Océan Indien : Face aux convoitises, la mise en œuvre de la Résolution 2832

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La base militaire chinoise de Djibouti peut accueillir jusqu’à 26 000 soldats

Dans un courrier adressé à António Guterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le Mouvement Réunionnais pour la Paix (MRPaix) invite à la mise en œuvre de la résolution 2832 (XXVI) faisant de l’océan Indien une « zone de paix » et une « zone dénucléarisée » afin de concrétiser son adoption, depuis le 16 décembre 1971, par l’Assemblée générale des Nations Unies. Julie Pontalba, la présidente, ainsi que le Pr. André Oraison, conseiller juridique de l’organisation, attribuent « le fiasco » au fait que la résolution n’a que valeur de recommandation et qu’elle est dépourvue de dispositions contraignantes.

Près d’un demi-siècle après l’adoption de la résolution 2832, de nombreux spécialistes de la géopolitique s’accordent à dresser un constat d’échec du projet onusien visant à ériger l’océan Indien en zone de paix. LE MRPaix considère la multiplication des bases militaires de plus en plus sophistiquées comme autant de « menaces directes pour l’ensemble des États riverains de l’océan Indien et de leurs populations, en cas de conflits armés ». Ils évoquent la redoutable base militaire américaine de Diego Garcia, l’île principale de l’archipel des Chagos, ainsi que la base militaire chinoise inaugurée le 1er août 2017 à Djibouti, à proximité du golfe d’Aden et du détroit stratégique de Bab el-Mandeb.

« En 2020, cette région du monde demeure une « zone conflictuelle » et, plus encore, une « zone de convoitises » pour les grandes puissances extra régionales qui sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies (la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie) comme pour certaines grandes puissances riveraines (notamment l’Arabie saoudite, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran et le Pakistan) et il en est ainsi pour de multiples raisons économiques, politiques, religieuses ou territoriales », note Julie Pontalba, la présidente de MRPaix.

Julie Pontalba, la présidente de MRPaix et Antònio Guterres, le secrétaire général de l’ONU

Pour ce mouvement, la résolution 2832 (XXVI) adoptée le 16 décembre 1971 est restée lettre morte, « tout comme les 37 autres résolutions ayant le même objet et qui ont été votées par l’organe plénier de l’Organisation mondiale entre 1972 et 2019 ». Les 38 résolutions votées à ce jour par l’Assemblée générale n’ont servi qu’à proposer aux États membres des Nations Unies un comportement donné. Concrètement et c’est là que le bât blesse, « les pays membres de l’Organisation mondiale ne commettent aucune illicéité et n’engagent pas leur responsabilité internationale en ne les respectant pas », notent les auteurs de la lettre.

Le MRPaix propose, pour corriger cette situation, de procéder par étapes. « Sachant que la plus grande menace qui pèse à l’heure actuelle sur les États riverains de l’océan Indien est, sans conteste, la prolifération des armes de destruction massive et tout particulièrement celle des armes nucléaires, le MRPaix souhaite ardemment qu’un traité international ouvert à tous les États riverains de l’océan Indien et à ceux de « l’arrière-pays » soit signé dans les meilleurs délais avec l’appui officiel, à titre de garantie, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies », avance l’organisation.

Désarmement nucléaire: un traité dans les meilleurs délais

Les auteurs de la lettre disent partager le jugement critique du SG de l’ONU à l’effet que « les progrès historiques en matière de désarmement nucléaire sont menacés, car le réseau d’instruments et d’accords visant à réduire le danger des armes nucléaires et à les éliminer s’effondre » et que « cette tendance alarmante doit être inversée »1. Pour que « cette tendance alarmante » soit « inversée », il convient d’abord de rappeler que le « désarmement général et complet » – un des objectifs majeurs des Nations Unies depuis leur naissance en 1945 – peut notamment être obtenu par dans les diverses parties du monde, estiment-ils.

Des progrès non négligeables ont déjà été réalisés dans le domaine spécifique de la création de « zones de paix » et plus précisément par la création de « zones dénucléarisées », par la voie conventionnelle, au cours de la seconde moitié du XXe siècle et tout particulièrement dans l’Hémisphère Sud dont relève la région de l’océan Indien.

A titre d’exemple, l’Antarctique est démilitarisé en vertu du traité de Washington2 et son désarmement est clairement indiqué dans son article 1er qui stipule : « Seules les activités pacifiques sont autorisées dans l’Antarctique. Sont interdites, entre autres, toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres ainsi que les essais d’armes de toutes sortes ».

Les signataires évoquent aussi le cas de l’Amérique latine est la deuxième « zone de paix » de l’Hémisphère Sud. Contrairement à l’Antarctique, toutefois, qui fait l’objet d’une démilitarisation totale, la « zone de paix » créée dans le sous-continent américain est considérée partielle puisqu’elle n’est qu’une « zone dénucléarisée »3. Le traité de Tlatelolco est lui-même complété par deux protocoles additionnels concernant les territoires relevant de quatre puissances extérieures à l’Amérique latine – les États-Unis, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni – et les garanties accordées par les cinq puissances nucléaires officielles et membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies qui s’engagent à ne pas utiliser des armes nucléaires dans la zone concernée.

Le Pacifique Sud est aussi devenu une « zone dénucléarisée » par le biais du traité de Rarotonga signé le 6 août 1985 par une douzaine d’États, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Là encore, le traité est complété par trois protocoles additionnels (adoptés le 8 août 1986). Ces protocoles concernent les territoires du Pacifique Sud relevant de trois puissances extérieures à cette région – les États-Unis, la France et le Royaume-Uni – et les garanties accordées par les cinq puissances nucléaires officielles sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

La base militaire de Diego Garcia dans l’archipel des Chagos

Le MRPaix mentionnent finalement le traité sur la « zone exempte d’armes nucléaires en Afrique » ou traité de Pelindaba4 (une petite localité d’Afrique du Sud qui abritait jadis un centre de recherche nucléaire, aujourd’hui démantelé). Signé au Caire le 11 avril 1996, ce traité prévoit la création d’une « zone dénucléarisée5 » comprenant le continent africain proprement dit et toutes les îles avoisinantes que l’Union africaine « considère comme faisant partie de l’Afrique ». Trois protocoles au traité de Pelindaba concernent par ailleurs les territoires de l’Afrique relevant de deux puissances extérieures à ce continent – l’Espagne et la France – et, une nouvelle fois, les garanties accordées par les cinq grandes puissances nucléaires officielles.

Zone dénucléarisée: procéder par étapes

Ainsi, après l’Antarctique en 1959, l’Amérique latine en 1967 et le Pacifique Sud en 1985, c’est l’Afrique toute entière qui devient en 1996 le quatrième secteur de l’Hémisphère Sud à être exempt d’armes nucléaires, « pourquoi ne pourrait-on pas parvenir au même résultat positif dans l’océan Indien ? Une malédiction immarcescible pèserait-elle sur l’espace indianocéanique pour qu’il n’en soit pas aujourd’hui ainsi ? », demandent les signataires de MRPaix. Après les succès recensés dans la plupart des secteurs de l’Hémisphère Sud, en usant d’un instrument conventionnel multilatéral établi sur les modèles des traités de Pelindaba, de Rarotonga ou de Tlatelolco, le MRPaix est animé de la conviction que l’océan Indien, cette étendue maritime de 75 millions de kilomètres carrés, a, elle aussi, vocation à devenir une « zone dénucléarisée ».

Pour le MRPaix, l’avenir de l’océan Indien n’est pas un destin aveugle : par la voie d’un engagement international multilatéral approprié (et toujours avec la garantie des cinq membres permanents du Conseil de sécurité), ils souhaitent que l’océan Indien ou océan Afro-asiatique devienne – après l’Antarctique, l’Amérique latine, le Pacifique Sud et l’Afrique – « le dernier secteur de l’Hémisphère Sud à être érigé au rang de « zone dénucléarisée », concrète et pérenne ».

1Propos du SG de l’ONU le 9 août à l’occasion du 75e anniversaire du bombardement atomique de Nagasaki.

2Traité signé le 1er décembre 1959 par le « club des Douze ». Le continent Antarctique, soumis à un double régime de démilitarisation et de dénucléarisation, est ainsi devenu, dès 1961, la première « zone de paix » effective et intégrale de l’Hémisphère Sud et même de la Planète toute entière.

3Dans le traité signé le 14 février 1967 à Tlatelolco, les Parties s’engagent à ne pas tolérer la présence d’armes nucléaires sur leurs territoires respectifs et acceptent, par suite, d’être soumis au contrôle de l’Organisme pour la prohibition des armes nucléaires en Amérique latine (OPANAL).

4Du nom d’une petite localité d’Afrique du Sud qui abritait jadis un centre de recherche nucléaire, aujourd’hui démantelé.

5Comme si cela était possible dans le cas de bases militaires, cet accord reconnaît aux États Parties le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins exclusivement pacifiques sous le contrôle de l’AIEA. L’accord a été signé par l’État mauricien avec la recommandation de Paul Bérenger soudain devenu « expert en armement » du gouvernement d’Anerood Jugnauth en prémice de leur arrangements électoraux créant une « zone de paix » entre le MSM et le MMM.


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