Philippines : La fondatrice du site Rappler jugée coupable de cyberdiffamation

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Maria Ressa risque jusqu’à six ans de prison

Maria Ressa, co-fondatrice du site d’information Rappler avait été élue personnalité de l’année par le magazine Time en 2018

Elue l’une des personnalités de l’année 2018 par le magazine Time, Maria Ressa, l’ancienne cheffe du bureau de CNN à Manille et cofondatrice du site d’information en ligne anglophone Rappler, a été reconnue coupable de « diffamation en ligne » et risque jusqu’à six ans de détention. Rappler, un site d’information très critique envers la présidence, est visé par plusieurs procédures judiciaires après avoir publié des articles critiques envers la politique du chef de l’Etat, le président Rodrigo Duterte, à commencer par sa campagne sanglante et controversée contre le trafic de drogue.

Tout commence en 2012, avec un article faisant état de soupçons de liens entre l’homme d’affaires Wilfredo D. Keng et l’ancien président de la Cour suprême Renato Corona. Le juge aurait emprunté la voiture de sport de l’homme d’affaires. L’article évoque également l’implication de l’homme d’affaires dans les trafics d’êtres humains et de drogue, précise par ailleurs le quotidien philippin The Philippines Daily Inquirer. La plainte déposée par l’homme d’affaires a été rejetée en 2017, mais le dossier a ensuite été transmis au parquet qui a décidé de poursuivre Maria Ressa, ainsi que l’auteur de l’article, l’ancien journaliste Reynaldo Santos. Ce dernier, également déclaré coupable, est demeuré libre sous caution.

L’actuelle loi sur la cyberdiffamation, très sévère et très critiquée, n’était pas encore entrée en vigueur au moment de la publication de l’article. Cependant, le site ayant procédé à la correction d’une coquille typographique en 2014, les juges ont considéré qu’il s’agissait d’une «republication» et que la loi pouvait donc s’appliquer. Interrogés sur leurs sources par la cour, Ressa et le reporter en charge de l’article incriminé, Reynaldo Santos Junior, ont cité un «rapport d’information» sur lequel ils auraient basé leur récit, mais n’ont pas pu «apporter la preuve de la véracité de leurs écrits, ni même celle qu’ils aient fait l’effort de tenter de vérifier cette information», a estimé la juge.

Arrêtée le 29 mars dernier à l’aéroport de Manille, Maria Ressa encourt jusqu’à six ans de prison dans une énième affaire visant, pour les détracteurs du président Rodrigo Duterte, à museler les journalistes de Rappler. Au début, Rappler, qui touche surtout la jeunesse urbaine, n’était qu’une simple page Facebook, avec une dizaine de journalistes débutants. La petite start-up, très vite devenue un vrai site d’information, se distingue, à partir de 2016, par son opposition frontale au Président, Rodrigo Duterte, exposant sa redoutable «guerre contre la drogue», responsable de milliers d’exécutions sommaires par la police philippine, en majorité de jeunes hommes pauvres soupçonnés de trafic de drogue.

Celle qui s’oppose directement à Duterte

Lauréate de plusieurs prix internationaux de journalisme d’investigation, Maria Ressa, 56 ans, est une célèbre reporter d’investigation pour la chaîne américaine CNN en Asie du Sud-Est. Passant d’une zone de conflit à l’autre, cette journaliste aux cheveux courts et au regard perçant sur un visage jamais maquillé, était devenue la spécialiste des questions de terrorisme. Installée aux Philippines, la journaliste américano-philippine fonde avec des proches, en 2012, le site d’information Rappler.

Aux Philippines, Maria Ressa est soutenue par les classes moyennes éduquées anglophones et internationalisées, mais les admirateurs de Rodrigo Duterte considèrent qu’elle fait le jeu des grandes familles aristocratiques, moins d’une dizaine de clans qui se relaient au pouvoir au gré des alliances.

On lui reproche sa nationalité américaine, ce qui prête à la controverse au moment où le Président Duterte se rapproche de la Chine, alors que jusqu’ici les Philippines, qui abritait plusieurs bases militaires, était une bastion américaine dans la région. Dans une interview au South China Morning Post, Ressa dit désormais «se préparer mentalement à la prison». Mais, même condamnée en deuxième instance, elle peut encore faire appel devant la Cour suprême, une procédure qui prend plusieurs années.

Maria Ressa est laissée libre dans l’attente de l’examen de son appel et on ignore combien de temps elle devra purger si la condamnation devient définitive. Après le verdict, elle a déclaré aux journalistes : « Nous résisterons à toutes les attaques contre la liberté de la presse… C’est un revers mais ce n’est pas non plus inattendu. Ils essaient de nous effrayer, mais n’ayez pas peur ».

Ce procès en diffamation est un énième développement dans une longue suite d’attaques judiciaires contre Rappler depuis quatre ans. La licence du site indépendant avait été brièvement révoquée en 2018 car accusé de ne pas être détenu par des fonds philippins. L’investisseur principal américain a alors revendu ses parts aux journalistes de la rédaction. Des poursuites pour évasion fiscale à hauteur de deux millions et demi d’euros sont toujours en cours.


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