Financement politique : silence mafieux sur le racket !

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Au-delà des persiflages au Parlement, qui enquête sur le siphonage des fonds des actionnaires? Qui enquête sur les détournements de fonds, des enrichissements sans cause, des abus et recels des biens sociaux?

L’annonce du Premier ministre Pravind Jugnauth à l’Assemblée nationale à l’effet qu’il aurait trouvé une formule pour le financement politique et qu’il entendait en faire un projet de loi est, a priori, de bonne augure pour la démocratie locale. Omettre, cependant, de considérer que Pravind Jugnauth fonctionne d’abord et avant tout comme un chef de parti plutôt qu’en Premier ministre consisterait à induire nos lecteurs en erreur sur cette question, comme sur de nombreuses autres. En réalité, le gouvernement entend corriger une situation tout en gardant le silence sur le travers qui rend cette réforme nécessaire. Par là-même, il nous montre une volonté de maintenir l’omerta : le silence mafieux sur un financement de nature mafieuse !

Financement politique ou financement de campagnes électorales ? On aurait pu dire que personne n’est dupe. Mais, en réalité, Pravind Jugnauth est parvenu à duper tout son monde. Celui que le leader du MMM qualifiait de « Ti-Crétin » est parvenu à démontrer qu’il y a toujours un plus crétin qu’un autre. Et, comme le faisait ressortir Schopenhauer : « Chacun ne voit dans l’autre que sa part de lui-même ».

La duperie consistait à ne faire aucune distinction entre les deux finalités du financement perçu par ces organisations qui sont de véritables entreprises électorales qui siphonent des dizaines voire des centaines de millions prélevés d’une part, auprès des entreprises locales et, d’autre part, de sources opaques. Pravind Jugnauth patauge allègrement dans la mare de la surenchère partisane. Ainsi, loin de s’embarrasser des remarques au sujet du Sun Trust, il se montre volontiers flagorneur en faisant allusion aux devises étrangères retrouvées dans un coffre-fort au domicile de son adversaire rouge et au fait que les responsables du MMM aient laissé leur parti sans véritable siège social.

L’enrichissement sans cause

Pour l’audience populaire qui se limite au registre de la partisannerie, l’argument de Jugnauth fait mouche. Pour un public plus averti, ce serait plutôt l’abruti qui ne réalise même pas qu’il a, en réalité, marqué contre son camp. Explication : quand Jugnauth ou le MSM obtient de l’argent pour financer une campagne électorale, qu’est-il censé faire du reliquat ? Devrait-il le restituer ou serait-il autorisé à employer ce reliquat à des fins commerciales ? S’il était convenu que les différentes contributions devaient servir à des placements, est-ce que les corporations n’auraient pas dû négocier des prises de participation au projet d’investissement plutôt ?

Les juristes auront rapidement réalisé que la réponse de Pravind Jugnauth invite à contempler une action de in rem verso, soit l’enrichissement sans cause. Y a-t-il eu et y a-t-il encore de l’enrichissement au dépens des compagnies et autres entités dont les actionnaires – généralement non-consultés – s’en trouveraient lésés ? Sommes-nous en devoir de considérer qu’il y a des éléments constitutifs, prima facie, de détournements de fonds ?

Quand la forme ramène au fond…

Outre ces éléments de fond, le projet de loi annoncé par Pravind Jugnauth suscite des questionnements sur la forme. Ainsi, dit-il, le gouvernement aurait « trouvé la formule » pour le financement des partis. Voilà un trésor découvert ! Et, comme pour les trésors, si l’on s’en tient au vocabulaire juridique, celui qui en trouve un en devient « l’inventeur ». Il nous faut bien admettre que le génie ne fait pas défaut aux « inventeurs » au sein des partis politiques. Souvenons-nous, à titre d’exemple, de ces razzias opérés chez Air Mauritius déjà sous Ramgoolam-père. En effet, même s’il aura porté le travers à des niveaux insoupconnés jusqu’ici, Anerood Jugnauth n’a certainement pas inventé la roue dans les divers registres de la corruption.

Enrichissement sans cause: Y a-t-il eu et y a-t-il encore de l’enrichissement au dépens des compagnies et autres entités dont les actionnaires – généralement non-consultés – s’en trouveraient lésés?

La fameuse « caisse noire » de la compagnie nationale d’aviation était bien un dispositif initialement élaboré pour le financement d’Advance, l’organe de presse du parti Travailliste et, par la suite, pour allouer du budget de campagne aux principaux partis. L’action de Jack Bizlall, qui avait levé le lièvre, ne pouvait aboutir puisque le crime dont il entendait accuser les directeurs de MK, en l’occurence l’abus de biens sociaux, n’était pas encore qualifié dans le droit mauricien.

C’est chose faite désormais et, quel que soit son âge aujourd’hui, le remuant syndicaliste peut désormais s’en enorgueillir. Aussi, la formule de « Jugnauth-l’inventeur » de ce nouveau trésor légal qui facilite le transfert des caisses des entreprises à ceux des partis devra s’y conformer. Mais qu’en sera-t-il des razzias opérés avant, voire même après, la promulgation de la loi relative aux abus de biens sociaux ? La nouvelle propostion de loi a-t-elle déjà fait provision pour les dispositions d’amnistie pour tous ceux tombant sous cette catégorie ? Car, il y a encore des questions irrésolues en cette matière. Comme les sommes perçues auprès de Dawood Rawat et de sa BAI démantelée !

Et pourtant, Pravind Jugnauth s’est autorisé un lâche persiflage en qualifiant de Ponzi les formules de financement élaborées par la BAI pour ses plans d’assurance. Lâche, parce que le Ponzi qu’il évoque, sous le couvert de l’immunité parlementaire, n’a toujours pas été démontrée depuis toutes ces années et, il est raisonnable de se demander s’il le serait jamais. Or, en l’absence d’une démonstration satisfaisante qu’il ne puisse s’agir d’élucubrations de politiciens démagogues, voire de journalistes parfaitement malhonnêtes, le doute est non seulement permis mais recommandé.

Daylight Robbery ?

Ne soyons pas dupes. Même le journaliste de Le Mauricien qui a fait ses choux gras en donnant des noms génériques farfelus à de nombreuses enquêtes policières – qualifiées « Opérations » – n’a pas été en mesure de démontrer quelque Ponzi, si tant est qu’il en comprenne même le fonctionnement. En revanche, alors qu’il titrait qutidiennement « Opération Daylight Robbery », l’individu demeure incapable de subodorer le vol en plein jour commis au détriment des actionnaires de nombreuses corporations.

De quoi est-il question exactement ? Les actionnaires des entreprises ont-ils jamais donné mandat à leurs directeurs, dans le cadre convenue de quelque assemblée générale, de financer tel ou tel parti ? En l’absence de telles résolutions, le financement politique auquel ces entreprises contribuent serait teinté d’irrégularités. Ce que cela signifie, c’est qu’à chaque fois que ces entreprises publient ces financements politiques dans leurs comptes annuels, en l’absence de résolution en ce sens, leurs directeurs seraient en train d’admettre leur implication dans d’éventuels détournements de fonds, voire des abus et recel de biens sociaux ! Daylight Robbery ?

Quid du Racket ?

On aurait pu croire que ce véritable siphonage des fonds provenant des actifs des compagnies pour alimenter de prétendues caisses de campagne se fait hors de tout cadre légal. Ce n’est pas vrai. Du fait même que ces comptes aient été audités avant d’être présentés aux actionnaires autant qu’aux régulateurs pose un sérieux problème de collusion. C’est-à-dire que cette majorité, réelle ou virtuelle, qui aurait voté l’adoption des comptes, aurait participé à cette mystification et, le plus souvent sans être conscient des tenants et des aboutissants au plan pénal. Et là encore, on peut retrouver la griffe d’une agence de communication qui aura fait dire à des directeurs d’entreprise qu’ils étaient à « contribuer à la démocratie » !

Mieux encore : nombreuses sont les compagnies qui sont inscrites en bourse et qui, grâce à leurs comptes audités par les grands cabinets comptables, affichent une légitimité parfaite. Et la Stock Exchange Comission (SEC) n’y voit que du feu. La Financial Services Commission (FSC) est frappée de cécité. Sauf que personne ne semble réaliser que le propre de la mafia est de pouvoir compter sur ces cécités qui arrangent bien leurs affaires, autant que ceux des partis qui nomment les personnes-clés à la tête de ces institutions qui deviennent aveugles ou acteurs aux dérives multiples du système.

En réalité, quelles que soient les intentionalités (le mens rea au plan juridique), la démocratie aura eu bon dos jusqu’ici. Car, la fameuse « contribution à la démocratie » aura certainement servi à nier à d’autres formations l’accès à un financement proportionnel ou équivalent. En somme, cette prétendue « contribution à la démocratie » aura abouti à une véritable perversion de celle-ci. Et ceci au nez et à la barbe de la commission chargée de la supervision des élections. Qui entraîne à sa suite ces observateurs de l’ONU, de l’Union Africaine et toute la floppée d’organismes internationaux qui affirment à chaque fois que le scrutin s’est déroulé conformément aux règles régissant toute démocratie.

Alors que l’exercice démocratique est sous la supervion de la commission électorale, on ne pouvait mieux cocufier cette fameuse démocratie. Et, bien entendu, puisque personne au sein de cette instance n’aura rendu son tablier, personne n’aura un tant soit peu perçu que c’etait outrageant et que l’honneur de chacun de ces superviseurs en sortait entaché. Tout cela est tellement net et impeccable que cela a fini par donner la vague de contestations des résultats dans certaines circonscriptions. Que la Cour suprême n’a pas fini d’examiner alors que nous approchons la fin de mandat de ce gouvernement dont la légitimité aura été contesté du début à la fin. Pour démontrer la célérité de la justice, on ne pouvait mieux faire.

Et maintenant que le gouvernement affirme son intention de réguler le financement des formations politiques, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Est-ce que cela signifie que les élus vont déterminer seuls la manière dont ils vont puiser dans le budget des entreprises ? A ce stade, aucune mention de quelque consultation avec ce secteur dit privé, qui est surtout privé de tout moyen de s’exprimer sur le sujet. L’omerta a ses règles et elles sont, de toute évidence bien observées.

« Eski ou krwar kapav met lisyin vey sosis? »

Jean Margéot, Evêque du diocèse de Port-Louis, élevé au statut de Cardinal dans la hiérarchie du Vatican.

A ce jour, seul Dawood Rawat a osé sortir le mot pour qualifier le financement politique tel qu’il est pratiqué à ce jour : le racket ! Cet anglicissisme désigne l’extorsion d’argent (ou d’objets, comme des voitures, par exemple !) par chantage, intimidation ou terreur. Mais, soulignait Jean-Michel Giraud, l’ancien patron de UBP, « il ne faut pas non plus croire que les entreprises ne sont que des victimes de cette pratique mafieuse. Ils bénéficient aussi de nombreux avantages en échange ». Par exemple, l’accession à des contrats du secteur public en dépend, de même qu’une prise en compte favorable des intérêts patronaux lors des discussions tripartites.

Mais, plus que tout, il y a ces lourdeurs administratives et les fardeaux administratifs, ce fameux « red tape » qui peut faire capoter des projets d’investissement parce que le temps perdu équivaut à des millions qui, non seulement ne parviendront pas à maturation, mais qui seront complètement perdus en dépit de leurs potentiels pour des emplois durables, des dividendes raisonnables et du développement durable. En réalité, le personnel politique, actuel ou passé, n’a pas su se faire le scrupule de mettre des limites aux pouvoirs auxquels il peut accéder en manipulant les lois. Et, ceux qui sont au service de la mafia sont les agents les plus actifs dans la promulgation des lois et des réglementations qui contribuent à l’érosion des contrôles auxquels les élus, et le gouvernement en particulier, devraient être soumis.

Comment chacun réfléchit à ses responsabilités que l’on soit ministre, député ou chef d’entreprise : telle est la question. Car, il est plus que probable que des responsabilités civiles et pénales soient engagées pour nombre de ces protagonistes. S’il faut encore se convaincre de la perversion des institutions, il suffit de constater les inactions de celles et ceux qui sont censés les incarner.

Alors que les membres du présent gouvernement ont des boutons dès que le cardinal Piat énonce quelques vérités en faveur de la population, le démérite de la classe politique avait déjà été consacré sous la monarchie de Jugnauth 1er. N’est-ce pas Jean Margéot, avant même d’être élevé au cardinalat qui, dans un sermon à valeur prophétique au monument Marie-Reine de la Paix, avait demandé à la population : « Eski ou krwar kapav met lisyin vey sosis ? ».

Le silence des agneaux fait le lit des chatwas. Ainsi règne la mafia.


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