Justice : Gavin Glover, un ministre hors du sérail

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Le défenseur de Navin Ramgoolam pourra-t-il conseiller le Conseil des ministres ?

Gigantesque la tâche de Gavin Glover, juriste émérite qui sera le prochain Attorney General. Cet avocat issu des rangs de la défense est aux antipodes de cette caste de procureurs dont on fait les juges. Au terme d’une carrière d’environ quatre décennies, l’avocat affirme vouloir donner au pays qui a contribué à faire de lui l’homme et le juriste qu’il est devenu. Loin d’une récompense à l’avocat qui l’a représenté à maintes reprises avec succès et une modestie qui défie l’air du temps, Navin Ramgoolam lui aura donc présenté la coupe de l’amertume. Ce ministre, qui n’est pas issu de la caste des élus non plus, pourra-t-il boire à cette coupe jusqu’à la lie ?

« Less law, more order » : dans cet ouvrage publié en 2006, le criminologue Irvin Waller démontrait au monde l’absurdité d’une politique de réduction du crime et de la délinquance basée sur la croissance de l’activité répressive de la police et de la justice. Plus de policiers ne signifie pas moins de délits. Faut-il vraiment expliciter cela aux dirigeants des partis mauriciens ? Et quand bien même que certains auraient les facultés pour le réaliser, ils n’oseraient pas, tout comme ils ne l’ont jusqu’ici jamais osé, éveiller les électeurs à ces réalités.

Car, il faut du courage en politique pour dire aux électeurs que ce sont leurs angoisses sécuritaires qui les poussent à souhaiter plus d’interventions policières musclées. Il faut, en effet, du courage en politique pour dire à la population qu’une police incapable de s’interroger sur les aspects sociologiques de ses interventions n’est qu’une police menée par un collectif de yes-men, un commissaire et des haut-gradés que l’intelligence et la dignité auront fui.

De même, légiférer pour les peines plus lourdes n’aura produit qu’un système judiciaire prompt à remplir les prisons dont se dote l’Etat. Aussi indépendant qu’il eut voulu l’être, le judiciaire abonde dans le sens des condamnations imbéciles que lui imposent les législateurs. Combien de nos juges ont osé les peines maximales, au motif que ce serait un facteur de « dissuasion »1 ? Combien se sont un tant soit peu penchés sur les résultats de ces approches répressives et procédé à un examen de leurs raisonnements à la lumière autant de la croissance du taux de criminalité que des récidives ? Dès que l’on tente le raisonnement, de nombreux jugements, et de même le rapport de la commission d’enquête présidée par l’ancien juge Lam Shang Leen, feraient sourciller plutôt que sourire.

Il est intéressant de considérer le judiciaire pour comprendre comment la pression des angoisses altèrent la rationalité d’une société. Nos juges disposent d’un capital de confiance énorme auprès de la population et c’est bien qu’il en soit ainsi. Car, nous sommes censés pouvoir recourir à la crème intellectuelle de ce pays pour départager des parties litigieuses au sein d’une société. Les dispositions de notre Constitution sont telles que notre judiciaire est techniquement à l’abri des volontés de l’Exécutif et des dérives populistes de la classe politique. Or, on ne peut ignorer que sur la question de la toxicomanie, dès que les législateurs ont cédé à la pression populaire à l’Assemblée, ils mettent le garrot à nos juges et magistrats. Le lacet étrangleur de la classe politique bloque les facultés même des plus hardis et étouffe ainsi les voix de la raison qui ne peuvent s’élever plus haut que ceux qui peuvent légitimement se réclamer d’être « la voix du peuple ».

Les chiffres officiels nous montrent le niveau de dérèglement du système. A titre d’exemple : les statistiques indiquent que 74,6 % des adultes condamnés sont des récidivistes qui avaient été incarcérés dans le passé. La récidive, pour toute personne sensée, est le constat d’échec d’une politique de réhabilitation ou de quelque structure qui se prétend « correctionnelle », là où des juges se voudraient justiciers de la dissuasion. Devrait-on alors faire ressortir que tout le discours autour de la réhabilitation relève forcément de la manipulation et de l’escroquerie ?

Cela interpelle encore plus quand on réalise que plus de 70% des détenus ont été arrêtés pour des cas liés à la drogue. Ce qui, en somme, signifie qu’ils sont au mauvais endroit puisque Maurice est bien signataire des conventions de l’OMS reconnaissant les toxicomanes comme des personnes souffrant d’addictions et nécessitant des soins appropriés, qu’ils manifestent ou non de volonté de décrochage.

Notre système de la Justice s’est enrayé et la démonstration par les chiffres est accablante. Ainsi, au 7 septembre 2024 la population carcérale était de 2 755 détenus2. Ça ne vaut pas la peine de tenter une comparaison de nature partisane : en 2012, sous gouvernement travailliste donc, la population carcérale était de 2 760. Et, ce qui est véritablement choquant c’est que la capacité d’accueil dans notre système pénitentiaire est pour 2 315 détenus seulement… Et malgré ce surpeuplement, nos juges et magistrats continuent d’y envoyer tous ceux qui n’auraient pas dû s’y trouver !

Charge provisoire et détention prolongée

L’île Maurice a un pourcentage élevé de ces prévenus en détention provisoire, « on remand » selon le jargon de l’administration de la justice. Selon les statistiques officielles, à Maurice, 82 % des admissions en 2017 concernaient des peines de moins de six mois ou le non-paiement d’amendes (la plupart du temps inférieures à 5 000 roupies). 45,3% de ce contingent admis en prison serait non seulement en attente d’un jugement, mais surtout d’une charge d’inculpation formelle.

De 82% à 45,3%, les communicants du gouvernement sortant auraient pu faire valoir ces indices de progression. Mais à force d’avoir perverti des journalistes en propagandistes au sein des Wazaa, ION News et autres titres défiants tétant goulûment aux mamelles d’un Media Trust subventionné par le gouvernement, ou encore ceux soumis aux gonades indigestes des Oursins, les lieutenants de Pravind Jugnauth n’auront eu qu’une vision stérile de notre système de justice. Ainsi, faute de pouvoir se référer à ces titres de presse, tenons-nous en aux chiffres et aux faits qu’ils démontrent. A titre de référence, le Royaume-Uni compte environ 10 % de personnes en détention provisoire/en attente de jugement, Singapour environ 12 %. L’argumentaire – ou l’échappatoire – de la comparaison avec les Etats africains prendrait aussi l’eau : Maurice, le pays qui a caracolé en tête de l’indice Mo Ibrahim durant deux décennies au moins, ne parviendrait même pas à la cheville du Rwanda qui, mieux que le Royaume-Uni et Singapour, compte seulement 7 % de sa population carcérale en attente de jugement.

Les peines courtes n’offrent quasiment aucune possibilité de réhabilitation. À Maurice, un détenu doit purger au moins un an de prison pour avoir accès aux programmes de réhabilitation en milieu carcéral.

Subutex : du mésusage à la démagogie

Navin Ramgoolam ne peut pas ignorer à quel point le sujet de la toxicomanie suscite autant l’hypocrisie parlementaire que la démagogie partisane. Il suffit de lui rappeler les circonstances dans lesquelles il annonçait au Parlement, le 5 août 2008, que le Subutex allait être reclassé comme médicament dangereux malgré les « réserves exprimées par l’Organisation mondiale de la santé ». Le Hansard fait état des questions de Paul Bérenger à Navin Ramgoolam, le PM d’alors, sur la question de la croissance de la consommation de la buprénorphine à Maurice. Ramgoolam ne parvint pas à expliquer qu’il y avait un mésusage de ce Subutex qui doit normalement être pris par voie orale sublingual. Il s’avère que les toxicomanes ont essayé d’écraser le comprimé et de diluer la poudre obtenue afin de se l’injecter ensuite. Mais plutôt que de chercher à résoudre le problème du mésusage, Bérenger tenta de laisser l’impression d’un gouvernement soutireur. La démarche, certainement des plus démagogiques, fut extrêmement efficace : on ne trouva nul brave parmi les honorables pour dire que ce parlement faisait fausse route.

Ainsi, de médicament, l’analgésique opioïde connue comme le Subutex devint un produit prohibé et le parlement, unanimement, avait institué une nouvelle filière mafieuse. En d’autres termes, la thérapie de substitution était amputée d’une jambe pour reposer uniquement sur celle de la méthadone. Entretemps, l’industrie pharmaceutique a continué à améliorer le buprénorphine. Il existe, en effet, une version injectable à libération prolongée3 !

Aux Assises, Gavin Glover, l’avocat principal dans le cas de Mohamed Komul Jamil, critiquait la loi de 2008 sur les drogues dangereuses dans l’affaire de trafic de Subutex : « Le Parlement a utilisé sa prérogative pour rendre soudainement inacceptable ce qui était acceptable ». Son client était accusé d’avoir importé 8 729 comprimés de Subutex d’une valeur de 10 millions de roupies.

Gavin Glover fut aussi à un certain moment l’avocat d’Aurore Gros-Coissy, jeune Française de 24 ans qui allait défrayer la chronique après de nombreuses tentatives de la faire libérer sous caution après son arrestation, le 19 août 2011 à l’aéroport de Plaisance. Dans ses bagages, les douaniers avaient découvert du Subutex. La jeune Lyonnaise affirmait avoir été piégée par son petit ami du moment, le Mauricien Tinsley Cornell qui aurait placé le colis dans sa valise à son insu. Ecoutant l’appel de la condamnation prononcée par feu le juge Bobby Madhub, Eddy Balancy, le chef-juge d’alors innocenta la jeune femme, avançant entre autres qu’il était normal qu’une personne interpellée à la douane et interrogée par la police montre des signes de nervosité et que le prétendu « profiling » de l’ADSU n’établissait rien du tout comme preuve admissible. La jeune femme qui avait passé quatre ans dans les prisons mauriciennes, retournait à Lyon et y épousait un de ses geoliers Mauriciens. Syndrome de Stockholm ? Le jour où l’on s’intéressera à la psychologie des détenus dans les prisons mauriciennes, Gavin Glover ne sera guère surpris de l’ampleur du désastre que l’on devra constater.

Le nouveau ministre de la Justice prendra-t-il à la légère les propos de Cindy Legallant qui affirmait avoir eu des relations intimes à Paris avec Richard Duval – son collègue du cabinet des ministres dans quelques jours – alors qu’elle était interpellée le lendemain à l’aéroport de Plaisance en possession de Subutex ? Dans ses déclarations publiques sur les réseaux sociaux, Cindy Legallant révélait aussi des intrusions nocturnes à la prison et qu’elle fut retirée de sa cellule pour signer un affidavit. Ce sont là des affirmations d’une extrême gravité et cette femme devrait être protégée de toute menace et d’atteinte à sa sécurité surtout à partir du moment où la personne mise en cause n’est nul autre qu’un ministre du nouveau gouvernement.

L’Omerta : Intrusions et décès inexpliqués à la prison

Les récentes affirmations de Cindy Legallant nécessitent une enquête, pas seulement parce qu’elles mettent en cause le nouveau ministre du Tourisme et des Loisirs, mais aussi parce qu’elles apportent encore un nouveau témoignage sur ces intrusions mystérieuses dans l’univers carcéral et les centres de détention de la police. Ces intrusions, ne l’oublions pas, ont abouti en des cas de morts inexpliqués, comme ce fut le cas pour le constable Hureechurn – qui nous valut la démission de Me Hervé Lassémillante et de ses collaborateurs au sein de la Human Rights Commission. Le cas le plus récent est celui de John-Mick Martingale qui, ayant obtenu la liberté conditionnelle, devait normalement quitter l’univers carcéral dans les jours suivant cet arrêté en sa faveur. Or, le jeune homme était retrouvé pendu dans sa cellule alors que ses divers avocats étaient persuadés que l’accusation à l’encontre de leur client était des plus chancellantes et qu’il faisait part de sa joie à ses parents de pouvoir retrouver sa femme et leur tout jeune enfant.

Le règne de l’Omerta est tel que l’anonyme Missie Moustas est devenu le héros du jour, le Zorro qui arrive à point nommé mais qui doit rester sous le couvert d’un masque pour assurer lui-même la justice plutôt que de se mettre à son service. Car, en réalité, ces personnes que l’on assassine ne sont que des signatures d’une mafia qui vient dire, telle la mafia brésilienne ou new yorkaise, qu’elle est capable d’infiltrer les services de la police et des prisons pour se débarrasser de tout témoin qu’elle considère gênant. Qu’est-ce que le coût d’une vie pour cette mafia qui envoie déjà des milliers à la mort et qui destine les survivants à n’être que de la loque humaine ?

La loi Hofman : les pouvoirs excessifs d’un Premier ministre

La tâche de Gavin Glover est colossale car il lui faudrait aussi convaincre son Premier ministre de la nécessité de se défaire, non seulement de cette loi scélérate que l’on devrait désigner comme « la loi Hofman », mais aussi des dispositions qui la fondent. On se souviendra de ces dispositions votées à la hâte permettant à Pravind Jugnauth, en tant que chef de l’Etat, de se prévaloir de prérogatives pour décréter que le pilote Patrick Hofman était persona non grata au motif qu’il aurait déclenché un mouvement de grève alors que de nombreux pilotes exténués ou malades n’avaient pas repris le service. Mais, pire encore, ce qui aurait provoqué l’ire de Pravind Jugnauth serait d’avoir été traité de « fou » dans une conversation privée sur WhatsApp. Le genre de folle colère narcissique qui fait qu’une démocratie bascule dans l’autocratie.

Il ne faut pas oublier que cette « loi Hofman » est, tel un virus, accompagnée de son corrolaire qui s’en prend à la citoyenneté. Car, privée de celle-ci Patrick Hofman ne pouvait plus vivre à Maurice avec son épouse, Isabelle L’Olive. L’exil fut mortel à celle-ci car, elle mourut à Bruxelles peu de temps après s’y être déplacée pour être à côté de son époux…

L’Inde est un de ces rares pays où le chef-juge interpelle chaque année le Premier ministre sur le caractère efficace, démagogique ou tout simplement inopérant des législations adoptées par les majorités parlementaires. Le judiciaire mauricien devrait-il se garder de toute prétention avec l’Inde et s’interdire d’interpeller le Leader of the House sur la pertinence de ses lois et de ses décrets? C’est peut-être, avant que son mandat n’arrive à terme, que Gavin Glover, le ministre de la Justice, devrait convier le primus inter pares de la Justice à cet exercice. Pour le mieux-être de la démocratie autant que celui de la Justice.


1  Si tant est que la science juridique devrait s’enrichir d’un droit putatif où le justiciable n’est pas seulement jugé pour son méfait au regard de la loi, mais qu’il ait aussi valeur d’exemple pour une pratique du droit prétendument pédagogique. En somme, le justiciable servirait alors de prétexte pour que le juge ne se contente pas de sanctionner en sa faveur ou à son encontre, mais en fasse, en outre, un cas d’école selon ses penchants moraux, politiques, voire partisans.

2  Cela représente 215 détenus pour chaque 100 000 citoyens mauricien.

3  Il existe désormais un produit, le BUVIDAL, une solution injectable à libération prolongée (LP) permettant une injection soit sur une base hebdomadaire ou mensuelle.


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