Mafia calabraise : le méga-procès du clan Mancuso

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La ‘Ndrangheta, un système criminel intégré

Nicola Gratteri, le procureur en chef. Habitué à vivre sous protection policière depuis une trentaine d’années.

C’est à partir de mercredi dernier (13 janvier 2021) à Lamezia Terme en Calabre, que s’est ouvert l’un des plus grands procès contre la mafia en Italie, plus précisément la ‘Ndrangheta. La première audience a été marquée par l’annonce de trois des juges nommés de se récuser au motif d’avoir été impliqués dans les procédures de l’enquête préliminaire. Les juges verront défiler 355 accusés, entendront plus de 900 témoins, les récits de 58 repentis et les arguments d’un millier d’avocats, lors d’un procès considéré déjà historique. C’est dans un stade de volley-ball, d’une capacité de 3 200 personnes et réaménagé pour l’occasion, que la justice italienne commencera à décortiquer les liens entre le crime organisé calabrais, la politique et les institutions. Le précèdent, et le plus fameux sans doute, est celui de Cosa Nostra[1] à Palerme en 1986-1987.

« Cette enquête est une pierre angulaire dans la connaissance de la ’Ndrangheta et de cette nouvelle frontière du crime calabrais qui se sert des cols blancs pour gérer le pouvoir », avait résumé Nicola Gratteri, le procureur en chef de Catanzaro, en fin d’année dernière lors d’une audience préliminaire à Rome. C’est l’ensemble des activités de la famille Mancuso[2] qui va être passé au crible à l’occasion de ce procès hors norme, faisant suite à un vaste coup de filet orchestré en décembre 2019 par Gratteri. L’opération, baptisée « Rinascita Scott », avait permis d’arrêter des centaines de personnes en Calabre mais aussi dans les principales régions du nord de l’Italie ainsi qu’en Allemagne, en Suisse et jusqu’en Bulgarie.

 « Cela fait des décennies que la ‘Ndrangheta a infiltré l’Europe », répète régulièrement le magistrat Gratteri. En effet, en 2007, la tuerie de Duisbourg, qui avait fait six morts devant une pizzeria locale, avait brusquement fait comprendre que les clans ne règlent plus seulement leurs comptes au pied de l’Aspromonte, le massif montagneux qui domine les terres pauvres et arides de Calabre.

Élus et fonctionnaires impliqués

Les chefs d’accusation vont d’association mafieuse à trafic de stupéfiants, usure, abus de pouvoir ou encore recel, blanchiment d’argent mais aussi tentative de meurtre et assassinat. Le procureur Gratteri évoque un «rapport systémique» entre les parrains, les cols blancs et certains représentants des institutions. L’enquête du procureur Gratteri confirme aussi qu’il y a un rapport consolidé entre la mafia et la franc-maçonnerie locale.

Le procès qui s’ouvre à Lamezia Terme devrait notamment mettre en lumière les complicités dont bénéficie cette mafia, dont le chiffre d’affaires annuel est estimé à 50 milliards d’euros, et qui s’est infiltrée dans de nombreux secteurs d’activité. Non seulement en contrôlant une bonne partie du marché de la cocaïne, mais surtout en recyclant l’argent sale dans l’économie légale. Au cours de l’opération « Rinascita Scott », les forces de l’ordre ont ainsi appréhendé des entrepreneurs, des avocats, des syndicalistes et même certains de leurs collègues, parmi lesquels le commandant de la police municipale de Vibo Valentia.

Un maréchal de la brigade financière et un ancien commandant des carabiniers de Catanzaro seront également jugés. Plusieurs élus ont également été arrêtés. Par exemple,  Giancarlo Pittelli, l’ancien parlementaire et ex-coordinateur régional de Forza Italia, ou encore, Gianluca Callipo, élu du centre-gauche devenu président régional de l’association des maires.

Luigi Mancuso, le chef du clan des Mancuso, la famille la plus influente de Calabre et de sa mafia, la ‘Ndrangheta.
Une vue générale de la salle d’audience, un bunker conçu comme un centre d’appel, permettant aux avocats d’interroger les accusés dans leurs lieux de détention.

Ce procès est aussi intéressant parce qu’on y voit des fissures dans la ‘Ndrangheta, notamment à travers l’émergence de collaborateurs de justice, ou repentis. Pendant longtemps, du fait de sa structure familiale avec un recrutement de ses membres qui ne s’effectuait que par filiation, la mafia calabraise est restée imperméable. «Lorsque l’un de ses membres est arrêté, il ne trahit pas ses cousins, son père ou ses frères», rappelait Nicola Gratteri, au lendemain de la tuerie de Duisbourg. Or, au cours des dernières années, certains affiliés des ‘ndrine (les petits clans calabrais) incarcérés ont commencé à collaborer avec l’Etat.

On est encore loin des centaines de repentis de Cosa Nostra, mais ce sont les témoignages d’anciens boss de la ‘Ndrangheta croupissant en prison qui ont permis de donner le coup d’envoi de l’enquête «Rinascita Scott» en 2016.

Considérée comme l’une des plus importantes de Calabre, la famille Mancuso est aussi bien implantée hors de Calabre et à l’étranger. Elle est active non seulement dans le trafic de drogue, mais aussi dans l’immobilier, le tourisme et le recyclage d’argent sale. Le nom de cette «cosca», ou clan familial famille apparaît déjà dans des procédures judiciaires au début du siècle dernier. Le chef de ce clan, Luigi Mancuso, fait partie des accusés jugés depuis ce mercredi. Déjà condamné, il avait été libéré en 2012 après une réclusion de 19 ans.


[1] près de 475 mafieux furent jugés à la suite des enquêtes du juge Giovanni Falcone.

[2] La famille Mancuso, très redoutée aux Etats-Unis comme en Europe, règne depuis des décennies sur la province de Vibo Valentia.


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