Quand le politique fait commerce de la bigoterie!

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A quoi engage la décision du Conseil des ministres d’ajouter aux restrictions sur les importations des éléments relatifs à la morale religieuse[1] et à la moralité publique ? Sur quoi peut se baser le citoyen qui voudrait importer un article dont les préposés aux ministères du Commerce pourraient considérer qu’il serait une référence outrageante à une morale religieuse ou publique ? Quelles seraient les aptitudes que les fonctionnaires devraient maîtriser pour déterminer ce qui est autorisé et ce qui est interdit en ce registre ? La décision du Conseil des ministres suscitant davantage de questionnements qu’elle ne pourrait apporter de réponses, nous y consacrons notre dossier avec une série d’articles qui examinent les différents aspects de cette mesure. 

Comment reconnait-on la bonne loi et la bonne réglementation? A trois éléments majeurs : (1) par sa définition précise de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit, (2) par le caractère prédictible des sanctions convenues en cas d’infraction avérée et établie et, (3) par son caractère équitable qui se conforme à la notion du bien commun ainsi qu’au bon sens qui facilite l’adhésion du plus grand nombre plutôt que d’être perçu comme contraignant, voire coercitif. Partant de ces trois critères, il devient possible au citoyen d’évaluer la décision du Conseil des ministres d’interdire la vente de tout article pouvant offenser une religion.

Loin de contribuer à la sérénité dans les rapports avec la sphère religieuse, la décision du gouvernement d’intervenir dans le champ du religieux ne fera qu’exacerber ceux-ci. Comme pour tout acte de foi, le gouvernement pousse la déraison jusqu’à croire qu’il serait possible d’éviter d’éventuels sentiments outragés de la part de ceux se réclamant d’une religion. Comme nous le démontrons dans cet article de notre dossier, deux réclamations d’outrages qui ont défrayé la chronique étaient infondées eu égard aux récits invoqués par les textes desdites religions, ainsi que les chroniques historiques permettant de mieux cerner le contexte dans lequel évoluaient les personnages auxquels il est fait référence.

La question religieuse paraît généralement assez difficile à traiter. Elle ne l’est pas, et ne doit pas l’être ; déjà pour ce qui relève des sciences sociales, de la philosophie et du droit, mais même au-delà, dans cette ontologie sociale[2] qui nous oblige à une métaphysique de l’homme. Et l’homme étant un sujet croyant, pour convenablement l’observer dans cette ontologie sociale, il nous faut même intégrer la théologie dans notre boite à outils.

N’abandonnez pas cette lecture ici en pensant que vous aurez du mal à suivre les champs théoriques que nous évoquons ; vous avez l’assurance que tout ce qui suit est à la portée de ceux qui comprennent au moins l’énormité de la baleine de Prem Koonjoo ! L’inénarrable personnage du Cabinet mauricien est parvenu à éviter le sort de Jonas[3], ce prophète des trois grandes religions monothéistes qui aurait survécu trois jours dans le ventre d’un poisson mythique que la foi populaire présente comme une baleine…

En matière de démagogie, les ministres du culte ne sont pas à l’abri des tentations que connaissent ceux du pouvoir politique. D’où ces quelques inconvénients à la vie en démocratie qui nous contraint à convenir des vœux majoritaires même quand le sens commun repose sur des éléments infondés, voire de la parfaite stupidité.

« Nullum crimen, nulla pœna sine lege[4] » : cette formulation latine renvoie à une notion de droit selon laquelle nul ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte de droit précis et clair. Dans le cas du ministre Koonjoo comme dans celui du prophète Jonas, ceux que cela ferait regimber ne pourraient songer à solliciter quelque tribunal pour l’outrage au bon sens. Nos législateurs n’ayant jamais estimé nécessaire de légiférer en ce sens, nous sommes ainsi renvoyés à la part imprédictible du droit où nul n’est à l’abri de l’injustice. Car, il faut au juge autant user de ses facultés que de son courage personnel pour qu’il détermine en faveur du véridique plutôt que de ce que le commun des mortels tient pour vrai. Et dans ce domaine particulier, il y a des juges qui en viennent à perdre la raison

Les fonctions d’un journal consistent à informer, éduquer et distraire. En ces temps où le pouvoir politique multiplie ses organes de propagande pour assurer la distraction à ses manquements et ceux des institutions confiées à ces piètres nominés, Indocile s’attèle avec une ardeur renouvelée aux devoirs d’informer et d’éduquer. Aussi, c’est en examinant sous divers angles la manière dont le Cabinet s’aventure dans l’imprécision que l’on peut prendre la mesure de sa décision d’amender la législation sur le commerce. La perception selon laquelle il renvoie la justice et le justiciable dans les méandres de la bigoterie serait-elle infondée ?

[1] Décision No. 3 du Cabinet en date du 18 juillet 2019: Cabinet has taken note that the Consumer Protection (Control of Imports) Regulations 2017 would be amended so as to add to the list of prohibited goods the following new item – “Any goods, including any paintings, picture or design on the goods which cause outrage against any religion, or against good morals or against public and religious morality.”
[2] L’ontologie sociale peut être définie comme la discipline chargée de classer les données fournies par les sciences sociales. L’ontologie sociale ne consiste pas en une spéculation philosophique totalement abstraite mais s’appuie au contraire sur l’ensemble des données de ces sciences du concret que sont la sociologie, l’histoire, la psychologie et l’anthropologie. Le point d’ancrage de l’ontologie sociale dans la réalité correspond donc à la somme des connaissances concrètes de la réalité sociale.
[3] Jonas est mentionné dans le Coran comme Yunus. Cinquième des douze “petits prophètes” de la Bible, c’est le personnage principal du livre de Jonas, qui fait partie du Tanakh hébraïque et de l’Ancien Testament chrétien.
[4] Peut se traduire par : « Il n’y a pas de crime, il n’y a nulle peine s’il n’y a pas de loi ». 

Joël TOUSSAINT


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