La leçon de dignité

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On peut faire pire que Sooroojdev Phokeer. Oui, il y a pire que de répéter onze fois « Look at your face » à un individu souffrant de Vitiligo. Oui, il y a pire que de pousser l’outrecuidance jusqu’à prétendre à la plaisanterie et chercher à se justifier par le port incorrect du masque du député mauve.

Si les propos du Speaker à l’encontre du député Bhagwan ont révulsé, et choqué même ceux qui n’éprouvent aucune sympathie pour le secrétaire général du MMM, la réaction des représentants officiels du MSM aura été pire. Et pourtant, celle-ci est passée comme allant de soi. Il importe donc que nous puissions détricoter cette trame sur lequel notre personnel politique brode ce qui relève du lieu commun et, ce qui à défaut d’être respectable, fait néanmoins partie de l’acceptable.

Ce n’est pas la première fois que le Speaker abuse de sa position. C’en est au point où d’anciens parlementaires, comme Alain Laridon, Bashir Khodabux et Armoogum Parsuramen, ont initié des actions pour que les écarts de Sooroojdev Phokeer soient connus des instances internationales. Que réclament ces anciens parlementaires ? Ils ne réclament ni plus ni moins que l’instauration des conditions favorisant le débat contradictoire. En somme, ce qui fait la raison d’être de toute institution parlementaire.

Nos anciens parlementaires nous informent que nous avons atteint ce stade où la tradition parlementaire est à trépas alors que certains sont encore à ânonner cette litote selon laquelle nous aurions un parlement de style westminstérien.

Sans débat contradictoire, point de parlement. Or, l’Assemblée nationale n’est plus cette instance délibérative favorisant un processus législatif où les lois sont édictées dans la perspective du bien commun. C’est à peine si elle sert au gouvernement à rendre des comptes autant pour ses dépenses que pour les orientations politiques qui mobilisent nos ressources. Avec son cabinet, Pravind Jugnauth gouverne par décrets.

Le débat contradictoire au sein d’une assemblée délibérative

Ainsi, nos anciens parlementaires nous informent que nous avons atteint ce stade où la tradition parlementaire est à trépas alors que certains sont encore à ânonner cette litote selon laquelle nous aurions un parlement de style westminstérien. Cette prétention est loin d’être avérée. Car, même avec sa monarchie constitutionnelle, la Grande-Bretagne dispose d’une démocratie qui fonctionne parce que non-seulement elle assure les conditions nécessaires au débat contradictoire, mais le parlement est une institution qui veille à ce que le gouvernement rende des comptes aux représentants des sujets du souverain, comme il en rendrait compte à sa majesté elle-même. Or, nous sommes bien obligés de constater, qu’il s’agisse de ce gouvernement ou des précédents, l’exercice parlementaire à Maurice consiste essentiellement à dire le moins et surtout à ne rien divulguer qui pourrait mettre le gouvernement ou un de ses ministres dans l’embarras. 

Aussi, tant qu’à faire, à bas les illusions : nos dirigeants qui rêvent de singer les Singapouriens ne se sont jamais donné les moyens de s’instruire du modèle parlementaire initié par Lee Kwan Yu. A Maurice, les politiciens nous le présentent encore comme le dictateur décrit par les Occidentaux il y a trois décennies. C’est ce même personnel politique qui incite néanmoins la population à vouer un culte à Seewoosagur Ramgoolam, le despote favori de l’administration coloniale britannique, et à en faire de même avec Anerood Jugnauth, l’autocrate par excellence qui a su mieux que d’autres faire fonctionner en même temps la pompe à fric du secteur privé et les fictions identitaires ethno-castéistes. Et, c’est ce même personnel politique qui, pour couronner l’affaire, a fini par user du culte aux tribuns pour instaurer une monarchie décadente à la gloire de leurs avortons !

Mais, revenons à notre affaire. Celle où les porte-paroles du MSM se saisissent de cette vidéo extraite d’un point de presse de Wavel Ramkalawan. Que dit le président des Seychelles aux journalistes de son pays ? A ceux-ci qui l’interrogent dans le sillage de ce qui s’est produit à Maurice, il répond que les Seychellois disposent d’un parlement plus civilisé que celui de l’Assemblée nationale à Maurice. A bien voir, il s’agit d’une lapalissade. Même le Mauricien un tant soit peu clairvoyant parvient au même constat. Comme dirait l’Anglais, Ramkalawan « was Stating the Obvious » !

Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Mais, si le président seychellois ne commet aucune entorse à la vérité, certains auront néanmoins considéré qu’il se serait ingéré dans les affaires internes du pays. Une bourde diplomatique ? Foutaises ! Est-ce qu’un homme politique Mauricien se rendrait coupable d’ingérences dans les affaires de la Grande-Bretagne en considérant qu’à Maurice nous n’admettrons pas que le Premier ministre prive une cour de justice d’une affaire qu’elle est en train de considérer de même que la couronne britannique se permet de le faire par le biais d’un Order in Council ? Bien sûr que le parlementaire mauricien ou son président de la république peut le faire et devrait même s’élever au devoir de le faire. Mais a-t-on vu jusqu’ici le gesticulant Hurreeram s’engager dans ce type de discours, par exemple quand son leader prétend avoir « obtenu une grande victoire » sur la question des Chagos ? Est-ce que ce serait s’ingérer dans les affaires d’Israël que de condamner le traitement inhumain du gouvernement sioniste de la population palestinienne ? On l’a bien fait, et cela pendant des décennies. Même si le gouvernement actuel s’en prive depuis les acoquinements de son ex-ambassadeur auprès de la tribu des Saoud.

C’est dans la faille de cette prétendue ingérence que les porte-paroles du MSM ont cherché à s’engouffrer, pour noyer le débat dans la polémique nationaliste dont ils sont friands. En sont friands aussi cette majorité de Mauriciens qui peinent à distinguer leur chauvinisme partisan et le « patriotisme » dont se gargarisent nos ministres, et le Premier en particulier. Voilà le niveau auquel nous sommes rendus. Celui où la MBC accentue l’embarras en allant interroger Ramkalawan, dont on devine bien qu’il n’allait pas en rajouter une couche !

L’indignité incarnée

Nous sommes rendus au niveau où nous devons assister à un point de presse où Bobby Hurreeram, le porte-parole du MSM, pousse l’hystérie jusqu’à l’invective à l’encontre du président seychellois. Ce n’est pas la première fois qu’il se laisse aller à ces débordements et cet énergumène, puisqu’impuni jusqu’ici, s’y croit désormais autorisé. Et la presse continue de rendre compte de ses excès, sans aucunement les condamner. Et cette omission médiatique participe ainsi à la banalisation de cette violence verbale, qui va quelquefois même à l’invitation d’en découdre en venant aux mains.

Pourquoi est-il nécessaire d’en parler ? Pas seulement pour réduire ce personnage à sa plus juste mesure qui serait celle équivalant au personnage colérique de Joe Dalton. On le retrouve flanqué de Jagatpal, son collègue de la Santé qui, tel le benêt Averell, s’excite tout autant à la vue du député Mohamed et les deux font leur caca nerveux dès que le député rouge s’adonne au moindre persiflage.

Mais, la politique ce n’est pas de la BD, et l’on ne peut se complaire dans la rigolade même quand dans d’autres circonstances ces individus prêteraient à rire. Un peu d’anthropologie culturelle nous permet de comprendre le rôle pédagogique de certains personnages dans la mythologie comme aussi des contes pour enfants. Joe Dalton, c’est le cas typique du pauvre gars qui n’a pas appris à verbaliser ses sentiments et à prendre du recul par rapport aux frustrations qu’il pourrait ressentir. C’est l’adulte qui se comporte en demeuré, c’est celui qui est resté coincé à l’âge mental de l’expression agressive, croyant que c’est par la démonstration de sa furie qu’il peut obtenir que le monde se plie à ses désirs. Nous nous retrouvons ainsi avec Hurreeram que la moindre contrariété irrite et aussi avec Jagatpal qui se croit méritant pour avoir monopolisé l’écran et réduit les Drs Gaud, Joomye et Gajudhur au second plan dans sa série des « Niaiseries Dangereuses ».

Un peuple à qui l’on a continuellement nié sa dignité finit par se choisir des dirigeants tout aussi indignes. Avec pour conséquence, que la reproduction de cette indignité au plan de nos institutions engage un processus normatif.

Alors que l’égocentrisme des nationalistes mauriciens les incitent à considérer que le président des Seychelles se serait rétracté, nous avons, en revanche, beaucoup de raisons de penser que le pire s’est fort probablement produit. En effet, le président des Seychelles connaît Maurice pour y avoir résidé du temps de ses études pastorales auprès de Mgr. Trevor Hurdleston qui fait partie, avec l’archevêque Desmond Tutu, du clergé qui a contribué à faire basculer le régime d’apartheid en Afrique du Sud.

Ramkalawan dispose, lui aussi de cette ancestralité biharie qui permet de réaliser et de comprendre les excès, voire la tyrannie de ceux qui ne conçoivent le pouvoir que dans les abus de l’omnipotence et l’absence de repères arbitraires. Et Ramkalawan est aussi un homme qui a lui-même souffert des contraintes d’un régime, celui d’Albert René, où la contradiction n’était pas admise et pouvait même être réprimée.

Ramkalawan sait que le déficit de débat contradictoire est le fait de cette catégorie qui craint justement d’être contredit. C’est cette catégorie qui, tout en se gargarisant des termes propres à la diversité, ne peut la concevoir avec la multiplicité des différences. Ceux qui jettent un regard clinique sur les Mauriciens réalisent très vite qu’au-delà des brochures promotionnelles et du vernis du marketing hôtelier, il y a une démocratie qui est en état d’anorexie.

Aussi, quand le journaliste de la MBC lui demande d’expliquer ses propos, le président seychellois apporte cette fois aux Mauriciens sa part de charité à la tranche de vérité qu’il avait destiné aux siens. Face à la gaminerie évidente, pouvait-il ignorer l’attente de ces quelques petits narcissiques en mal de se refaire une image sérieusement écornée ? Et le voilà cette fois se montrant rassurant en tenant des propos sibyllins au journaliste de la MBC. Il n’y a que l’exploitation vulgaire des petites frappes du MSM que le président seychellois ne pouvait imaginer. 

Un enjeu de culture et de civilisation

Nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir l’incident clos. Il l’est sans doute, puisque le président seychellois n’a pas manqué de souligner la nature cordiale des relations entre les deux pays. Mais quand bien même qu’il serait clos, l’incident n’est pas vide d’enseignement. On ne peut le résumer à des pitreries de personnages de bande dessinée et omettre de considérer l’indignité qui nous afflige quand ces guignols prennent leurs camouflets.

Car, ces dirigeants sont bien là par le fait du peuple. Or, il convient d’expliquer le processus qui fait qu’un peuple à qui l’on a continuellement nié sa dignité finit par se choisir des dirigeants tout aussi indignes. Avec pour conséquence, que la reproduction de cette indignité au plan de nos institutions engage un processus normatif. Ainsi le citoyen qui considère que cette indignité serait constitutive de sa condition, se choisit des représentants qui s’y conforment. Et c’est ainsi que de manière de plus en plus ouverte, l’indignité est devenue la norme !

Et nous sommes ainsi renseignés sur la culture de Pravind Jugnauth quand il se tait et confie aux vedettes caricaturales de son cabinet le soin d’incarner la réaction aux propos du président des Seychelles. Ramkalawan ne s’y est pas trompé : quand il est question de dignité, il s’agit bien d’un enjeu de civilisation. Et quand les représentants du gouvernement mauricien sont incapables d’adopter une attitude digne face au constat qui leur est défavorable, ils ne font que confirmer que l’Assemblée nationale s’est bien éloignée des pratiques civilisées.  

Joël TOUSSAINT


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