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Un membre du personnel navigant cabine (PNC) envoyé en quarantaine suite à la dénonciation de son épouse : à l’ère où le buzz supplante aisément les considérations éthiques au sein des rédactions, l’histoire est reprise par de nombreux journaux. Que cache ce lynchage médiatique ? A qui sert l’enfumage ? En vérifiant cette information – qui est la base même du métier du journaliste – on s’aperçoit qu’il s’agit de l’exploitation de la détresse d’un homme coincé dans un couple qui bat de l’aile depuis un certain temps déjà.
« On en tient un ! » : Voilà donc l’histoire qui devait faire accroire que les PNC ne respecteraient pas les conditions de l’auto-isolement imposées par le ministère de la Santé. Toutefois, subodorant le coup monté compte tenu du caractère organisé de la reprise de l’information dans les divers médias, nous avons cherché à avoir le point de vue du PNC faisant l’objet de la dénonciation. Nous parvenons finalement à nous entretenir avec lui dans la soirée du 2 novembre.
L’homme, un quadragénaire, redoute l’entretien avec nous, mais décide de jouer franc-jeu. Le couple du PNC dénoncé était déjà engagé dans un processus de divorce. C’est la femme qui a initié une pétition de divorce et l’affaire devait être entendue en juillet dernier. Avec la pandémie, l’affaire a été renvoyée à février 2021. Les prolongations, toutefois, n’auront pas arrangé la situation. Les juges pourront constater jusqu’à quel point elle s’est, au contraire, détériorée.
En tant que père de deux jeunes enfants, il se dit contraint d’assumer certaines obligations les concernant. Mais, nous insistons sur la question principale : a-t-il enfreint les conditions du protocole du ministère de la Santé ? Il l’admet simplement. Puis s’explique : « Dans ma situation, quand je rentre au pays, il faut bien que je fasse quelques provisions. Sinon, je fais comment pour manger ? ». Effectivement, – et c’est la question à laquelle les responsables dans cette affaire ne veulent toujours pas être confrontés – comment fait-on pour s’alimenter durant sept jours quand on ne dispose d’aucune assistance ?
A ce stade de l’entretien, c’est un homme dévasté qui se livre à nous. « Je ne sais pas ce qui va m’arriver. Est-ce que je vais être sanctionné dans mon boulot ? Est-ce que ma femme a pensé à comment on va faire pour les enfants dans ce cas ? », se demande-t-il. N’étant aucunement engagé dans la course de l’actualité croustillante, nous ne publions pas notre information aussitôt.
Le témoignage est-il incriminant ? Certainement ! Mais, incriminant pour qui ?
Au plan personnel d’abord, cette histoire apparaît désormais comme une verrue à la face de ces quelques échotiers des médias trop empressés pour donner du grain à moudre à tous ceux qui sur Facebook ont un avis sur tout et qui ont déjà tranché dans le drame de ce couple et engagé le procès de tous les PNC d’Air Mauritius. Face aux témoignages d’un conjoint qui en incrimine un autre, les praticiens du droit qui ont du métier, et de même les journalistes qui ont de l’expérience et les policiers chevronnés, savent qu’il convient de prendre l’histoire avec davantage de circonspection. La dénonciation d’un conjoint par un autre pourrait équivaloir à une rupture du contrat de mariage. Car, le mariage est, par essence, un contrat qui engage les conjoints à divers devoirs, dont celui de se porter mutuellement assistance. Un avocat pourrait éventuellement en faire un motif de divorce. Pour faute.
En creusant davantage dans le sens de ces responsabilités, tant du côté de l’employeur – Air Mauritius – que celui des institutions – le ministère de la Santé et celui du Travail – nous réalisons très vite que le témoignage de ce PNC accable en réalité ceux qui, faute de l’avoir prévenu, ont bel et bien favorisé ce type de situation potentiellement dangereuse. Le sujet de la dénonciation est en réalité une victime. La personne que l’on a voulu accabler est celle qui montre le peu de cas dont ses collègues et lui font l’objet depuis de nombreux mois.
L’enquête que nous publions plus loin sur le sujet montre même que les autorités sanitaires et Air Mauritius n’ont toujours pas pu accorder leurs violons. Ainsi, en dépit des discours qui se veulent rassurants sur une prétendue gestion de la pandémie, les manquements et les faiblesses constatées mettent en lumière la manière dont les familles des PNC demeurent exposées aux risques d’une contamination virale.
Nous nous retrouvons ainsi dans une histoire ahurissante faite de la somme des couardises manégériales au sein d’Air Mauritius, de la veulerie de ceux qui profitent du fait que cette compagnie soit en administration, des innombrables lâchetés au sein des ministères et de l’impotence de ministres pourtant dotés des pleins pouvoirs pour contraindre les plus récalcitrants. Ceux qui ont voulu exploiter la misère d’un couple en détresse n’avaient peut-être pas idée que leurs odieuses machinations allaient leur revenir à la figure.
Entretemps, au sein d’Air Mauritius les langues se délient. Quelques employés, intrigués par le fait que la femme ait mis vingt jours à se tâter avant de passer à l’acte, ont discrètement approché celle-ci. Dans les milieux où les liens de parenté se conçoivent de manière assez étendue, on a vite fait de faire parler la femme et de s’en faire l’écho. Aussi, dans les ragots de couloir chez MK, il est maintenant question d’un intrigant, un cadre de la compagnie d’aviation, qui aurait convaincu l’épouse à la dénonciation en lui assurant que les conséquences se limiteraient à une suspension. Si tant est qu’il ait effectivement engagé des ressources si peu humaines, l’intrigant pourrait ajouter l’imbécilité à ses aptitudes à singer Averell Dalton !