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Our liberty depends on the freedom of the press, and that cannot be limited without being lost.
Thomas Jefferson, président américain (1743-1820)
Pour la seconde fois cette année, l’Independent Broadcasting Authority (IBA) a suspendu la licence de la radio Top-FM, cette fois-ci pour trois jours. En avril 2020, la suspension avait duré deux jours. Il n’est pas de notre intention de débattre des raisons de la nouvelle suspension car, dans la mesure où elle s’estime lésée dans ses droits, cette radio a déjà entrepris de contester en Cour la décision de l’IBA. Toutefois, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le moment choisi par le régulateur pour appliquer cette sanction.
En effet, la raison officielle avancée par l’IBA est l’interview de Jack Bizlall diffusée le 24 février 2020 dans laquelle il avait critiqué l’ingérence alléguée de l’Inde dans les affaires intérieures de Maurice. Si cette raison était valable, pourquoi l’IBA a-t-elle attendu si longtemps avant de mettre la sanction à exécution ? Personne n’est dupe : la suspension intervient au moment où la radio en question accorde, avec l’intervention quotidienne d’une équipe d’avocats sur ses antennes, une couverture intensive à l’enquête judiciaire sur la mort suspecte d’un homme, un activiste du parti au pouvoir engagé dans des combines au niveau de l’attribution des contrats de marché public.
La suspension à répétition d’une radio, dont les reportages dérangent de toute évidence le gouvernement en place, soulève la question de la liberté d’expression, l’un des piliers de la démocratie libérale. Dans toutes les démocraties, la liberté d’expression des médias (presse écrite et presse parlée) s’exerce dans un cadre légal qui empêche la diffusion de fausses nouvelles ou la publication de fausses allégations contre une personne. La loi sur la diffamation est suffisamment claire pour sanctionner les écarts ou les maladresses des journalistes par rapport aux normes professionnelles (l’objectivité et l’honnêteté dans les reportages, la vérification des faits avant de les publier, autoriser les divers points de vue dans un débat, donner un droit de réponse à la personne qui se sent injustement attaquée par un commentaire négatif, etc.). D’ailleurs, nos Cours de justice ont statué sur des procès de diffamation dans le passé et ont même été sollicitées exceptionnellement en vue d’émettre une injonction contre la publication d’informations jugées embarrassantes pour certaines parties.
« Speaking truth to power »
Si l’interview de Bizlall était jugée diffamatoire à l’égard du Premier ministre indien, on se serait attendu à une plainte déposée auprès de l’IBA par les autorités indiennes, représentées chez nous par une ambassade. En l’absence de renseignements à ce sujet, on ne peut que conclure que les autorités locales ont pris sur elles-mêmes pour agir dans ce cas. La question fondamentale qui se pose est de savoir si un citoyen n’a pas le droit de faire un commentaire sur la politique régionale ou internationale d’une puissance quelconque. Nous savons qu’il y a un consensus implicite parmi les principaux partis politiques du pays qui veut qu’ils s’abstiennent de faire des commentaires défavorables sur des pays dits amis. Mais cela ne devrait pas faire obligation à un citoyen de s’interdire une opinion sur la politique d’un pays étranger, surtout si elle serait fondée sur la bonne foi, des informations fiables ou une analyse des faits.
Si tout commentaire sur l’Inde était interdit, demain on pourrait interdire tout commentaire sur la France, la Grande Bretagne, la Chine ou les Etats-Unis au prétexte qu’ils sont des pays amis. Pour des raisons évidentes, les partis politiques et les institutions sont contraintes à un devoir de réserve dans leurs discours. Cependant, la liberté d’expression des citoyens ne saurait être limitée tant qu’elle est exercée de façon responsable et digne. Interdire tout commentaire sur un pays étranger relèverait d’un manichéisme inacceptable
Au Canada et en Grande Bretagne, cette semaine, des citoyens de la diaspora indienne ont fait des manifestations en solidarité avec les fermiers indiens qui font grève. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a même exprimé ses préoccupations en public. Comme il avait exprimé sa préoccupation de l’état des droits de l’homme à Hong-Kong auparavant. Cela n’a nullement remis en question les relations entre le Canada et ces pays.
Pour revenir à Top-FM, il convient de la juger sur ses actes. Cette radio appartient à un type de média véritablement indépendant qui n’a pas peur de dire la vérité. « Speaking truth to power » est la devise de la presse indépendante, laquelle a eu des démêlés avec tous les gouvernements. On se rappelle qu’il y a eu dans le passé récent un contentieux légal entre le groupe de presse La Sentinelle et l’Etat en ce qui concerne la publicité gouvernementale payante dont les titres du groupe furent privés. Les institutions de l’Etat boycottaient le groupe tant pour les annonces publicitaires que pour les abonnements en raison de ses commentaires sur la politique officielle. Ce type de média indépendant a peu de titres dans le paysage journalistique malgré le pluralisme des médias (journaux écrits, radio-télévision, radios privées, sites d’information en ligne).
Il y a deux autres types de média. L’un est le média complaisant qui, pour des raisons économiques (obtenir la publicité gouvernementale comme source de revenu), se contente de caresser le pouvoir dans le sens du poil sous le vernis de l’objectivité. Il ne prend pas position pour ou contre les partis politiques, mais se livre à un exercice d’équilibriste entre les camps opposés pour se donner un air d’indépendance.
L’autre type est le média partisan financé par la redevance publique (dans le cas de la MBC), la publicité gouvernementale ou des fonds de partis. Les entités dans cette catégorie rivalisent d’obséquiosité envers le pouvoir. Le média partisan a peu de crédibilité mais il demeure un élément du paysage journalistique en vertu de la liberté d’expression.
Au nom du pluralisme démocratique incarnée par la diversité dans le monde audio-visuel et la multitude de titres de presse, il est essentiel que toutes les entités d’information puissent opérer dans le respect de la loi tout en donnant libre cours aux sensibilités philosophiques ou professionnelles qui les animent.