Air Mauritius : ordre-baîllon à l’encontre de Yogita Baboo

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Temps de lecture : 8 minutes

Le silence réclamée à la présidente de l’AMCCA contraire aux dispositions constitutionnelles

L’initiative des Ressources Humaines condamne le conseil de direction de MK au ridicule

Yogita Baboo-Rama, une représentante syndicale qui a tout appris sur le tas et dont le dévouement à la cause de ses collègues force l’admiration de syndicalistes rompus à l’art de la négociation et des combats. A force de persévérance, la présidente de l’AMCCA a obtenu que l’ERT, le tribunal des relations industrielles, entende le litige opposant l’AMCCA et la direction d’Air Mauritius. L’audience de ce cas logé en 2021 a finalement débuté le 8 mai 2023. La loi prescrit pourtant que le tribunal doit se prononcer dans un délai de 90 jours à partir du moment où le cas est logé devant cette instance.

Au motif d’une enquête qu’elle aurait initié à la suite des déclarations de Yogita Baboo, la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA) – le syndicat du personnel navigant cabine (PNC) – la direction des ressources humaines a demandé à celle-ci de fournir des explications écrites sur l’exactitude de ses propos et lui a enjoint de ne pas faire mention du courrier qui lui a été adressé en ce sens. La démarche des responsables de la section des Cabin Crew Operations a des conséquences inattendues car elle fait passer les directeurs exécutifs pour des individus inaptes et incapables de discernement pour des considérations élémentaires.

Cette réclamation du silence serait, à première vue, non conforme à la Constitution de Maurice qui pose en priorité (dès son chapitre deuxième) la protection des libertés individuelles. Comme le faisait ressortir Rajen Narsinghen1 lors de l’émission de Top FM consacré à cette énième bourde chez Air Mauritius, l’article 12 de la Constitution garantit, en effet, la liberté d’expression, ainsi que de pouvoir recevoir et de partager des informations sans entrave aucune.

Dans le cas de Yogita Baboo, il ne s’agit pas seulement d’un droit, mais aussi d’un devoir. En effet, en sa qualité de présidente de l’AMCCA, elle use de son droit à l’expression pour la défense des intérêts de ses collègues. Son élection fonde la légitimité à cette fonction et lui réclamer le silence, au-delà de l’entrave à son droit constitutionnel, a des implications très graves pour elle.

Effets pervers

En effet, si la présidente de l’AMCCA consent à cette instruction au silence, non seulement Air Mauritius (MK) la baîllonne, mais la compagnie aérienne applique aussi, par extension, la muselière au syndicat des PNC. Les effets pervers ne s’arrêtent pas là : consentir au silence imposé équivaudrait à une forme de connivence entre la présidente du syndicat et la direction d’Air Mauritius. Une telle connivence pourrait alors ouvrir la voie à une demande de destitution de la part des membres du syndicat.

Les conséquences de ce courrier pourraient être désastreuses pour la direction d’Air Mauritius si Yogita Baboo décidait de recourir en justice. En effet, les protections garanties par la Constitution pour les droits individuels sont sous la seule tutelle du judiciaire. En effet, l’article 17 de la Constitution prescrit que quiconque serait victime – l’aurait été ou pourrait l’être – d’atteinte aux protections individuelles stipulées aux articles 3 à 16 peut recourir directement à la Cour Suprême. Cette perspective est redoutable car les juges sont habilités sous cet article à déterminer et ordonner sua sponte2, les réparations qu’ils jugeraient nécessaires et appropriés s’ils sont convaincus des torts commis ou envisagés au préjudice de la victime.

Le conseil de direction de MK devenu la risée du monde corporate

Au-delà, les auteurs de ce courrier inquisitoire ont placé le conseil de direction d’Air Mauritius dans une situation peu enviable dans le monde corporate mauricien. Alors qu’ils voulaient que la présidente se taise au sujet de leur enquête, qui ne se réfère à aucun cadre de procédure connue des relations industrielles, des copies ont très vite circulé au sein de la compagnie et de là aux rédactions. Ce qui a donné lieu à une nouvelle émission de Top FM qui avait organisé celle faisant l’objet de l’enquête, réelle ou supposée, menée par le management des Ressources humaines des Cabin Crew Operations.

L’initiative du management des RH de ce département s’avère contre-productive à plus d’un titre : la demande de confirmation de l’exactitude des 31 propos mentionnés dans le courrier équivaut à dire que le conseil de direction ne serait pas au fait si les propos tenus par la présidente seraient ou non fondés !

Si les propos seraient éventuellement infondés, les personnes un tant soit peu éduquées, les responsables de mouvements associatifs ou ceux des associations sportives, et d’autant plus les membres d’un conseil de direction, savent qu’il leur est possible de recourir à la mise au point envoyé au média concerné pour, soit préciser, ou rectifier, les propos considérés inexacts, erronés ou faux. Dans les grandes compagnies de la place, et pas seulement, on sait que c’est le B.A-BA du relationnel presse et même les juristes sont quelquefois sollicités dans le cadre de cette pratique. Mieux encore : la compagnie dispose de ses propres moyens de communication, notamment par le biais de son site web et de ses inscriptions sur les réseaux sociaux.

Ce sont autant de moyens qui permettent à une compagnie de communiquer auprès de ceux qui s’intéressent à ses activités. Un simple communiqué afin de rétablir les faits aurait suffi. Recourir à cet ensemble de dispositifs, c’était le cas auparavant chez Air Mauritius, mais visiblement les bonnes pratiques n’auront pas survécues permettant à la compagnie de recourir à des fonctionnements aussi basiques.

Un tel plantage sur des questions aussi élémentaires ne présage rien de bon pour la compagnie nationale d’aviation. Personne n’est dupe que les profits engrangés récemment par MK relèvent presque du pilotage automatique car, ils tiennent davantage d’un contexte de reprise du tourisme au plan global. Les propos de Yogita Baboo semblent davantage correspondre aux faits vérifiables que la propagande sur laquelle quelques nominés politiques voudraient se reposer.

Ken Arian, président de Airports Holdings Ltd, et Krešimir Kučko, DG d’Air Mauritius. Ils devraient normalement être au courant des faits les concernant et ceux concernant MK. Ils se sont pourtant bien gardés de démentir Yogita Baboo.

Pourquoi demander à la présidente de l’AMCCA d’établir des faits connus des membres du conseil de direction ? Ken Arian par exemple, le CEO du conglomérat qui a ingéré Air Mauritius à la suite de la mise en redressement de MK, devrait être tout à fait capable de démentir ou de confirmer les propos de Yogita Baboo quand celle-ci allègue qu’elle n’a pas pu jusqu’ici le rencontrer malgré ses multiples sollicitations. De même, il peut être établi par la direction d’Air Mauritius elle-même s’il est un fait que son nouveau CEO, le Croate Krešimir Kučko aurait effectivement pris ses vacances deux ou trois semaines après sa prise de fonction, soit au pic de la période de pointe au plan opérationnel pour Air Mauritius. Or, alors qu’Air Mauritius demande à la présidente de l’AMCCA d’établir l’exactitude de ses propos, on réalise que le conseil de direction d’Air Mauritius s’est bien gardé de s’engager dans la voie d’un rétablissement des faits.

Intimidation et pressions avant les audiences du Tribunal du Travail ?

Aussi, la plupart des propos tenus par Yogita Baboo sur les ondes de Top FM semblent correspondre aux éléments contenus dans son affidavit pour la procédure qui est actuellement examinée par l’Employment Relationship Tribunal (ERT) dans le cadre du litige opposant l’AMCCA à la direction d’Air Mauritius. Le syndicat des PNC a bel et bien été autorisé à déclarer litige à son employeur, la phase de médiation convenue dans la loi sur les relations industrielles étant déjà dépassée et n’ayant pas abouti à aucun résultat significatif puisque MK ne s’est pas montré coopérative.

A ce stade donc, la confidentialité requise dans le cadre de l’exercice de médiation n’est plus de mise. Les faits allégués par l’une ou l’autre partie sont désormais du domaine public, à moins que l’instance judiciaire ne décide d’un huis clos.

Par ailleurs, le cas logé en 2021 a été finalement entendu par ce tribunal le 8 mai 2023. Tactiques dilatoires ? Les observateurs des technicalités des lois du Travail ne peuvent pas omettre de considérer le fait que l’ERT n’a pu respecter ses délais impartis selon la législation qui la régit. En l’occurence : « The Tribunal shall hear and determine an appeal made under subsection (7) or (8) within 90 days of the date of lodging of the appeal ».

Tout semble indiquer que cette instance s’est retrouvée dans cette situation embarrassante, voire une entorse à la législation établie, en raison des indisponibilités invoquées par les représentants légaux d’Air Mauritius. Les membres de l’exécutif d’AMCCA crient au harcèlement et font remarquer que la lettre adressée à leur présidente lui est parvenue le 5 mai et qu’une réponse était exigée d’elle au 12 mai. Cela alors que l’affaire était entendue durant la même semaine !

Un procédé aux effets similaires au SLAPP

Or, cet ensemble de pratiques, qui pourraient faire sourciller bien des juges, orientent l’attention vers ces Strategic Lawsuits Against Public Participation, le SLAPP, ce procédé décrié depuis de nombreuses années par des confédérations syndicales à travers le monde. D’ailleurs, ces derniers font pression sur les législateurs des pays européens et sur la Commission européenne des Droits de l’Homme, ainsi que sur les Etats nationaux pour qu’ils légifèrent sur des mesures anti-SLAPP.

Grosso modo, le SLAPP est un acronyme qui désigne ces procédures judiciaires infondées visant à censurer, harceler et au final faire taire les personnes qui font ressortir les éléments de controverses dans lesquels certaines entités financièrement ou politiquement puissantes sont engagés. Ces abus de procédures sont apparus de manière plus criantes au décès de la journaliste d’investigation maltaise Daphné Caruana Galizia, assassinée dans une voiture piégée : elle faisait déjà l’objet d’une quarantaine d’actions en diffamation, au civil comme au pénal, et à sa mort certaines procédures ont été maintenues contre sa famille. En août et septembre 2020, Primož Cirman, Vesna Vuković et Tomaž Modic, trois journalistes du site d’information en ligne Necenzurirano en Slovénie faisaient chacun l’objet de 13 actions pénales en diffamation. L’Italienne Federica Angeli est un autre exemple : cette journaliste, qui a fait l’objet de menaces, est connue pour ses enquêtes approfondies sur la mafia, a dû faire face à plus de 120 poursuites.

« Ce problème ne concerne pas uniquement la presse. Ce sont plus généralement ceux ayant un rôle de vigilance et de défense des intérêts du public qui sont visés. Militants, ONG, universitaires, défenseurs des droits de l’homme : tous ceux qui s’expriment dans l’intérêt public et demandent des comptes aux puissants risquent de devenir la cible de SLAPP », affirmait la présidente de la Commission européenne des Droits de l’Homme, Dunja Mijatović, en octobre 2020 en recommandant l’adoption des législations anti-SLAPP.

Si les législateurs du monde entier traînent les pieds pour l’adoption des lois anti-SLAPP – beaucoup de ces corporations qui ont recours au SLAPP sont aussi des donateurs qui financent des campagnes électorales – certains corps professionnels passent outre ces connivences et édictent des règlements internes. Ainsi à Londres, la Solicitors Regulation Authority (SRA) a émis un “warning notice” aux Sollicitors, les juristes qui traitent directement avec les clients et ne plaident généralement pas devant les tribunaux. Ceux-ci sont susceptibles de faire face à des sanctions disciplinaires s’ils s’engagent dans des procédures de SLAPP. La SRA décrète que les juristes devraient se garder de s’engager « in abusive litigation aimed at silencing legitimate critics ».

Les conséquences de cette action entreprise à l’encontre de la présidente de l’AMCCA pourraient avoir des conséquences désastreuses au plan commercial pour Air Mauritius si la International Transport Federation (ITF) s’en mêle. Pour peu que cette importante confédération internationale serait convaincue que Yogita Baboo serait victime de harcèlement, un appel au boycott d’Air Mauritius sur les principaux marchés européens pourrait affecter la prochaine vague touristique de novembre 2023 – janvier 2024.

Tout ceci parce que quelques nominés mal inspirés ont voulu faire taire une syndicaliste avec qui ils n’ont pu convenir d’arrangements. Une exception à la règle en ces temps où tant éprouvent des difficultés à distinguer les compromis des compromissions.


1  Rajen Narsinghen est chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Maurice.

2  Sua sponte : de sa propre volonté. Se dit de l’ordre qu’un juge pourrait émettre sans que l’une ou l’autre partie à un litige ne l’ait spécifiquement requis.


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