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A la veille du passage de témoin entre les presidents Trump et Biden, le déploiement de forces autour du Capitole et sur le Mall[1] nous indique l’état du délitement de la démocratie au sein d’une Amérique qui se vantait d’en être le modèle et investissait gros pour l’exporter ailleurs dans le monde. Les images qui défilent sur tous les écrans de la planète font ainsi le bilan de l’échec du programme de Donald Trump qui voulait « Make America Great Again ». Tout ce que le monde retiendra de Donald Trump c’est le souvenir d’un raciste qui, comme toutes les personnes en mal de vocabulaire, donne dans des expressions excessives et des attitudes agressives. Il passera, en outre, pour un mauvais perdant qui aura été jusqu’à inciter au soulèvement populaire pour s’accrocher au pouvoir, faisant de l’Amérique la plus récente république bananière.
A la tête d’un pays symbolisant l’impérialisme, Joe Biden aura fort à faire pour faire oublier Donald Trump. L’homme d’affaires aura apporté à la grandeur des Etats-Unis sa part de décadence, révélant un clivage social fait de nombreuses minorités en déficit de légitimité et une volonté de plus en plus manifeste des groupes suprématistes blancs d’influencer le processus législatif en leur faveur. Dans ce sens, on réalise bien que le Capitole était un double symbole puisque c’est là que se font les lois qui fondent même les limites des pouvoirs du président et c’est là que siègent les sénateurs qui devaient valider l’élection de Joe Biden.
Cette invasion inimaginable du Capitole vaut à Donald Trump de quitter la Maison Blanche dans le déshonneur car même des sénateurs républicains sont favorables à la procédure de destitution, qui fait suite au vote en faveur de l’empêchement du président Trump par la chambre des représentants la semaine dernière. Toutefois, au-delà de cette gestion politique du problème Trump, il y a des considérations juridiques dont les sénateurs devront tenir compte pour, d’une part, ne pas se discréditer dans leurs États respectifs, et d’autre part, pour ne pas discréditer davantage le pays aux yeux du monde. Car, au pays où le lobbying monétaire est une pratique légale, la presse américaine a beau attirer quelques capitalistes disposés à investir dans le trafic d’influence, il y a encore une multitude de journalistes peu disposés à pondre des articles teintés de complaisance. Les institutions qui reconnaissent leurs mérites, et qui assurent l’autorégulation de la profession, demeurent indépendantes.
C’est bien cette presse qui a enquêté sur l’assaut du Capitole et qui a fini par démontrer que, loin d’être un mouvement spontané, celui-ci a été induit par des groupes d’extrême droite qui ont motivé sur plusieurs mois, et ainsi documenté, cette démarche insurrectionnelle. Pour rappel, peu après 13 heures le 6 janvier, lorsque le président Trump a terminé son discours devant les manifestants à Washington en les appelant à défiler sur le Congrès, des centaines d’appels à prendre d’assaut le bâtiment ont été lancés par ses partisans en ligne.
La presse des actualités à chaud a dû, cependant, se reprendre quand des organes de presse comme le New York Times ont commencé à révéler que les groupes d’extrême droite utilisaient des réseaux sociaux comme Gab et Parler, pour proposer des directions et les rues à prendre pour éviter la police et les outils à apporter pour aider à ouvrir les portes du Capitole. Selon Techxplore.com, site d’information spécialisé dans les TIC, toutes ces informations ont été échangées dans des commentaires sur ces plateformes. Au moins une douzaine de personnes ont posté sur le transport d’armes à feu dans les couloirs du Congrès.
En ce fameux mercredi 6 janvier, s’adressant à ses partisans juste avant qu’ils ne marchent sur le Capitole, Trump leur a donné quatre raisons de s’emparer du pouvoir. Tout d’abord, il leur a dit que la Cour suprême était corrompue et ne voulait pas les protéger. « Ils aiment se prononcer contre moi », dit-il des juges. « Il semble presque qu’ils font tous des choses pour nous faire du mal à tous et faire du mal à notre pays ».
Deuxièmement, M. Trump a déclaré que ses allégations de fraude électorale justifiaient de suspendre la tradition de respect des résultats des élections certifiées par l’État. « Lorsque vous attrapez quelqu’un dans une fraude, vous avez le droit de suivre des règles très différentes », a-t-il soutenu. « Vous ne concédez pas quand il y a le vol en cause. Notre pays en a assez. Nous n’allons pas en prendre davantage ».
Troisièmement, M. Trump a déclaré que les objections constitutionnelles à l’annulation de l’élection devaient être annulées parce que l’Amérique était en danger. « C’est une question de sécurité nationale », a-t-il déclaré. « Beaucoup de mauvaises personnes » essayaient « de prendre illégalement le contrôle de notre pays », a-t-il averti, et « la Constitution dit qu’il faut protéger notre pays ». Si Biden était inauguré, « vous aurez un président illégitime », a déclaré M. Trump à la foule. « Notre pays sera détruit. Et nous n’allons pas accepter cela ».
Quatrièmement, Trump a demandé à ses partisans de répondre à la cruauté de leurs ennemis domestiques. Il n’a pas explicitement recommandé la violence, et à un moment donné, il a même inséré le mot « pacifiquement ». Mais tout au long du discours, il a appelé à une escalade des tactiques. « Les républicains se battent constamment comme un boxeur les mains liées derrière le dos », a-t-il déploré. « Nous allons devoir nous battre beaucoup plus fort ». Il a dit des démocrates: « Ils sont impitoyables, et il est temps que quelqu’un fasse quelque chose à ce sujet ». Alors qu’il dirigeait la foule vers le Capitole, il a conclu : « Si vous ne vous battez pas comme l’enfer, vous n’aurez plus de pays ».
Prémédité depuis des mois
Les dossiers des journalistes d’investigation montrent qu’à la fin de son discours, des centaines de ses partisans ont diffusé des messages pour attaquer le Capitole. Plus tard, alors que l’assaut était en cours, Trump a tweeté que Pence, en refusant d’invalider le vote électoral, n’avait pas montré « le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays ». Cela a incité certains partisans de Trump à réclamer que Pence, qui se trouvait à l’intérieur du Capitole, soit pourchassé.
Selon le Washington Post et le New York Times qui avaient sollicité les conseillers du président, Donald Trump « était d’abord content » de regarder l’assaut à la télévision, car « ses partisans se battaient littéralement pour lui ». Il a ainsi rejeté les demandes de mobilisation de la Garde nationale pour la défense du Capitole. Lorsque le leader de la minorité à la Chambre, Kevin McCarthy, a imploré Trump de dénoncer ce mouvement de foule, il a refusé. Ce n’est que plus tard, après que des avocats Trumpistes aient averti le président qu’il pourrait être poursuivi pour incitation, qu’il a demandé à ses partisans de rentrer chez eux. Mais il a insisté sur le fait qu’ils avaient été provoqués par des ennemis qui l’ont « vicieusement dépouillé » de sa « victoire électorale écrasante ».
Trump n’a pas seulement incité à une émeute mercredi. Depuis des semaines, il dit à ses partisans d’ignorer les décisions des tribunaux, d’annuler les contraintes constitutionnelles, de s’élever contre les résultats des élections certifiées par l’État et de se battre jusqu’à la mort. En vertu de la loi fédérale, c’est l’incitation à « l’insurrection contre l’autorité des États-Unis ou les lois de celui-ci ». Le délit est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans et d’une interdiction de reprendre ses fonctions.
En réalité, les appels à la violence contre les membres du Congrès et les mouvements pro-Trump pour reprendre le Capitole circulent en ligne depuis des mois. Soutenus par M. Trump, qui a courtisé des mouvements marginaux comme QAnon et les Proud Boys, des groupes se sont ouvertement organisés sur les réseaux sociaux et en ont recruté d’autres pour leur cause. Comme Facebook et Twitter ont commencé à sévir contre ces groupes au cours de l’été, ils ont lentement migré vers d’autres sites qui leur ont permis d’appeler ouvertement à la violence.
Le 6 janvier, leur activisme en ligne était devenu une violence réelle, conduisant à des scènes sans précédent de foules se promenant librement dans les couloirs du Congrès et téléchargeant des photos de célébration d’eux-mêmes, encourageant les autres à se joindre à eux. Sur Gab, ils ont documenté leur volonté d’entrer dans les bureaux des membres du Congrès, y compris celui de la présidente de la Chambre Nancy Pelosi.
À 14 h 24 ce mercredi 6 janvier, après que M. Trump ait tweeté que M. Pence « n’avait pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait », des dizaines de messages sur Gab appelaient ceux qui se trouvaient à l’intérieur du Capitole à traquer le vice-président. Dans des vidéos téléchargées sur la chaîne, on pouvait entendre des manifestants scander « Où est Pence ? »
Renee DiResta, chercheuse à l’Observatoire Internet de Stanford qui étudie les mouvements en ligne, déclarait sur Slate que la violence du 6 janvier dernier était le résultat de mouvements en ligne opérant dans des réseaux sociaux fermés où les gens croyaient que les allégations de fraude électorale et de l’élection ont été volées à M. Trump. « Ces gens agissent parce qu’ils sont convaincus que élection a été volée », estime DiResta, pour qui « Il s’agit d’une démonstration de l’impact très réel des chambres d’écho ». Elle arrive à la conclusion que: « Cela a été une répudiation frappante de l’idée qu’il y a un monde en ligne et hors ligne et que ce qui est dit en ligne est en quelque sorte maintenu en ligne ».
Le président Donald Trump a-t-il incité à l’assaut de mercredi contre le Capitole ? La réponse semble évidente. Toutefois, une affaire formelle contre lui, notamment par la mise en accusation ou des poursuites en vertu des lois d’insurrection ou d’incitation, exige des preuves spécifiques. Le discours qu’il a prononcé peu avant que ses partisans ne prennent d’assaut le Capitole fait partie des preuves, mais il y en a d’autres. Depuis le 14 décembre, lorsque le Collège électoral a scellé la victoire de Joe Biden, Trump a demandé à ses partisans de faire la guerre, de ne pas tenir compte des contraintes juridiques et d’annuler l’élection par tous les moyens nécessaires.
Tous les anciens présidents qui ont perdu le Collège électoral ont concédé la défaite. Même Al Gore, qui a contesté le dépouillement des bulletins de vote en Floride en 2000 lorsqu’il était vice-président, a concédé cinq jours avant le vote des électeurs. Mais Trump est celui qui aura refusé autant les règles établies que les résultats validés. « Cette fausse élection ne peut plus tenir », a-t-il tweeté le 15 décembre, quelques heures après que les grands électeurs aient confirmé la victoire de Biden.
« Faites bouger les républicains », avait exhorté Trump à ses alliés au Congrès pour bloquer la validation du vote électoral. Lorsque le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell a reconnu l’élection de M. Biden, M. Trump a réprimandé celui-ci et a répondu que « le Parti républicain doit enfin apprendre à se battre ». Le 19 décembre, M. Trump a appelé ses partisans à envahir Washington et à faire pression sur le Congrès pour qu’il conserve le pouvoir. « Grande manifestation à D.C le 6 janvier », avait tweeté le président. « Soyez là, ce sera sauvage! »
Ce fut sauvage,
en effet.
[1] Le Mall est l’esplanade nationale des Etats-Unis, bordée de musées et de monuments. C’est l’un des lieux touristiques les plus connus de Washington DC et est souvent utilisé pour les manifestations en raison de sa signification civique et historique.