Air Mauritius : le personnel navigant contraint de jouer les prolongations pour des raisons douteuses

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Le personnel navigant opérant en combinaison complète

A 22:55 en ce soir du dimanche 29 mars, l’atterrissage du vol MK053 aura marqué le moment où l’ensemble du personnel navigant d’Air Mauritius se retrouve, pour la première fois, réuni en même temps sur le territoire mauricien, et tous les aéronefs de la compagnie au sol sur sa base. Malgré les dispositions annoncées par le Premier ministre pour la cessation des opérations des vols commerciaux, la compagnie aérienne s’est vu contrainte à effectuer une prolongation de ses opérations compte tenu de la décision du ministre des Affaires Etrangères, Nando Bodha, de considérer la requête de quelques particuliers qui réclamaient le retour de leurs enfants. Une démarche totalement inconsidérée dans la mesure où, d’une part, il s’agissait concrètement de l’importation d’un lot supplémentaire d’agents potentiellement pathogènes et d’autre part, une exposition prolongée du personnel navigant cabine (PNC) et du personnnel navigant technique (PNT) aux risques de contamination par voie de contact avec des passagers éventuellement sujets à l’infection par le virus du Covid-19. Or, dans le même temps, au moment-même où Air Mauritius avait besoin de mobiliser ses ressources pour entreprendre sa mission, la compagnie était amputée d’un important contingent de PNC dans une totale cécité médiatique, dont on ne sait si elle serait mue par une complicité passive ou de la complaisance active.

Le fait d’avoir l’ensemble des PNC sur le territoire mauricien est rare, et à notre connaissance, l’événement est unique dans l’histoire d’Air Mauritius qui a démarré ses vols à l’international à partir de juin 1967. Le vol MK053, ainsi que le MK015 qui est arrivé à 07:09 ce dimanche matin en provenance de Paris CDG, sont revenus à la base avec les équipages seulement (Ferry Flights).

Les équipages de ces vols de rapatriement ont éprouvé des difficultés à l’aller, comme on pouvait s’y attendre, avec certains passagers incapables de réaliser qu’il s’agissait de vols à service restreint. Quelques-uns de ces passagers, comme à chaque fois quelques Mauriciens complexés qui prennent les PNC pour des serveurs ou même ce que l’on appelait communément des « nénènes » du temps où ils se sont installés en Angleterre, ont fait des réclamations de service comme s’ils étaient sur un vol d’agrément. Certains ont souhaité changer de place alors que l’avion était bondé et sont allés jusqu’à menacer le personnel de plaintes auprès de l’administration. Révulsée, une maman, d’origine mauricienne, qui rentrait avec ses deux fils à Edinburgh écrivait dans ses remerciements à l’équipage : « Sadly, I must add that I was disgusted by the behaviour of a few rude and selfish passengers on board, who were just thinking about themselves while there were so much humanity shown by the crew… Hats off to your professionalism ». Ça ne s’invente pas.

La compagnie d’aviation nationale n’a jamais sévi contre ce type de passagers qui, en raison de ces rudesses envers le personnel de cabine, sont désignés « unruly » dans le jargon de l’aérien. Certaines compagnies aériennes procèdent au bannissement – même à vie – de ce type de passagers à bord de leurs avions. De nombreux passagers prennent Emirates et British Airways comme alternative pour éviter d’être incommodés par les comportements excessifs de cette catégorie de Mauriciens. Même si concrètement cela occasionne des manques à gagner pour la compagnie, celle-ci n’a jamais daigné sévir au motif que ces passagers des plus indélicats auraient des connexions politiques capables de nuire à l’avancement de certains managers.

Les entraves politiques

Le personnel politique, quel que soit le gouvernement en place, a toujours été un des principaux obstacles à la bonne marche d’Air Mauritius. Les nominés du gouvernement au sein du conseil d’administration impactent la trésorerie de la compagnie en contrepartie d’une contribution douteuse car n’étant que pauvrement initié, voire totalement profane, aux aspects techniques de l’aérien commercial. Chaque changement de régime apporte son lot de ministres qui, comme autant de ouistitis croyant reconnaître les siens sur une terre étrangère, réclame un vol direct sur cette destination ! Et pour peu qu’ils parviennent à chevaucher un âne dans la presse généraliste, ce dernier se fait fort d’ânonner et de donner de la résonance à ce type de lubies !

Les derniers vols MK indiquent la reprise en main de la compagnie d’aviation nationale par un professionnel respecté, en l’occurrence, M. Rajah Indradev Buton qui fait office de DG intérimaire (comme à chaque fois que la compagnie aérienne se retrouve en difficulté après que les divers gouvernements y aient placé leurs nominés kamikazes). On se souviendra des fanfaronnades de son prédécesseur, Somas Appavou, annonçant le maintien des vols vers la Chine et Hong-Kong à la conférence de presse conjointe des ministres Bodha et Jagutpal le 27 janvier.

La presse d’actualité en avait fait des titres ronflants sans même réaliser l’hérésie et se retrouvait incapable d’expliquer le rétropédalage lorsqu’ils apprenaient le lendemain qu’Air Mauritius suspendait ses vols vers Shanghai et Hong-Kong. Indocile expliquait que l’hérésie consistait à défier un raisonnement arithmétique élémentaire : à raison de neuf ou dix membres d’équipage en moyenne à être confinés sur 14 jours alors qu’il faut compter une fréquence de deux vols hebdomadaires pour Shanghai et deux autres pour Hong-Kong, Air Mauritius se serait très vite retrouvé en panne de ressources pour opérer ses vols vers d’autres destinations. Car, pour ces nombreux journalistes qui couvrent l’actualité de l’aérien selon l’agenda déterminé par Prem Sewpaul, le vice-président exécutif pour la communication, le nombre de PNC doit sans doute être illimité !

Dès le 29 janvier, on pouvait lire dans Indocile : « Il eut été normal et recommandé que le DG d’Air Mauritius informe les ministres concernés de dispositions prises au plan commercial pour que ceux ayant fait des réservations puissent reporter leurs voyages, voire même de proposer des remboursements pour ceux qui envisageraient des annulations. De telles dispositions sont du type à inciter ceux qui n’ont rien d’essentiel à faire dans cette région à ne pas s’y rendre. Ce qui contribue concrètement à la réduction des risques. Qu’il n’en ait pas fait mention laisserait comprendre que son département commercial aurait manqué de réactivité, ou au cas où une telle décision aurait été prise, qu’il est allé participer à cette conférence de presse sans préparation adéquate ». C’est la première mesure qui a été posée par Air Mauritius au départ de Somas Appavou. Et c’est en se basant sur ce type de faits concrets, plutôt que de jugements de valeur, que nous osons parler de reprise en main d’Air Mauritius, (et non pas en considérant que l’un puerait de la gueule et l’autre aurait une tête qui ne nous revient pas!).

Somas Appavou n’avait pas réalisé qu’au-delà d’Indocile, d’autres yeux scrutaient désormais ses orientations avec davantage de suspicions. Au PMO notamment, dans le sillage du vol MK745 du 10 décembre 2019. A la suite d’avaries moteur sur l’appareil devant effectuer ce vol Delhi-Plaisance, la décision d’affréter (ferry) un appareil pour Delhi est prise. Parmi les passagers en attente à Delhi : Pravind Kumar Jugnauth, le Premier ministre lui-même. Mais la décision d’affréter l’appareil était mal coordonnée ; des approximations concernant les arrangements pour la disponibilité de l’équipage allaient faire que seulement sept membres d’équipage ont assuré ce vol finalement effectué avec l’A330-Neo. Un vol limite au plan réglementaire, et qui mettait l’équipage dans son rôle strict : celui d’assurer la sécurité à bord.

Malgré le passage au service minimum, de nombreux passagers ont félicité le personnel pour son professionnalisme

C’est ce sur quoi la compagnie aérienne communique à peine : le rôle initial des PNC est d’assurer la sécurité à bord. S’il fallait s’en tenir au service des repas et des boissons, les compagnies aériennes auraient recruté à tour de bras à partir des écoles hôtelières. Or, l’aérien commercial, ce n’est pas « la croisière s’amuse » ; c’est un monde qui se situe entre le monde civil et le militaire. C’est un personnel qui est soumis à une évaluation régulière des compétences techniques, des conditions physiques et des connaissances des procédures, et c’est seulement la conformité à ces prérequis qui détermine l’aptitude à voler.

Amputée avant l’épreuve

C’est en tenant compte de ces éléments que l’on se doit mesurer ces initiatives qui ont provoqué la prolongation des opérations d’Air Mauritius. Peut-on et doit-on considérer le passage de Somas Appavou comme de l’histoire ancienne quand on apprend que la compagnie aérienne a décidé de mettre un terme au service de certains PNC au moment où la crise du Covid-19 commençait à poindre ? C’est passé inaperçu de ces journalistes qui couvrent habituellement l’actualité de MK sous la houlette de Prem Sewpaul… Ca pourrait se comprendre s’il s’agissait de deux membres d’équipage, ou de cinq, ou même de dix. Mais, quand il s’agit de 54 PNC d’Airmate, cela s’appelle une saignée ! Opérée ni vu ni connu !

Un malheur ne vient jamais seul : c’est au moment où elle est amputée de ses moyens que MK sera sollicitée pour effectuer d’autres rondes. C’est encore une fois les titres des groupes de presse qui vont donner de la résonance à l’initiative de Rajen Narsinghen de contester les dispositions prises pour la cessation des opérations pour l’aérien commercial passager. L’ancien chargé de cours de la faculté de droit de l’Université de Maurice, entouré d’un panel d’avocats, recourait à la Cour Suprême pour obtenir que sa fille, étudiante à l’étranger, puisse rentrer à Maurice au motif d’une interdiction qui, si tant est qu’elle soit avérée, serait attentatoire à ses droits constitutionnels. L’affaire a été résolue hors des instances du judiciaire, Rajen Narsinghen arguant que l’arrêté des Lords du Privy Council sur lequel le requérant basait son argumentaire avait forcé le gouvernement à revenir sur sa décision. « The Privy Council authority was shared with Counsel of the Government of Mauritius. Common sense has followed and the government rightly, afterwards reversed their absurd decision », concluait-il dans les colonnes de L’Express.

Bien entendu, la résolution politique du questionnement juridique ne vient aucunement démontrer que la décision initiale du gouvernement était « absurde ». Aussi, se contenter de cette notion de « Common Sense » qui s’en serait suivi est loin d’être une garantie que ce soit le bon sens qui ait effectivement prévalu. S’il était aussi sûr de son bon droit, il eut peut-être mieux valu que le citoyen Narsinghen s’en remette aux juges qui l’auraient établi sans conteste. Toutefois, pour avoir opté pour la résolution politique, Narsinghen a choisi de s’en remettre à l’opinion plutôt que le prétoire ; comme il le fait d’ailleurs dans sa soumission à L’Express. Mais, déjà l’option de vaincre sans péril le condamne à triompher sans gloire. Ainsi, même si nos confrères s’en sont abstenus, nous n’entendons pas abdiquer de notre devoir de saisir l’opportunité d’examiner la pertinence de l’argumentaire de M. Narsinghen et de ses confrères.

Au-delà du « Common sense » supposé, bien plus réelle fut la prolongation des opérations chez Air Mauritius et à l’aéroport. Ce qui a, bien concrètement, occasionné l’exposition prolongée de ses quelques 500 PNC, ainsi que ses PNT, aux risques de contamination par voie de contact avec des passagers éventuellement infectés. Le Dr. Vasantrao Gujadhur, par exemple, peut commencer à appliquer son modèle statistique pour permettre aux plus dubitatifs et oublieux des journalistes de se racheter une conduite en considérant les questions au sujet de ces PNC et PNT et de leurs familles. Au-delà, il y a les bagagistes et leurs familles, auxquels il faut ajouter le personnel de différents corps gouvernementaux exerçant à l’aéroport : les agents du service de l’immigration, les douaniers, les agents de l’ADSU et les policiers assurant le service d’ordre dans un aérogare qui se transforma en foire d’empoigne dès le premier convoyage de Mauriciens retenus à l’étranger.

En réalité, on ne devrait plus s’étonner que le recours juridique de Rajen Narsinghen et de ses confrères ait connu un aboutissement politique. Dans l’interview publié par L’Express le 27 mars, Covilen Narsinghen, juriste basé à Londres et frère de Rajen Narsinghen, répondait à Axcel Cheney par une fanfaronnade : « C’est une question que je pose au PM. Parce que je suis à Londres, je n’ai rien à craindre et je peux ainsi m’adresser à Pravind Jugnauth sans crainte de représailles. Est-ce que la rumeur est vraie ? Même si ce n’est pas vrai et que c’est du fake que je dénonce, cette question perdure : est-ce que les filles de couple Jugnauth ont plus de valeur pour la République que ma nièce et les centaines d’autres Mauriciens qui veulent rentrer au pays. Le couple Jugnauth aurait-il abandonné ses enfants en transit dans un terminal ? Vous ne pensez pas que ces rumeurs sont parvenues aux oreilles de Pravind Jugnauth ? Quel est son devoir ? Démentir, non ? Or, il annule une conférence de presse pour s’adresser à la télévision nationale avec des heures de retard ».

Mission accomplie pour l’équipage du MK053, le dernier à rejoindre la base le dimanche 29 mars 2020

Dans le même sens, il convient désormais de demander à Nando Bodha, Rajen Narsinghen et à Pravind Jugnauth en finalité, si leurs enfants ont plus de valeur pour la République que les centaines de personnes exposées pour effectuer des missions dans des conditions devenues extrêmes1 ? Jouer les prolongations peut-il se justifier au motif d’un précédent dont le Premier ministre, concerné donc au premier chef, peine toujours à confirmer s’il est réel ou supposé ?

Une déculottée à l’Assemblée devrait nous renseigner sur le caractère de Pravind Jugnauth dans ces moments dramatiques où ses inconséquences sont déjà trop nombreuses. S’il se fie à une pantalonnade de son Speaker pour le tirer d’affaire, il n’y a plus rien à attendre de ce gouvernement. Car, son chef n’aura rien compris de la dignité requise pour exercer sa fonction.

En tout état de cause, alors qu’il s’adressait à la nation au lendemain de la dernière mission des équipages d’Air Mauritius, le chef du gouvernement s’est gardé d’exprimer ses remerciements à ce personnel navigant dont il n’a pas su défendre les droits, réels ceux-là. Pravind Jugnauth, si prompt au rabâchage sur le thème du patriotisme, n’est même pas parvenu à leur adresser des remerciements en usant de la formule consacrée, « au nom de la patrie reconnaissante ».

1Contrairement à son prédécesseur, Rajah Buton a, lui, pris cas des requêtes formulées par l’AMCCA et la fédération intersyndicale afin de hausser les mesures de protection de l’équipage (passage du port de masque et des gants à la combinaison complète (PPE), service réduit à bord, toilettes dédiées pour les PNC, etc.). Le DG obtenait ainsi la pleine coopération de son personnel navigant qui a effectué ses missions avec une pénibilité accrue: le lot d’ingrats étant toujours plus exigeant et volubile que la majorité des passagers reconnaissants.


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2 commentaires sur « Air Mauritius : le personnel navigant contraint de jouer les prolongations pour des raisons douteuses »

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