Le travail en condition de risques à la santé : devoirs de l’employeur et protections de l’employé

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Conflit chez Alteo: Sébastien Lavoipierre à l’initiative de la reprise du travail, Ashok Subron qui s’y oppose et le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, confiné au silence.

Au moment où les volontés de reprise des activités économiques se précisent, le chef du gouvernement évoque déjà un projet de loi Covid-19 pour réglementer la vie courante dans ce contexte de crise sanitaire. Certaines entreprises usent déjà de contraintes auprès de leurs employés et d’autres procèdent à des licenciements. Des responsables syndicaux se mobilisent tandis que le ministre du Travail traîne la patte. Les affrontements seront inévitables car les dispositions légales relevant de la santé et de la sécurité sur les lieux du travail fixent bien les conditions dans lesquelles les employés peuvent et doivent effectuer leurs services productifs. De même, les entreprises ne peuvent recourir à des licenciements sans se conformer aux prescriptions légales.

La législation mauricienne prescrit de manière très précise les conditions dans lesquelles tout employeur peut procéder à ses activités économiques qui impliquent en toutes circonstances des risques à degrés variables à la santé et à la sécurité. La législation connue comme la Occupational Health and Safety Act, promulguée initialement en 2005, est la loi qui régit la gestion des risques de manière générale, et les risques éventuels de contamination en particulier. Dans la mesure où cette législation inclut la contamination éventuelle par des agents biologiques, elle garde toute sa pertinence pour la gestion des risques liés au virus du Covid-19.

Est-ce que ces conditions ont été respectées durant la période de confinement et seront-elles appliquées plus strictement dans le cadre d’une reprise des activités économiques post-confinement ? Au vu des manquements constatés dans des centres hospitaliers et des témoignages reçus des médecins et des policiers notamment, nous ne pouvons raisonnablement avancer que l’État lui-même se soit montré scrupuleux et respectueux des conditions prescrites légalement. Dans ces circonstances, il est à craindre que le ministère du Travail ne puisse jouer pleinement son rôle de régulateur, plus particulièrement là où les services de l’État auraient pu être responsables de manquements graves par rapport aux mesures de protection dont ils auraient dû s’acquitter pour leurs fonctionnaires.

C’est l’article 12 de la deuxième partie de la législation qui fixe le cadre des protections que doivent assurer tout employeur aux employés de son entreprise. Intitulé « Exposition to serious and imminent danger », cet article 12 prévoit que l’employeur établisse des procédures dans l’éventualité d’une exposition à des dangers imminents et qu’il s’assure de disposer de personnes compétentes pour mettre en œuvre ces procédures et procéder éventuellement à l’évacuation de l’espace de travail.

Protection au civil et au pénal et contre toute action disciplinaire

Au-delà des responsabilités qu’il fixe à l’employeur pour la gestion des risques à la santé et à la sécurité, l’article 12 prévoit à l’alinéa (3) la protection de l’employé qui, conformément à ces procédures, aurait arrêté le travail au motif d’une menace à sa sécurité ou à sa santé1. Dans une telle éventualité, l’employé bénéficie de la protection de la loi contre toute plainte civile ou pénale et contre toute action disciplinaire.

Par ailleurs, cette loi dédiée à la santé et la sécurité au travail prévoit en annexe, dans sa liste de maladies liées aux risques professionnelles, celles causées par des agents biologiques. La section 1.3.1 de l’annexe 142 inclut donc les « Infections or parasitic diseases contracted in an occupation where there is a particular risk of contamination ». On trouve aussi, dans la liste des problèmes respiratoires inclus dans les maladies professionnelles, à la section 2.1.11 de cette annexe 14, « Any other respiratory disease not mentioned in the preceding items 2.1.1 to 2.1.10, caused by an agent where a direct link between the exposure of a worker to this agent and the disease suffered is established ».

On notera que les responsabilités dont il est question dans l’article 12 sont aussi considérés dans l’article 13 en tenant compte des personnes embauchés pour exercer dans l’espace de travail d’un employeur-tiers. Les mesures de précaution doivent faire l’objet d’informations clairement transmises à l’employé (ou au freelance – « self-employed ») et les responsabilités sont réparties entre le contracteur et l’employeur-tiers.

A titre d’exemple, c’est à la lumière de ces conditions prescrites que l’on pourrait évaluer la décision de la société Alteo de faire reprendre le travail à plus d’une centaine d’employés pour la maintenance de sa raffinerie. La réplique des syndicats à cette manœuvre se réfère aux dispositions prescrites sous la réglementation spécifique au Covid-193. C’est dans ce contexte qu’ils reprochent à Sébastien Lavoipierre, le chef des opérations d’Alteo, de ne pas avoir consulté les syndicats au préalable et au commissaire de police d’avoir émis un permis dont ils contestent la validité. Au-delà de ces considérations, on aura compris qu’en vertu de l’article 12 de la législation sur la santé et la sécurtité au travail, même pour opérer dans des conditions normales, l’employeur est tenu à notifier le ministère de tout risque nouveau ainsi que des mesures de protection envisagées pour assurer la protection des employés face à ces nouveaux risques. C’est seulement après la validation de ces mesures de protection qu’une entreprise est autorisée à fonctionner.

Ainsi, dans le cas d’Alteo, il s’agira de déterminer si le ministère du Travail a procédé à un examen préalable suite à une éventuelle notification d’Alteo relative au risque de contamination au Covid-19, ainsi que des procédures mises en place pour assurer la protection des employés.

L’affaire se corse avec le Work Access Permit émis par le Commissaire de police en faveur d’Alteo. En effet, si la démarche d’Alteo ne serait pas conforme aux dispositions de la loi sur la santé et la sécurité au travail, le permis de la police équivaudrait alors à un instrument qui aurait servi à la commission d’une infraction aux lois du travail. Ce permis de la police, on l’aura compris, aurait dû avoir été émise après, et non avant, une confirmation du secrétaire permanent du ministère du Travail attestant d’une validation des procédures de l’entreprise requérante.

Le contraste, en la circonstance, est posé par Air Mauritius, prestataire en services essentiels, qui, comme nous l’avons fait ressortir, a dégagé le mode opératoire le plus conforme aux exigences convenus pour la protection de son personnel navigant cabine et technique pour la mission de convoyage de fret en provenance des destinations chinoises. Ainsi, au-delà des combinaisons de protection, le transporteur national a prévu, plus que des gestes barrières pour l’équipage, l’interdiction d’accès du personnel au sol à la cabine et le contact minimal lors des opérations de chargement dans la soute. Ces dispositions font suite à des consultations avec les responsables des syndicats et le tour de force de Raja Buton, le DG intérimaire (Officer in Charge) aura été de parvenir à des résultats, sous forme de mesures contenues dans un document de six pages, et cela sans engager de rapport de forces. Il est clair que l’absolutisme manifesté par son prédécesseur, notamment lors de sa prestation à la fameuse conférence de presse conjointe Bodha-Jagutpal du 27 janvier dernier, n’aurait pas favorisé un tel aboutissement.

1An employee who, in accordance with the procedures referred to in subsection (1), has stopped work on reasonable belief that it presents a serious or imminent danger to his life or health shall not be liable to any civil or criminal action, or any form of disciplinary proceedings.

2(Fourteenth Schedule – List of Notifiable Occupational Diseases)

3Public Health Act et Prevention and Mitigation of Infectious Disease (Coronavirus) Regulations 2020.


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