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En animant Indocile durant cette année, de nombreuses personnes – dont une majorité de nos amis et fervents lecteurs – nous ont demandé si nous étions opposés au gouvernement, au MSM et ses alliés, haineux envers certains hommes politiques (préoccupation particulière de quelques bérengistes), dédaigneux envers d’autres (préoccupation des amis de Pravind Jugnauth en particulier), méprisant envers les dirigeants travaillistes et réducteur en ce qui concerne le PMSD.
Même si votre serviteur a pu laisser l’impression qu’il balayait ces remarques d’un revers de main, ce dernier éditorial de 2019 montre que nous y avons été attentifs. Mais nous n’entendons aucunement rassurer quiconque !
Nous n’entendons pas reprendre les antiennes de ces éditorialistes qui estiment qu’on leur fait crédit d’une certaine indépendance à partir du moment où les critiques à leur encontre viennent de tous les côtés. Ce serait totalement hors de propos, puisque nous n’avons jamais fait l’objet de pareilles critiques.
Au contraire, notre indépendance est redoutée puisqu’elle s’est affranchie d’emblée du financement des grandes entreprises commerciales comme des formations politiques conservatrices. A partir de là, nous ne nous sommes jamais embarrassés de cette neutralité derrière laquelle ne peuvent s’abriter que ces éditorialistes qui craignent d’être émasculés par les intérêts privés dont ils dépendent.
Des totalitarismes
Bien au-delà de ces considérations, notre attention pour ces préoccupations – qui nous viennent aussi de quelques communicants du privé – relève plus précisément de l’observation d’un totalitarisme qui continue de s’installer de manière insidieuse dans notre pays. On aurait tort d’en attribuer la seule responsabilité au personnel politique.
Autant que ceux de cette caste pourraient être mus par des fantasmes d’omnipotence, il y a des compétences qu’il nous est impossible de lui reconnaître. Nos recherches au plan de l’histoire politique de ce pays nous permet d’avancer que les totalitarismes politique et économique qui se sont installés dans notre pays trouvent ses racines dans les intérêts défendus depuis 1965, c’est-à-dire à partir de l’élaboration même des éléments constitutifs de la nation mauricienne. C’est ce qui nous vaut la constitution des cartels au plan du commerce comme celui du parlement.
Malgré nos considérations pour quelques-uns de nos confrères qui évoluent courageusement dans des environnements médiatiques fortement compromis, nous ne sommes aucunement soucieux de blesser les éditorialistes passés et ceux de nos contemporains dépassés. Aussi quand nous lisons Anne Robert, Kris Valaydon, El Figaro et Touria Prayag, nous nous gardons bien de l’amalgame avec le couillon Nad. Nous admettrons volontiers que le rédacteur-en-chef de Le Mauricien fait exception en s’abstenant de tout éditorial mais, qui s’adonne au branding des enquêtes policières ne force pas le respect pour autant.
Eh oui, on l’aura compris, nous n’entendons pas rendre les politiques responsables de tous les travers qui affectent notre société. Laissant aux autres l’entretien des sentiments corporatistes, nous sommes, au contraire, de ceux qui attribuent sans hésiter la responsabilité à notre profession. Car, en se prévalant d’une liberté d’expression ignorante du devoir d’informer qui la fonde, nous avons connu une presse qui, avec la classe politique, est passée, plus d’une fois, du compromis à la compromission. L’histoire retient que l’absence de vigilance de la presse a valu à celle-ci d’être elle-même victime des dérives totalitaires du « Chacha ». Cela aurait été impossible sans les éléments participant à la vénération populaire du despote qui s’était attiré les faveurs de l’administration coloniale britannique.
Il en aura été de même avec Anerood Jugnauth, obscur personnage mis en avant par Bérenger au nom d’un réalisme politique contredisant les valeurs alors vantées par le MMM. Et pour cause! Les propagandistes étaient particulièrement doués pour apporter du lustre à ce juriste peu brillant qui après un passage à Lancaster House s’était retrouvé au Parquet. L’homme avait fait ses armes auprès de Premchand Daby du All Mauritius Hindu Congress que même Seewoosagur Ramgoolam, qui n’a jamais hésité à se constituer une fidélité électorale hindoue, avait trouvé radical dans son racisme anti-créole.
Tout cela n’est possible que dans la mesure où les uns et les autres se montrent arrangeants avec les faits. Nous avons eu des éditorialistes qui pendant trop longtemps ont vanté le fait que Seewoosagur Ramgoolam et Anerood Jugnauth se soient montrés rusés, au point qu’ils ont fait de la ruse une vertu en politique. Pour nous, elle ne l’est pas et ne doit pas l’être.
De même, nous sommes en rupture avec ces notions de « carrière politique » et des circonscriptions considérés comme des « fiefs ». Les mots, surtout dans cette profession, ont de la valeur. Et ceux qui les ont employés à mauvais escient doivent en assumer la responsabilité devant l’histoire. Car, n’ont-ils pas ainsi contribué à la pervertir ?
Ceux enchantés qu’on puisse leur attribuer les qualités d’une « bonne plume » auront davantage été des cuistres que des observateurs rigoureux des dérives de nos gouvernants et de la vacuité de ses opposants. Bérenger est devenu ce qu’il est par ce seul défaut d’une presse complaisante envers une opposition incarnée par son personnage que moult chroniqueurs embusqués dans cette presse dite indépendante auront contribué à créer.
Et quand tout ceci est dit, cela importe-t-il que l’on nous demande si on aime ou que l’on aime pas tel personnage politique ou tel autre ? La réponse pour nous est simple : ces gens sont pour nous insignifiants si nous sommes incapables de les appréhender dans le cadre de notre système démocratique. Notre responsabilité réside dans la capacité d’une interrogation : en quoi ces gens contribuent-ils à dynamiser ou à compromettre ce système démocratique ? Tout le reste devient alors accessoire.
Que l’on vienne nous apprendre que cela enrage Paul ou laisse Navin perplexe ne nous émeut aucunement. Pravind peut aller pleurer auprès de sa maman au prétexte qu’il ne nous aurait rien fait pour mériter pareille hargne, il va falloir qu’il grandisse, et avec lui sa bande d’obséquieux, pour réaliser que nous sommes d’une tradition de presse qui ne s’intéresse pas aux trains qui partent à l’heure. C’est sans doute pour cette raison que nous étions seuls à rendre compte de la congestion routière que son Metro Express allait engendrer pendant que nos confrères s’émerveillaient au passage du train !
Presse, politique et propagande
La presse a pour mission d’informer, d’éduquer et de divertir. Le public mauricien, crétinisé par l’éducation nationale depuis une trentaine d’années, n’a pas les moyens de se rendre compte que cette presse financièrement colonisée s’adonne surtout à la communication de multiples intérêts commerciaux ou de la partisanerie politique. Mais ce secteur dit privé devrait se méfier de ses mercenaires. Il y a un peu plus d’une dizaine d’années Dawood Rawat estimait qu’il gagnerait à investir dans cette presse où quelques chantres exerçaient leur art à la gloire de ceux qui leur assuraient l’obole. L’histoire aura démontré que nul n’est à l’abri de cette engeance qui aboie à la commande du mieux-disant.
Alors voilà : à l’aube de cette année qui vient, nous n’éprouvons aucune difficulté à dire que nous demeurons attentifs aux remarques que l’on nous adresse. Et cela ne nous fait pas changer d’un iota notre conception de notre profession. Nous comptons bien apprendre à Pravind Jugnauth que les louanges n’effacent pas les faits, et surtout ceux dont il a encore besoin de rendre compte. Il en va de même pour ses opposants. Tant mieux si cela lui procure une part de consolation.
Nous ne sommes pas neutres : nous sommes et nous serons toujours du côté de ceux que l’omnipotence politique broie et contraint au silence. Nous n’estimons pas avoir quelque trêve à observer en cette période de fêtes. Et tant pis si avec cela on emmerde nos confrères et ceux qui seraient les grands de ce monde.
Nous vous remercions, vous tous qui nous faites l’amitié de nous lire. En vous souhaitant la bonne année, nous vous offrons la garantie d’une pugnacité renouvelée.
Joël TOUSSAINT