendent « contribuer à la démocratie ». Les comptes officiels attestent des millions déboursés pour un financement politique… alors que les partis politiques n’ont aucune existence légale !
​Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous avons basculé dans l’ordre mafieux. La population a tort de croire que la mafia se résume au commerce des stupéfiants ; la mafia véritable existe quand elle parvient à prendre le contrôle des institutions gouvernementales et commerciales et là, c’est elle qui régule les activités, autorisant celles soumises à leur racket et garantissant l’impunité aux autres activités illicites.
En somme, il y a des intérêts privés qui se payent des élus, et cela sans que ni le commissaire électoral, ni le patron de l’ICAC n’y trouvent à redire. Nous en sommes à ce niveau de l’influence mafieuse où cela s’est infiltré dans nos normes et cette normalité a ankylosé non seulement les institutions, mais l’honneur même des responsables institutionnels. Si la lecture de cet éditorial pouvait provoquer une soudaine poussée d’amour propre, on devrait s’attendre à une croissance dans la vente des cordes ou du gramoxone. Une attente certainement plus raisonnable que celle d’une législation régulant le financement politique par ceux-là même qui en ont été les bénéficiaires durant des décennies ! Comme s’il était acceptable que, pour peu que les chiens régulent la manière de manger les saucisses, ils pouvaient y avoir droit. Mais quelle idée aussi d’attendre des chiens qu’ils en assurent la garde !

La population a tort de croire que la mafia se résume au commerce des stupéfiants ; la mafia véritable existe quand elle parvient à prendre le contrôle des institutions gouvernementales et commerciales. 

Non, tout cela est vain. Il nous faut une commission pour déterminer les causes du mal mafieux qui asphyxie notre démocratie. Il nous la faut pour que, non seulement elle nous recommande comment financer les campagnes prochaines, mais surtout pour qu’elle nous indique qui sont les politiques que l’on devrait rendre inéligibles et mettre derrière les barreaux. Il nous la faut pour nous indiquer qui sont les patrons qui devraient être interdits au sein des conseils d’administration et qui devraient faire face autant à leurs responsabilités civiles que pénales.
Ce système a besoin d’être assaini. Il faut qu’il soit débarrassé de tout ce qui participe à son pourrissement. Parce que jusqu’ici, le citoyen mauricien a été réduit à n’être que ce malheureux passager obligé d’attendre son bus sur un arrêt souillé par l’énorme vomi des puissants. A moins d’avoir la volonté, plutôt que seulement le vœu, d’infliger la correction sévère que ceux-ci méritent, le passager sera contraint de subir l’indignité dont ils l’affligent. Mais, il fallait bien que tôt ou tard, les élus comme les patrons d’entreprises qui ont fait basculer notre pays dans l’ordre mafieux soient désignés pour ce qu’ils sont : enn vomi lor bistop !

​Joël TOUSSAINT


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