​Laura M., épileptique, contrainte de signer une lettre de démission de son travail

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Temps de lecture : 6 minutes

 Transférée à la section des luminaires alors que la variation des fréquences lumineuses accroit sa vulnérabilité aux crises.

Espace Maison informe les officiers du Labour Office qu’elle recevra ses salaires de novembre le 10 décembre.

Laura M. est épileptique. Cette jeune mère célibataire en avait fait état au moment de son embauche en 2015 et la direction d’Espace Maison n’y avait trouvé aucun inconvénient. Mieux : la direction s’était arrangée pour que ses collègues soient formés afin de l’assister au cas où elle ferait une crise. Mais entretemps, les cadres de l’entreprise ont changé et les nouveaux responsables du magasin ne semblent pas avoir entretenu les mêmes dispositions bienveillantes à l’égard de la jeune femme. Celle-ci fait état de harcèlement constant jusqu’au moment où, poussée à ce qu’elle croit être une faute, elle se voit contrainte de signer une lettre de démission. L’affaire est désormais considérée par les officiers du Labour Office qui attendent Laura M. le 10 décembre afin de monter son dossier en vue d’un procès. Mais, il y aurait au-delà des questions relatives aux droits du travail, des éléments qui pointent vers des responsabilités pénales…

Contraint(e) de rédiger sa lettre de démission : c’est le type de récit que l’on entend quelquefois à la radio et auquel les animateurs ne donnent pas suite à partir du moment où des officiers du Labour Office affirment s’en charger. C’est le type de récit que l’on classe à l’ordre des « conflits industriels », comme s’il s’agissait seulement d’un terme à mettre à un contrat de travail pour incompatibilité entre un employé et son employeur. Affaire classée ?  Faux ! Forcer quelqu’un à rédiger une lettre de démission équivaut à un délit pénal. Et pas n’importe lequel. C’est une offense tellement grave qu’il n’est prévu aucune amende pour la sanctionner, mais seulement l’emprisonnement !
La section 322 du Code Pénal prévoit, en effet, une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans pour « (1) Quiconque aura extorqué par force, violence ou contrainte, la signature ou la remise d’un écrit, d’un acte, d’un titre, d’une pièce quelconque contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge ». C’est cette dimension pénale qui nous fait obligation de nous intéresser au récit de Laura M. Et ce n’est pas la seule dimension car, on réalise très vite que son récit pourrait aussi impliquer de graves atteintes à ses droits constitutionnels et à sa personne physique…
« C’est confidentiel. Je ne peux évoquer avec vous le dossier personnel de nos employés. C’est une question interne à l’entreprise », déclare Mme. R. Seeburrun, la responsable des ressources humaines du magasin Espace Maison. Sollicitée pour nous expliquer le cas de Laura M., la responsable RH décide de botter en touche. Elle ne réalise pas que si nous avons obtenu son portable, c’est qu’il y a des employés de son magasin qui ont voulu nous mettre dans la confidence.
La situation a commencé à se détériorer quand les nouveaux cadres du magasin ont assigné Laura M. à la section des luminaires en dépit de sa condition. En effet, les personnes épileptiques sont photosensibles. Ainsi, en raison de cette photosensibilité, les scintillements ou les clignotements des sources lumineuses à une certaine intensité, et suivant certains rythmes ou fréquences, font partie des déclencheurs de crises chez la personne épileptique. C’est ce que les médecins considèrent comme une forme d’ « épilepsie réflexe », c’est-à-dire que la crise est déclenchée par la présence de ce type de stimulus particulier.
La crise se produisit en effet. Ses collègues sont bien intervenus pour l’aider. Mais il semblerait que, pour les nouveaux responsables du magasin, une telle scène est du type à indisposer les clients. Depuis ce moment, Laura vit dans l’angoisse permanente du licenciement.
Elle finit par obtenir une lettre de son neurologue pour expliquer sa situation et le danger qu’il y a à l’exposer aux stimuli lumineux. Elle propose qu’on la renvoie à son ancienne section où elle n’avait eu qu’une seule crise en deux ans. Rien à faire. Et une nouvelle crise lui vaut cette fois la proposition d’être affectée à la cuisine. Embauchée comme commerciale, la voilà face à la perspective de la corvée de vaisselle.

Traitement inhumain?

Pour Laura M., c’est désormais le stress constant. Elle guette avec angoisse les passages de la responsable des ressources humaines du magasin et du Branch Manager qui régulièrement lui demandent si elle va faire une crise. « Il fallait que je m’accroche. Je vivais dans la hantise de faire une crise. J’avais besoin de mon emploi pour mon fils et aussi pour mes parents, les deux sont souffrants », raconte-t-elle.
Au niveau syndical, ce type de traitement est considéré soit sous l’angle du harcèlement ou celui de la discrimination. Mais, un juriste pourrait plutôt considérer qu’il s’agit, sinon de torture, d’un cas de traitement inhumain. Tout citoyen est protégé de ce type d’abus par la section 7(1) de la Constitution et l’avocat de Laura M. peut, en pareil cas, solliciter directement la Cour Suprême sans que cela ne soit préjudiciable à toute autre action portée devant d’autres instances.
Puis vient ce congé qu’elle avait sollicité pour un week-end. Refusé ; elle n’obtient qu’un jour. Cette fois, c’en est trop ; elle décide néanmoins de s’absenter. Dans le jargon des employés mauriciens, c’est ce que l’on désigne comme une « Urgent Local », soit un congé que l’on est contraint de prendre en urgence, généralement en raison d’un imprévu. Au téléphone, elle invoque le décès d’un proche. A son retour, elle est convoquée par la RH et le responsable du magasin et là, elle leur avoue qu’il n’y avait pas de décès.
C’est le début des malheurs pour Laura M. La responsable RH d’Espace Maison, Mme. R. Seeburrun, ainsi que le manager du magasin lui font valoir que son geste relève de l’inconduite (misconduct) et lui demandent de signer sa lettre de démission. Elle demande un jour de réflexion, mais rien n’y fait. « La dame m’a dit que je n’obtiendrais rien si je passais en conseil disciplinaire, et qu’elle a toujours remporté ses cas. Ils m’ont demandé de faire ma lettre sur le champ devant eux et de mettre ma date de démission au 30 novembre », affirme Laura M.
A ce stade, Laura M. est complètement démunie. Elle ne sait pas qu’elle a des droits. Elle s’épanche sur Facebook, fait attention à ne pas mentionner son entreprise de peur de se retrouver avec d’autres sanctions. Ses amis l’incitent à trouver assistance auprès du Labour Office, qui convoque les deux parties mercredi.

Valse hésitation au Labour Office

A l’issue de l’entretien, Laura M. n’a pas du tout le sentiment d’avoir été assistée par les officiers du Labour Office : Espace Maison s’était fait représenter par la responsable RH du magasin et le RH du groupe UBP. Ceux-ci ont réclamé le retour des uniformes de travail et informent que Laura obtiendra son salaire le 10 décembre.
C’est à partir de cette étape qu’Indocile s’enquiert du sort de Laura M. auprès des officiers qui ont auditionné les parties. Ainsi, l’officier Bhageerutty commence par nous expliquer que les deux parties ont convenu d’un arrangement, mais il ne parvient pas à nous expliquer si celui-ci est conforme à la réglementation du travail. Notre question est axée plus particulièrement à la conformité de la décision de payer les salaires de novembre le 10 décembre. La réglementation mauricienne prévoit le paiement de la rémunération au plus tard au dernier jour ouvré du mois en cours.
M. Bhageerutty passe la patate chaude à sa supérieure, Mme. Coopen, qui nous donne de multiples explications mais ne répond toujours pas à la question de la conformité de la proposition de la rémunération versée au-delà du délai réglementaire. « La responsable RH nous a dit qu’elle ne serait pas à Maurice et ce n’est qu’à son retour qu’elle pourrait effectuer le paiement », nous explique-t-elle.
Etrange ; le service de comptabilité des entreprises sont tenus de prendre leurs dispositions et le déplacement ou autres causes d’indisponibilité des cadres et des dirigeants n’est aucunement une raison valable pour différer le paiement des salaires.
L’embarras causé par notre questionnement tend à confirmer le sentiment de Laura M. à l’effet qu’elle n’a pas bénéficié de l’assistance des officiers du Labour Office. Ces derniers auraient ainsi cautionné que le versement des émoluments soit assujetti du retour des uniformes. Au terme de notre conversation, Mme. Coopen se veut rassurante : Laura M. est attendue à nouveau le 10 décembre et son service pourra alors recueillir sa déposition pour constituer un dossier en vue d’un procès en cour industrielle.
Car, ce qu’il faut comprendre, quand bien même qu’elle aurait donné une fausse raison pour justifier son congé, Laura M. est toujours dans son droit. En effet, un employé qui se serait absenté en dehors des congés préalablement agrées n’est pas en faute. En fait, la section 36 (5) de la Employment Relations Act prévoit une situation extrême d’absence non-justifiée pour une première fois et pose même les conditions auxquelles l’employeur peut recourir pour remédier à la situation et éventuellement en faire un critère de renvoi.
Pour faire court, pour obtenir le renvoi de la personne qui se serait absenté au-delà de deux jours consécutifs et qui n’en aurait pas donné de raison valable, il faut que l’employeur procède à une notification dans les conditions conformes à ce qui est prescrit dans la loi. Si à la réception de la notification écrite, la personne ne reprend pas le travail dans les temps impartis par l’employeur, alors là seulement la responsabilité est imputable à l’employé. Dans le cas de Laura M., il n’y a qu’un jour d’absence et, rien dans la législation ne contraint un employé d’avancer une quelconque raison en-deca de ces deux jours consécutifs. Par conséquent, ses raisons relèvent de la sphère privée.
Mais il n’y a pas que cette prescription qui nous éveille aux mérites du cas de Laura M. En effet, deux autres sections de la législation régissant les relations industrielles pointent vers la probabilité que la cour industrielle peut trancher en sa faveur. La section 36, relative aux conditions pour mettre un terme aux contrats d’embauche, stipule notamment que :
(3) Where a worker is ill-treated by his employer, he may claim that the agreement has been terminated by his employer.
(4) Where an employer fails to pay the remuneration due under the agreement to a worker, the latter may claim that the agreement has been terminated by his employer.
« C’est confidentiel », affirmait Mme. Seeburrun.
Sous le faisceau des multiples éclairages juridiques, nous estimons, au contraire, que le cas de Laura M. relève plutôt de l’intérêt public. D’où l’obligation qui nous est faite de le publier. Dont acte.

Joël Toussaint


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