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Parmi les requêtes, une information potentiellement dommageable pour les administrateurs
La Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA), le syndicat des membres d’équipage d’Air Mauritius (MK), a fait servir une mise en demeure aux administrateurs de la compagnie d’aviation, Arvindsigh Gokhool et Satar Hajee Abdoula le 13 novembre, leur enjoignant de fournir, entre autres, les informations relatives à l’autorisation alléguée du ministère du Travail et des Relations industrielles pour mettre les PNC1 en congé sans soldes (leave without pay) et d’effectuer le paiement des allocations qui leur sont dues contractuellement. Les avoués de Dentons LLP, le cabinet juridique qui assiste le syndicat des PNC, préviennent les administrateurs des procédures juridiques qui pourraient éventuellement être initiées à leur encontre faute de se conformer à ces requêtes et exigences dans un délai de 24 heures.
Ce durcissement de la position du syndicat des PNC est une des conséquences de la décision des administrateurs d’Air Mauritius de mettre une partie des membres d’équipage en congé sans soldes durant trois mois et d’autres en congé sans soldes sur la base d’une rotation de deux mois travaillés contre un mois d’inactivité. En effet, les administrateurs ont contraint au congé sans soldes ceux des PNC ayant obtenu une version révisée de leur contrat et qui s’étaient déclarés dans l’incapacité de se conformer à l’auto-isolement selon le protocole du ministère de la Santé. Ceux qui ne font pas l’objet d’un contrat révisé ont été placés sur des activités au sol à temps partiel et en congé sans soldes sur la base d’une rotation de deux mois travaillés et un mois d’inactivité.
La mise en demeure de l’AMCCA fait ressortir que les administrateurs avaient émis un communiqué adressé à tous les employés de MK le 18 septembre dernier leur informant qu’ils avaient sollicité, et obtenu, les autorisations nécessaires du « Supervising Officer of the Ministry of Labour » pour procéder à la mise en congé sans soldes. Le syndicat des PNC fait ressortir que la décision des administrateurs d’imposer cette mesure de manière unilatérale, même si celle-ci était énoncée dans un accord datant de juillet, ne se conforme pas aux conditions convenues pour sa mise en application. L’accord prévoyait que : « The Company shall use reasonable endeavours to ensure that the leave period is on an alternative month basis where possible (one on’, one off)… ». En outre, la compagnie d’aviation s’était engagée à un traitement équitable des employés pour l’implémentation de cette mesure.
Pour rappel, suite à la validation des mesures considérées pour l’auto-isolement des membres d’équipage, le directeur des opérations de vol Alain Leung Hing Wah lançait un sondage le 12 octobre invitant les PNC en incapacité de se conformer à l’auto-isolement à domicile à se manifester. Comme annoncé par Indocile, 160 PNC avaient ainsi fait part de leur incapacité. Ce chiffre prenait le directeur des opérations au dépourvu. Avec une douzaine ou une quinzaine, l’affaire était gérable ; il suffisait d’assigner ces quelques-uns aux vols sur Rodrigues. Mais là, c’était dix fois plus que prévu.
Cette situation émane du fait que, dès leur entrée en scène, les administrateurs, s’étaient défaits d’une centaine de PNC qui étaient arrivés à l’âge de la retraite. N’ayant pu réaliser pourquoi ceux-là étaient toujours en poste, les comptables de Grant Thornton n’ont pu également constater que la compagnie était déjà en sous-effectif pour opérer ses vols. Par conséquent, la direction d’Air Mauritius se retrouvait avec 40 % de ses 400 PNC restants, en incapacité de se conformer aux conditions de l’auto-isolation. Les administrateurs intervenaient alors pour palier aux conséquences de cette mauvaise planification. Si tant est que ce terme vaut encore quelque chose à la direction des opérations…
Quoi qu’il en soit, en intervenant dans l’urgence pour imposer leurs mesures, les administrateurs ont étalé au grand jour une situation ambiguë et dangereuse. Ils ont, en effet, mis en lumière une pratique de la direction constituant une menace à la santé publique, car mettant les familles des PNC à risque d’être contaminés et d’être des propagateurs du Covid-19 auprès de la population !
Exposés au danger et privés de salaire…
En outre, L’AMCCA relève le fait que la compagnie d’aviation a privé ses membres de leurs salaires alors qu’ils sont assignés à résidence en raison des contraintes de leur métier et non par choix. Le syndicat fait ressortir, en effet, que les PNC sont assignés à domicile pendant sept jours en vertu de la loi et conformément au protocole des autorités sanitaires. Or, les membres d’équipage n’ont pas été rémunérés pour ces périodes d’isolement et, assignés à domicile et interdits de toute sortie, ils ne peuvent s’engager dans une activité rémunérée. Le syndicat déplore, par ailleurs que la direction de MK ait procédé à des prélèvements pour les diverses cotisations aux fonds contributifs comme si les PNC avaient effectivement obtenu des salaires mensuels complets.
Au-delà, la mise en demeure relève la situation où la compagnie d’aviation ne s’est pas acquitté de ses obligations concernant les frais qu’elle doit encourir pour l’entretien de son personnel dépêché en mission à l’étranger. Comme nous l’avions révélé en mai dernier, Alain Leung Hing Wah, le vice-président exécutif (EVP) des opérations de vol, avait émis dans la soirée du 8 mai une directive informant que le système de débours des allocations pour le personnel navigant était remplacé par une « Overseas Duty Allowance » (ODA) avec effet immédiat. Le directeur exécutif attribuait la source de cette décision à « The Administrators », alors que de source syndicale on apprenait que l’administrateur Satar Hajee Abdoula n’a pas fait mention de cette décision au cours de la réunion d’information qu’il avait convoqué à Ebène, avec les représentants des PNC le jour même. Le principe de cette allocation ODA est tel que très concrètement ce sont les membres d’équipage qui subventionnent la compagnie en payant les repas obligatoires de leurs poches !
Dans le dossier d’Air Mauritius que nous essayons de maintenir à jour, cette mise en demeure contient un élément d’interrogation pouvant avoir des portées conséquentes. Il faut, en effet, porter une attention particulière à la demande d’informations concernant l’autorisation d’un superviseur du ministère du Travail, tel qu’il a été allégué pour la mise en congé sans soldes des PNC. Loin d’être anodin, cet élément pourrait avoir des retombées dévastatrices pour les administrateurs au cas où cette version n’est pas avérée. Dans une telle éventualité, non seulement Satar Abdoula et Arvindsingh Gokhool ruineraient leur crédibilité et la réputation de Grant Thornton, mais ils s’exposeraient surtout aux responsabilités pénales d’un usage usurpée de l’autorité publique.
Il faut noter que Kailesh Jagutpal, le ministre de la Santé, a commencé à se dissocier des pratiques de la direction d’Air Mauritius et de ses administrateurs sur la question de l’auto-isolement des PNC assignés à domicile. Répondant aux questions des députés Karen Foo-Kune et Xavier-Luc Duval lors de la session parlementaire du 10 novembre dernier, le ministre de la Santé admettait que « self-isolation at home definitely means that you cannot mix up with your family members. If this crew member cannot do that, then he has to be lodged in a hotel, in quarantine facilities so that he can observe the self-isolation ». Une évidence que le ministre a fini par reconnaître. C’était quatre jours après que Indocile ait fait part des lâchetés ministérielles sur cette question.
1PNC: Personnel Navigant Cabine.