Respect de la vie privée : nous sommes bien mal barrés !

Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Temps de lecture : 7 minutes
Pierre Noël – capture d’écran de sa prestation diffusée à son insu

Face à des convives devenus égrillards sur la fin du repas arrosé, Pierre Noël se montrait un conteur grivois. Ses amis, dont quelques-uns pouvant se réclamer d’appartenance multiple et sachant comme lui s’abandonner à la gaieté licencieuse, viennent d’eux-mêmes nous affirmer qu’il n’est pas raciste. On n’a aucun mal à les croire ; il doit faire partie de la multitude de Mauriciens qui, sans donner dans des pratiques sectaires, s’adonnent à des blagues racistes. Et, la blague raciste, comme la plupart des blagues, use de la moquerie, voire du dénigrement, dans la dynamique du rire et, pour cela, sans que l’on parvienne à réaliser qu’elle favorise le point de vue du dominant au détriment du dominé. Partant donc de cette conviction partagée du Mauricien mieux-en-tout, Pierre Noël avait gardé un pilote d’Air India pour la bonne bouche ; le capitaine Dookee – double-O, double-E – devenait le dindon d’une farce peu appréciée des victimaires de l’identité. Pour ceux qui ont suivi l’histoire jusqu’au bout en se tenant les côtes, Dookee le pilote indien dont l’appareil avait un moteur en feu, continua de s’adresser aux passagers dans l’accent et autres traits caractéristiques des locuteurs anglophones de la Grande Péninsule, alors que cette fripouille d’Indien avait pris son parachute pour filer à l’anglaise. Pour faire plus local, on aurait pu dire comme un Mentor qui détale avec son blé avant la chute de la BAI !

Mais voilà, Pierre Noël, un narrateur accompli, adapte son récit pour son auditoire qui apprécie le kréol plutôt bien épicé. Mais l’usage du terme « Malbar » au sujet du pilote Indien va faire tâche. Bien tristes ceux qui n’ont pas eu parmi leurs copains quelques hindous qui en traitent d’autres de « Malbar ». Il y en a même qui, au sujet des conversations bruyantes des touristes italiens, évoquent les « Malbars de l’Europe ! ». Mais à Maurice, cependant, il y a comme une volonté des sectaires d’imposer la règle non-écrite de l’exclusivité de la critique, ou de la désignation péjorative, reconnue aux seuls membres de la catégorie concernée. L’auto-flagellation ferait moins mal peut-être…

Certes, dans le cadre de l’histoire de Pierre Noël, le Malbar n’est pas un local. Mais cela importe peu : pour une fois qu’il y a du blanc à bouffer, il s’en est trouvé pour promptement quérir les poulets. Un des amis indélicats du conteur a dû partager la blague, et ainsi de suite jusqu’à ce que moti.news, site spécialisé dans le plagiat et le contenu libidineux, propulse le clip sur le boulevard de la viralité. Ainsi, Pierre Noël, le joyeux drille, se retrouva sur le gril. Le conteur, suspendu de son job, s’est confondu en excuses. Encore un crime peut-être que de ne pas d’abord demander « Dir mwa kot monn foté ? ». Quelle manque d’éducation que de priver l’expertise plébéienne de le lui expliquer sur Facebook !

Dans cette publication même, n’avons-nous pas considéré la foultitude de Biharis se réclamant du Malbar ? Bien sûr que c’est risible tellement la revendication est usurpée. Aussi le rire est plutôt pathétique quand un Navin Unoop de Voice of Hindu prend la mouche pour l’usage du terme pour poursuivre dans l’exploitation évidente des ignorants alimentant son suivisme sectaire. Mais ne finit-on pas par finalement rire autant des victimes que de ces charlatans et autres escrocs qui font essentiellement commerce de la crédulité des gens simples ?

Du rire et de la moquerie

Ceux qui ont, un tant soit peu, étudié le théâtre le savent : le rire, dans son registre moqueur, est incompatible avec la sympathie. Dès qu’il est question de sympathie, il est impossible de rire de quelqu’un. Ainsi, l’auteur comique (et de même celui qui ose une blague), enlève aux spectateurs tout sentiment de sympathie envers les personnages de son histoire. Et, grâce au rire, cette absence de sympathie peut être salutaire. Par exemple, considérer seulement que le DG de la MBC est un individu qui abonde dans des débordements physiques envers des personnes qui le contrarient pourrait l’exposer à des représailles de la part de ceux qui, révulsés par son comportement, songeraient à lui réserver des arguments tout aussi physiques. A l’opposé, il est clair qu’en multipliant le partage de ce lien aux images vidéocastés, les internautes se lâchent dans l’expression de leur outrage, et se relâchent quand ils parviennent à commenter la scène avec dérision. La moquerie, salutaire pour lui, est libératrice pour ceux que son comportement aura révulsé.

De Héraclite à Bergson, de toutes les philosophies qui ont animé les civilisations de part et d’autre de la planète, le rire est non seulement la joie pure issue de la moquerie mais, il sert aussi de correctif social. Le rire agit comme un rappel au normatif. De manière inconsciente, nous attendons des gens qu’ils observent ce qui se passe autour d’eux et qu’ils adaptent leur comportement en conséquence ; et on rit ordinairement de celui qui déroge à ce principe. Espérons que le Premier ministre saura par la farce se sauver la face, pour avoir mis à la tête de la MBC, un caractériel, dont le sang chaud assure le show sur les réseaux sociaux. « Dir mwa kot monn foté ? », par exemple, est une réplique qui pourrait bien dérider même un pisse-froid.

A Maurice, en raison de la stérilité des politiques culturels qui nous ont éloigné des arts du spectacle et du théâtre en particulier, nous avons développé un rapport au rire sur lequel ne s’exerce aucun examen intellectuel. Mais, l’histoire de l’humanité nous montre une évolution qui, par le contrôle de nos réflexes antisociaux – et l’adoption par les élites d’un discours politiquement correct – semble nous orienter vers une vie sociale plus pacifiée. Or, l’intérêt du théâtre, c’est que le drame, en nous contraignant au regard à l’intérieur de nous-mêmes, nous livre notre nature cachée et dit ce que nous serions sans la société normative. De la même manière, la comédie sert également la société, et les individus qui la constituent, en soulignant nos tendances antisociales et en nous invitant à rire d’elles. C’est ce qui normalement nous encourage à les corriger et cela correspond bien à l’observation bergsonienne à propos du rire, notamment que « Sa fonction est d’intimider en humiliant ». Le rire, en ce sens, sonne comme un rappel à l’ordre social.

Le poids de notre éducation produit généralement des conventions et nombre d’entre elles assignent le rire à des cadres comme les lieux ou les événements. Ainsi, rire à un enterrement pourrait heurter certaines personnes, alors que dans d’autres cercles, on éprouve une part de consolation au rappel des bêtises et des traits d’esprit d’un défunt. De même, certains cadres ou superviseurs sont de véritables rabats-joie tant ils considèrent que l’humour n’a pas sa place sur le lieu du travail. C’est dire le caractère structurant de cette éducation, la matrice de cette bien-pensance qui fonde généralement la crainte (légitime) de vexer autrui. Un certain désenchantement aussi peut faire tarir le rire, pourra désormais dire Pierre Noël qui, s’il savait que ses aptitudes humoristiques étaient destinés à un public plus large et d’une plus grande diversité, aurait pu faire rire du même pilote avec des termes moins volages !

Respect du droit: ça va de travers!

Et c’est par ces contraintes et ces limites posées au rire – et à la moquerie qui le sous-tend – que l’on en vient à la suspension de Pierre Noël de ses fonctions managériales au sein d’Alteo. Pour cette sucrerie soucieuse de sa réputation, étouffer le départ de feu est une opération nécessaire. Toutefois, Pierre Noël demeure un employé, comptable pour l’exemplarité auprès de son employeur que dans son rapport au travail. Le contrat de travail n’équivaut pas à une entrée dans les ordres et les droits constitutionnels de cet homme à la libre expression ne sont aucunement aliénés à ses responsabilités professionnelles.

Quid de la vie privée ? De la liberté d’expression ? Et des procédures d’enquête ?

La communication corporate vient avec sa part de roublardise qui accompagne les opérations de relations publiques mais, à trop vouloir en faire, on ruine le message que l’on voudrait transmettre. A quel tribunal se substituent les directeurs d’Alteo pour « condamner fortement » les propos de Pierre Noël ? Qu’ils souhaitent s’en dissocier, cela se conçoit bien, mais n’est-ce pas usurper son rôle et sa fonction que de condamner les propos qu’un employé tient en privé alors que l’article 22 du Code Civil mauricien stipule que « Chacun a droit au respect de sa vie privée » ? Le comble, c’est que cette condamnation est énoncée dans le même communiqué qui annonce une enquête interne à ce sujet ! Si ce n’est pas là une indication que l’affaire serait déjà entendue et que nous serions ainsi dans l’abus de procédure, ça lui ressemble. A bien voir, on est surtout dans le grotesque quand des directeurs, incapables de ces finesses, reprochent des grossièretés à un de leurs cadres !

Il y a, en réalité, une part vexatoire dans cet incident et il ne provient pas des propos de Pierre Noël quand bien même qu’il les considère maladroits. Dans ce pays, peut-être en raison de sa petite surface propice à une trop grande promiscuité, on semble peu soucieux de l’atteinte à la vie privée des individus.

La Constitution proclame bien que notre État est démocratique et, chez les politiques plus particulièrement, on ergote un peu trop facilement au sujet de l’État de droit sans même s’assurer que la puissance publique soit également et effectivement soumise au droit.

Il est nécessaire néanmoins de rappeler que nous sommes, à Maurice, en démocratie. Ce qui veut dire que, quand bien même qu’il serait effectivement raciste, soit au-delà du racisme ordinaire du Mauricien, en démocratie Pierre Noël a droit à de telles opinions. Nos dispositions légales sont telles qu’il est en droit de les exprimer tant qu’il n’y ait aucune incitation à la haine d’autrui ou à la haine raciale. Et c’est bien à ce niveau que la police nationale semble perdre de vue la ligne que certains sectaires, bien réels ceux-là, franchissent allègrement en osant des provocations ouvertement racistes. Or, la multiplication de ces postes vient simplement confirmer la perception de l’inaction de la police et que celle-ci consacre la primauté de la partisanerie outrancièrement raciste favorable au pouvoir en place.

Nous en sommes aujourd’hui au point où ceux qui animent ces sectarismes aux fondements farfelus viennent solliciter la police en se présentant comme victimes de faits supposés. Il suffit à ceux-là de s’adresser à des enquêteurs complaisants pour que l’on escamote les faits réels qui font de véritables victimes. Dans le cas dont il est question avec Pierre Noël, le fait réel tient-il ou non dans la manière dont le site moti.news a orchestré la viralité d’un clip qui nie le droit de cet individu à sa vie privée ? Pierre Noël a-t-il ou non fait l’objet de cyberbullying, soit d’un harcèlement par le biais d’Internet, pour la diffusion à son insu de ses propos tenus dans un cadre privé ? Qui est le responsable du site moti.news ? De combien de plaintes pour cybercrime fait-il l’objet et depuis quand ? Combien de journaux et de journalistes ont déposé plainte contre lui et son site pour plagiat ? Quelles sont les suites données à ces plaintes à la police ?

Nous nous en tiendrons à ces quelques questions seulement. Elles sont suffisantes pour faire comprendre l’impunité que nous évoquons et la multiplication des provocations et intimidations à caractère raciste que l’on trouve sur les réseaux sociaux. Et si le commissaire de police ne parvient pas à réaliser l’humiliation dont il fait ainsi l’objet, c’est son autorité même qu’il soumet à l’érosion. Et une telle perspective ne prête pas à rire.


Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.