Le phénomène Belcourt

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Temps de lecture : 9 minutes

S’il y a un candidat dont le parcours aura été transcendant durant cette courte campagne, c’est sans conteste Patrick Belcourt. Avec sa vision clairement énoncée, avec son charisme et son dynamisme, cet homme qui brigue les suffrages pour la première fois aura fait la leçon aux vieux routiers des grandes formations qui, à défaut de simplement se retirer, n’ont jamais su se renouveler. Il en aura fait également aux jeunes qui prétendent « faire de la politique autrement » et qui échouent à faire justement cela.

Patrick Belcourt, un candidat charismatique

Du rêve au projet. C’est peut-être le tout premier enseignement que tout aspirant à la députation devrait tirer de la campagne de Patrick Belcourt. Son rêve, en choisissant de conjuguer son destin et celui de la circonscription No. 19, repose sur un projet politique concret : il veut un développement intégré pour sa circonscription. Il ne s’agit pas d’un projet issu du positionnement idéologique classique gauche-droite ; le sien part d’une réflexion nourrie de l’expérience acquise au contact du terrain.

Cela fait cinq ans qu’il a renoué avec quelques amis de Camp Levieux et qu’il se laisse interpeller par cette réalité qui aurait pu être encore la sienne. Trois ans qu’il circule dans la circonscription ; il y vient durant le week-end avec sa femme et ses enfants pour rencontrer des associations, des volontaires qui travaillent sur les différents fronts de la misère chronique. Sa résolution tient sans doute de cette prise de conscience que la situation s’est tellement empirée que, même avec toute sa détermination, ses chances de réussite sociale auraient aujourd’hui été inexistantes.

De la colère de ceux qui triment pour des salaires de misère, de la frustration des jeunes qui voient l’avenir meilleur s’éloigner comme un mirage à chaque fois qu’ils font l’effort de s’en approcher, de la désespérance de ceux qui ont sombré dans le cercle infernal de la toxicomanie et de la délinquance… Patrick Belcourt n’esquive rien ; il prend tout.
 
Certains de ceux qui l’ont côtoyé à la MCB nous parlent d’une lente « transformation intérieure » qui s’est opéré depuis un certain temps. Au sein de cette banque où évolue la plus grande masse d’ambitieux au mètre carré, il fait figure d’atypique. C’est qu’il n’est pas initialement de la maison ; il a exercé en Suisse et en France initialement et sa force, nous dit-on, tient dans le fait qu’il ne tient pas à se présenter comme le plus brillant. C’est ainsi qu’il pose parfois les questions de l’ingénu ; ce qui quelquefois confond le fort-en-thème et révèle l’esbroufe.

La transformation intérieure d’un atypique

« Patrick a vécu longtemps à l’étranger et cela fait longtemps qu’il est libéré de certains complexes mauriciens. C’est un homme d’équipe et il aime l’efficacité ; c’est sûr qu’il va finir par interpeller celui qui entrave le bon fonctionnement d’une équipe », nous dit un de nos informateurs qui l’a étudié de près alors que nous menions notre série d’enquêtes sur certains indices de management toxique au plan de la gestion du personnel.
Sait-il qu’il fait lui-même partie des cadres qui font l’objet de notre observation? Difficile à dire. L’homme sait respecter les fonctions de chacun et est capable de poser des cloisons pour entretenir un relationnel sain. Alors que certains cadres de la banque le soupçonnent d’être une de nos sources parce qu’il fait partie de nos connaissances, nous apprenons qu’il ne nie pas cette relation auprès de ces collègues et n’intervient pas non plus dans notre travail. Ce qui est extrêmement rare dans le grand village mauricien où on mise énormément sur l’entregent. Ce sont nos relais hors de la structure de la MCB qui nous apprendront que, durant ce moment tendu au sein de l’institution bancaire, c’est lui qui a la confiance de son No. 1 pour qui il exécute une mission auprès d’une autre institution bancaire. Il s’en est acquitté avec une discrétion parfaite.
 
En fait, c’est l’efficacité qui semble être l’obsession de Patrick Belcourt. Chose qui n’est pas toujours au rendez-vous chez ceux qui veulent s’engager en politique. On y trouve autant de doux rêveurs que d’exaltés et, selon le niveau de leur embourgeoisement, peu aptes à passer de la réflexion à l’action. Il aide à la cohésion au sein de Nou Repiblik où les réelles avancées sont suivies des numéros de paso-doble de Nilen Vencadasmy. Cette jeune formation est comme une pépinière pour les partis représentés au parlement et qui recherchent du sang neuf. Comme Vencadasmy, Belcourt ne cache pas venir d’une famille militante, mais les deux hommes n’ont pas la même détermination pour rompre avec les grosses structures qui ont phagocyté la vie politique à Maurice.
 
Même si Belcourt ne l’évoque pas ouvertement, en raison sans doute de ses relations amicales personnelles avec Emmanuel Bérenger, les responsables de Nou Repiblik savent qu’il n’a pas donné suite à la rencontre qu’il a eue avec le dirigeant du MMM. Ce fut une toute autre histoire pour Nilen Vencadasmy ; son adhésion au MSM, ses amis l’apprirent par voie de presse et cet aboutissement, aux antipodes de ses affirmations au sujet des partis dits traditionnels, avaient davantage l’allure d’un acoquinement. Au vu des déclarations antérieures du jeune avocat d’affaires, son vœu d’accéder à la députation passait par ce pacte faustien.

Dans l’heure qui suit “l’appel” des ravaniers, on voit apparaître Patrick Belcourt
Ki to lé fèr kan to vinn gran? Patrick Belcourt est revenu mettre de l’ambition chez les plus jeunes.

Lalians Lespwar issue des pourparlers avec la formation de Yuvan Beejadhur est arrivé au moment opportun, pour remettre les jeunes prétendants politiques sur le chantier. Cette campagne électorale avec un échéancier très court a eu le mérite de révéler les niveaux d’autonomie des candidats. Au bout d’une semaine, il était clair que Patrick Belcourt jouait dans la cour des grands : alors que des ministres et des députés du gouvernement ou de l’opposition découvraient les circonscriptions où ils étaient affectés, lui est l’un de ceux à avoir une assise au sein de sa circonscription. Alors que Bérenger et Collendavelloo sont des pièces rapportées au No. 19, lui se présente comme un « zanfan landrwa ».
 
En apprenant qu’il a effectivement démissionné de la MCB – où il venait d’être promu à d’importantes responsabilités au plan international – la nouvelle a fusé chez les professionnels ainsi que dans le monde des affaires. Au moment de son départ, ses collègues se sont manifestés au-delà du cadre prévu par la direction ; dans cet établissement de près de 3 000 âmes, ils étaient presqu’unanimes à saluer la témérité de ce collègue qui osait tout plaquer, même sa fraîche promotion, pour aller briguer les suffrages populaires et se mettre au service de sa circonscription. Pour son dernier jour au bureau, tout le monde s’est réuni pour le saluer et il a dû convenir d’une longue séance de selfies avec ses collègues.

Macron? Non, Obama!

Passé la première semaine de campagne, Patrick Belcourt surprenait à nouveau son monde par sa manière de communiquer. Son arrivée dans les cités est annoncée d’une manière bien particulière : quelques ravaniers se mettent à un carrefour et tapent ce que l’on désigne comme « l’appel ». En milieu populaire, l’inconscient collectif réagit, les gens sortent, d’autres se mettent aux fenêtres… Que se passe-t-il ? « Belcourt pé vini ! ». Et, en effet, chacun dans sa rue va le voir passer, prendre le temps de discuter avec les gens.

Des balcons, on l’appelle. Une femme s’approche de lui avec son enfant ; il se met à hauteur du gamin pour lui parler. Ça ne s’invente pas ; il a le geste qui parle aux siens. Il y a une espèce de transe dans le regard des gens ; lui-même finira par reconnaître qu’il a allumé l’espoir dans les regards et remis de l’ambition dans la perspective des plus jeunes. « Macron ? », se demandent quelques jeunes qui attendent le bus à la promenade Cavalot. « Obama », répond l’un d’eux. Ils se regardent, et le silence dure un moment. « Samemsa ! », dit celui qui avait tenté la question.

Sa page dédiée à sa campagne rendait compte de ses multiples réunions et du bon accueil qu’il recevait dans les différents quartiers. Les responsables de communication des principaux partis n’allaient pas tarder pour répliquer dans ce registre. Mais Belcourt allait très vite se détacher de son peloton au No. 19.

Dès la deuxième semaine, par le biais d’un blog, Patrick Belcourt allait proposer ses réflexions politiques et ses orientations en matière de développement. Il apportait de la substance sur les réseaux sociaux là où ses adversaires se contentaient de la forme. En fait, le candidat Belcourt avait choisi d’adapter et de décliner son message pour différentes audiences.

Ce blog lui permet même de préciser sa position par rapport à la bien-pensance et le politiquement correct des groupes dominants. Il écrit ainsi qu’il ne s’agit pas d’aller planter des arbres à tout-va de la même manière que l’on a érigé des cités pour parquer les réfugiés des cyclones de manière irréfléchie. Quelques jours plus tôt, Pascal Laroulette, (qui surfe sur sa vague de popularité avec son mentor Malenn Oodiah depuis l’opération de communication autour de leur projet de plantation d’arbres dans le cadre de la visite papale), interpellait quelques candidats les mettant au défi de dire le nombre d’arbres qu’ils s’engageaient à planter une fois élu. Réponse à l’intéressé? Qui cessa de faire l’intéressant.

Belcourt ne se présente pas comme ses hommes politiques en panne d’une réflexion et qui vont sauter sur la fausse bonne idée comme un apnéique avide d’un bol d’air. Il n’éconduit pas non plus ceux qui cherchent à lui vendre leur camelote. Tout néophyte qu’il soit, il a les réflexes de l’homme politique; il ne va pas chercher d’inutiles confrontations, il est là pour rassembler autour de sa campagne. 

Dans le bus, on le lit le matin et l’après-midi. Les gens découvrent une vision raisonnée de leur circonscription : un développement non planifié à Stanley – Rose-Hill a favorisé l’implantation de six cités dortoirs alors que la population y est déjà très dense. Les gens sont contraints à de nombreux et couteux déplacements car il n’y a pratiquement pas de services disponibles dans les différents quartiers. A côté du poste de police, il y a encore une banderole annonçant le passage de la poste mobile. Il y a des évidences pareilles qui échappent encore aux élus…

La circonscription No. 19 est resté à l’écart du développement pendant trop longtemps, explique le candidat Belcourt. « Depuis que Shirin Aumeeruddy, Jean-Claude de L’Estrac et Jayen Cuttaree ont quitté la circonscription », dit-il. C’est un bon marqueur dans le temps : il y avait encore au MMM des penseurs du développement social et économique. Et c’est ainsi qu’il présente le No. 19 comme le champ de bataille pour les conflits internes du MMM et qui donne aujourd’hui cette joute entre Paul Bérenger et Ivan Collendavelloo. « Les éléphants se battent et c’est notre circonscription qui est piétinée », dit-il dans ses réunions ; et le public acquiesce.

Patrick Belcourt a entamé la dernière semaine de sa campagne en recentrant ses messages sur le mot d’ordre de Lalians Lespwar : ne pas voter bloc. Il y apporte une base argumentaire là où sa formation s’était contentée d’un slogan. « En votant bloc à chaque fois, explique-t-il, vous renforcez le pouvoir des partis et c’est ce qui favorise les abus au sein du gouvernement ; les faveurs aux petits copains, aux proches et même aux maîtresses, ça vient de là ».

“Nou met enn lakrwa kot twa, apré nou gété”

Dans les réunions comme sur les réseaux sociaux, Patrick Belcourt distille un message bien articulé. Au-delà des couvertures que les journaux assurent  pour la découverte des nouveaux candidats, Jean-François Leckning, le patron de la revue ‘People’ lui consacre

un article dans la version électronique du magazine. Il a dû réaliser que l’homme n’est pas que le champion de Stanley et de Camp Levieux, mais il est aussi le chouchou de Roches-Brunes, où se trouve son segment de marché.

C’est Javed Vayid, le serial-investor du secteur du divertissement, qui osera exprimer clairement son admiration dans un post Facebook : « Usually bankers are risk averse, that would be the last job you leave to get into politics… which in fact makes him more like an entrepreneur! Moreover, some balls are needed to stand as a candidate in a difficult fief like Stanley Rose Hill! » « Second, his sincerity is unquestionable. Any person with common sense would acknowledge that he could have stayed in his comfort zone or easily join a traditional party – his “profile” fits the required criteria to join any of them. In addition, any empath will recognise his humbleness, his high EQ combined with a high IQ. Authentic energy / power moves around him. »  « Third, we can feel his charisma – which is a quasi-nonexistent quality on the political scene ». Javed Vayid ne fait pourtant pas partie de cette circonscription. Dans d’autres circonscriptions on exprime aussi le voeu d’avoir des candidats comme lui. Même chez les agents des grandes formations dans d’autres circonscriptions, on rit un peu jaune de l’effet Belcourt: « Tou sa lamoné zot pran ek sektèr privé, zot pa fouti met kandida koumsa. Bann lider-là krwar lané alé- lané vini dimounn-là pou kontinyé vot pyé banann mem. Tya bon zot ramas enn sak bézé sann fwa-là, lerlà zot a konpran »,

Certains marchands d’Arab Town ont collé des affichettes de Belcourt devant leurs échoppes et sont en train de rigoler : le marchand musulman raconte qu’au masjid il a eu le mot d’ordre de voter Belcourt et de « koupé-transé », le marchand tamoul raconte qu’il croyait que Belcourt se rendait à l’église de Sainte-Anne mais c’est le prêtre du kovil en face qui est venu l’accueillir à bras ouverts. « Nounn fini gaygn mesaz-là », dit-il.

De Cité Trèfles à Roches Brunes, chez les chômeurs comme chez les hommes d’affaires, Patrick Belcourt séduit et rassemble. En face, Bérenger et Collendavelloo se livrent une guerre de slogans creux. Même ceux qui sont sur les « bases » n’y font pas attention : « Nou korek nou. Ena fami isi, éna fami lot koté, nou pa pou lagèr », explique un activiste du MMM. Patrick Belcourt passe, il s’arrête et les salue. Il y en a un qui vient à sa voiture et lui dit : « Pa traka twa, pa get nou T-shirt. Nou pé met enn lakrwa kot twa, apré nou gété ».

Les dés sont jetés. Patrick Belcourt a franchi le Rubicon. Quelle que soit l’issue du scrutin, il est venu, on l’a vu, il a conquis. ​


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