Élections Villageoises : Un combat contre les fossoyeurs de la démocratie

Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Temps de lecture : 7 minutes

Des groupes indépendants posent des réponses aux vrais enjeux ignorés par les gouvernements

Au-delà des contrôles que des ministres actuels et passés voudraient exercer sur les conseils de villages, il y a des équipes qui se présentent à ces élections villageoises avec des programmes qui méritent une attention particulière. Nous nous sommes attardés sur quelques villages où certaines listes ont élaboré des orientations concrètes en matière de développement qui renvoient au charlatanisme ceux qui se succèdent au gouvernement central et qui bloquent bien des projets pour promouvoir l’omnipotence inefficace de leurs secrétaires parlementaires.

« Si je suis élu ainsi que mon équipe, je pense qu’on pourrait réaliser beaucoup de projets pour le village », ce vœu de Jean-Yves Lonflé, candidat du groupe Mouvement Social de Tamarin (Emblème : Bateau), résonne dans de nombreux autres villages de l’île. Fondateur de l’atelier d’art de la Pointe Tamarin, ça fait 18 ans qu’il est engagé dans le social. Les parents de ses élèves l’ont encouragé à se présenter, car ils trouvent qu’il a beaucoup fait pour les enfants et les jeunes de Tamarin souhaitent qu’il contribue davantage pour le progrès du village.

La particularité de l’équipe de Jean-Yves Lonflé c’est la volonté d’adopter une démarche collective où les villageois ont leur mot à dire. Ainsi ils envisagent un forum mensuel pour maintenir une communication active permettant aux villageois de faire le suivi du développement qu’ils ont souhaité. Au-delà, on voit bien qu’il y a eu une réflexion pour redonner du sens à l’intégration sociale et la vie communautaire dans le village « Nous voulons mettre en place des formations pour les personnes dans le besoin et les jeunes mais aussi des campagnes de sensibilisation contre la drogue et la pollution. Les activités pour les jeunes afin de les garder loin de la rue ; des sorties de jour pour les personnes âgées afin qu’ils se sentent pris en charge sont également des points sur lequels nous voulons nous concentrer », explique-t-il.

Des refontes économiques à partir des actions locales

On trouve aussi chez l’équipe Bateau, un volet économique ambitieux, partant d’une situation concrète à laquelle les pêcheurs font face. « Nous voulons organiser des marchés où les pêcheurs auront accès aux acheteurs afin de leur donner une indépendance financière en diminuant les frais d’intermédiation ». De même, la question de l’autonomisation des femmes est abordée avec pragmatisme : en organisant un service de garderie offrant un service de sécurité aux jeunes mamans, celles-ci peuvent s’engager dans des activités économiques.

La question d’une meilleure intégration des femmes est bien présente dans cette campagne. La promotion des « valeurs traditionnelles » est une réponse classique pour beaucoup et on n’a pas beaucoup de mal à comprendre que ces formules creuses émanent des embusqués des « grands partis ». Cependant, on voit bien qu’il y a des groupes qui ont planché sérieusement sur la question et leurs feuilles de route démontrent bien qu’ils ont su dégager des éléments de réponse. A titre d’exemple on peut citer le Kolektif Anti-Pollution à Baie du Tombeau (Emblème Vague), une émanation du groupe qui a mené bataille contre le projet d’incinérateur de Véolia. Ce groupe mené par Marie Charlotte prévoit ainsi des stages pour les jeunes mamans et envisage de lancer une branche de « l’Ecole des Mamans ».

Si l’on considère la question des mères-célibataires et surtout l’épineuse problématique de la maternité précoce, on s’aperçoit que le groupe Vague a bien cerné un enjeu qui affecte le développement et le bien-être social dans cette région soumise autant aux conditionnements conservatistes du monde rural que des tendances émancipatrices des milieux périurbains.

On trouve aussi cette préoccupation de l’autonomisation des femmes à l’est du pays avec le parti Action-Développement-Progrès, (Emblème : Diamant), groupe constitué par Chandra Kumar Seepaul. Dans ce groupe où l’on trouve quelques cadres et animateurs du secteur touristique, (dont le célèbre Maïsta, de son vrai nom Jean-Christophe L’Omelette), on note la volonté d’engager les trois villages de Quatre-Cocos, Belle-Mare et Palmar dans une stratégie économique axée sur la culture pour positionner la région comme une destination touristique pour les Mauriciens comme à l’international. On réalise que les candidats de groupe ont su tirer les leçons du confinement et des conséquences de l’inactivité des établissements hôteliers. L’impact a été désastreux pour les employés de l’hôtellerie et l’emploi indirect comme la production vivrière et la pêche. Ainsi, la capacité à élaborer une réponse cohérente au niveau des villages contraste sérieusement avec les litres de whisky du Dr. Padayachy ou l’énorme trou au budget pour que les Anglais de Liverpool puissent jouer à la baballe.

Des moyens limités, mais une présentation soignée pour les candidats de l’équipe Diamant de Quatre-Cocos, Belle-Mare et Palmar. Une campagne qui semble inspirée de celle du candidat Belcourt pour les législatives.

La pertinence de la démarche du groupe Diamant est d’une évidence telle que l’on est bien obligé de se demander comment la MTPA ait pu passer à côté durant toutes ces années1. Il suffit de considérer les offices de tourismes régionaux de La Réunion pour s’en convaincre : nos voisins parviennent à mettre en valeur les offres provenant d’une multiplicité d’acteurs qui dynamisent la visibilité locale et internationale de chaque région. Nul besoin d’inventer la roue ; c’est du bon sens basique que des responsables de villages sont plus prompts à adopter, pour peu qu’ils soient réalistes et s’ouvrent aux réalités des autres destinations touristiques. Le comble, c’est d’avoir à reconnaître que même ce niveau demeure inaccessible aux factotums des partis que chaque gouvernement nomme et entretient à grand frais à la MTPA.

L’orientation qui consiste à créer des pôles d’attraction dans un village est également au centre de la stratégie de développement du parti de Fardeen Ibrahim, le Small Planters, Labourers and Farmers Party (SPLFP) du village de Notre Dame. Partisan d’une agriculture qui sert autant l’agriculteur que la communauté résidentielle qui partage son environnement, Fardeen prône l’intégration et la cohésion sociale par le partage des efforts dans les champs et celui de la production qui en découle. Cette formation ambitionne de créer un marché forain pour 100 exposants avec des facilités de parking. En somme, un marché agricole capable de rivaliser avec des centres comme Vacoas ou Saint-Pierre.

Pour Fardeen Ibrahim et ses collistiers, une nouvelle politique agricole et fermière peut transformer Notre-Dame en pôle d’attraction et contribuer au dynamisme économique de cette zone enclavée.

Pour cette localité plutôt enclavée, il y a là le potentiel d’un moteur économique à caractère agricole avec cet ambitieux programme. Comme pour Tamarin avec la pêche, une telle orientation à Notre-Dame est à même de réduire l’intermédiation qui fait grimper les prix à la consommation. On s’aperçoit du coup que nos candidats des villages ont la capacité d’impulser de véritables révolutions économiques en partant des enjeux locaux.

La culture comme enjeu de développement

La question culturelle est au centre des stratégies de développement de la plupart des groupes indépendants des formations partisanes représentées au Parlement. Elle est bien ancrée dans la démarche du groupe Diamant pour les trois villages de Quatre-Cocos, Belle-Mare et Palmar. D’ailleurs la présentation des candidats s’accompagne de l’évocation de trois sites historiques pouvant devenir des pôles d’attraction. Idem pour le groupe Ti-Bato qui place Tamarin comme le lieu emblématique des manifestations culturelles de l’ouest, qu’il s’agisse de concerts ou d’expositions de peinture. Pas étonnant donc de voir le soutien des figures comme Percy Yip-Tong et Jean-Jacques Arjoon.

Nous voyons aussi cet ancrage dans la stratégie du Kolektif Anti-Pollution qui souhaite concrétiser son projet de médiathèque à Baie du Tombeau. Rapprocher les personnes de milieux modestes, voire même des miséreux, des fonds documentaires et des objets culturels constitue le pas décisif de toute politique de développement des quartiers défavorisés. C’est le type d’investissement qui porte des fruits au bout de dix à quinze ans quand on voit émerger des compétences de ces quartiers habituellement stigmatisés.

L’équipe du Kolektif Anti-Pollution de Baie du Tombeau. Un nouveau cap après avoir résisté contre le projet de Véolia.

Il est donc clair que le KAP est engagé dans une révolution sociétale avec une politique inscrite sur le long-terme. Pour prendre la mesure réelle de l’orientation du KAP, il suffit de considérer que la mairie de Port-Louis a fait transférer son fonds documentaire dans une remise à Roche-Bois, convertissant ses salles de recherches en espace de travail de suppléance aux établissements scolaires et à l’industrie des « leçons particulières », des entreprises douteuses tant elles sont désormais généralisées. On voit ainsi la plus importante corporation municipale, sous tutelle des formations partisanes, qui se désengage sur des aspects culturels tandis qu’un nouveau groupe à la recherche d’une inscription locale s’engage résolument pour le développement sociétale en misant sur l’apport culturel et l’outil puissant qu’est une médiathèque.

Contrôler… et punir !

Depuis plus d’une trentaine d’années, les élections villageoises, de même que le scrutin pour les municipales, scellent le sort des collectivités locales qui restent prises entre le marteau et l’enclume des partis qui ont pris l’Assemblée nationale en otage. Ce cartel politique se disputait traditionnellement le contrôle des corporations municipales. Depuis la fin des années 90 toutefois, ces partis se disputent aussi les villages et, par extension, les conseils de districts.

La banalisation de la vie publique et de la corruption est telle que l’on évoque comme un fait folklorique la disparition, voire le kidnapping, des élus de village afin de « contrôler » la nomination du président du conseil de village et celui ensuite du conseil de district. Il y a même ces jours-ci sur les réseaux sociaux le clip voulant attester d’un ministre n’hésitant pas à évoquer ouvertement de tels « contrôles » afin, dit-il, qu’il y ait du « développement » dans le district de la Savane.

Contrôler à quelle fin ? On voit très concrètement, qu’importe que le gouvernement central soit à prédominance orange ou orange, que l’érosion des pouvoirs des élus locaux fait des secrétaires des collectivités locales les véritables interlocuteurs du ministère des Administrations régionales. C’est dans leur milieu que les commis de l’État effectuent le premier filtrage des projets envisagés et qu’ils recadrent selon les plans et les budgets de l’État. Nous sommes ainsi dans cette logique décrite par Michel Foucault dès les années 70, où les conseillers de villages et de district, ainsi que les conseillers municipaux, intègrent dans leur inconscient la puissance normalisatrice d’un « regard invisible », ce contrôle identique à celui de la prison où le détenu se sachant surveillé et craignant d’être puni2, devient au fur et à mesure son propre censeur.

Passée cette étape, les barons politiques vont procéder à la castration des meneurs des groupes indépendants. Ainsi, d’un côté, le ministère des Administrations régionales leur enlèvent la bourse et dotent les fameux PPS de budgets conséquents pour faire construire ici un centre communautaire que personne n’a demandé et là-bas le marché qui figurait dans un projet des élus de village mais qui n’aura pas obtenu la dotation budgetaire requise. L’inauguration dudit projet fera l’objet d’une opération médiatique, la MBC parvenant toujours à interviewer la personne qui saura dire « Nou byin kontan… ».

L’année suivante, le directeur de l’Audit évoquera le non-respect des procédures d’adjudication des marchés publics. La mafia de la région de Calabre, au sud de l’Italie, fonctionne de la même manière. Les villageois de Maurice sauront-ils se défaire de ces fossoyeurs de la démocratie ?

1Pour l’AHRIM, c’est un autre débat: on sait que cet organisme a besoin de se réinventer pour concevoir son rôle au-delà du lobbying des établissements all-inclusive.

2Surveiller et Punir, œuvre majeur de Michel Foucault sur le pouvoir aliénant de l’univers carcéral.


Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.