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L’exode des Sud-africains vers Maurice n’est pas sans danger.
Il y aurait déjà quelques 500 demandes de Sud-Africains déposées auprès du bureau du Premier ministre pour une éventuelle installation sur le sol mauricien. L’insécurité grandissante en raison des débordements de violence a enlevé tout espoir chez de nombreux Sud-Africains qui désormais considèrent l’exode comme une issue raisonnable. Mais l’option mauricienne est-elle la meilleure ?
De la faim à la folie, l’Afrique du Sud s’embrase et les chaînes d’information nous livrent des images de saccages, de dégradations et de de pillages. Déjà près d’une centaine de morts et on ne compte plus le nombre de véhicules, de distributeurs de billets endommagés, de commerces vandalisés. Le pays de Mandela a sombré dans le chaos depuis l’incarcération de Jacob Zuma. En fait, lorsque les portes de la prison se sont finalement refermées sur le plus corrompu des anciens présidents sud-africains, il a bien fallu se rendre compte que Zuma avait ouvert les portes de la géhenne laissant se déchaîner tous les démons de son pays.
Tout le mandat de Jacob Zuma avait été marqué par la kleptocratie, réduisant à néant tous les efforts de Nelson Mandela de ramener l’Afrique du Sud dans les voies d’une démocratie inclusive. A sa mort, le tribun léguait un pays riche à l’appétit gargantuesque des dirigeants de l’ANC. D’abord Thabbo Mbeki, qui allait s’embourber dans un scandale d’achats d’avions militaires et ensuite Jacob Zuma incarnant l’impunité et l’assurance par là-même que les institutions du pays étaient incapables de fonctionner.
Avec Zuma, plus personne n’avait besoin de se cacher des conséquences des révélations de corruption. C’est exactement comme les pillards d’aujourd’hui qui ne s’embarrassent pas des caméras ou des smartphones qui attestent de leurs larcins. L’ancien président aura lui poussé l’outrecuidance jusqu’à refuser de comparaître devant le tribunal pour répondre des charges de corruption. Il devait néanmoins user de mauvaise foi et prétendre qu’il était privé d’un procès équitable. Surfant autant sur les sympathies tribales du peuple zoulou que sur le soutien des corrompus de l’ANC, il a essayé de faire fi de sa condamnation pour outrage à la justice.
Les émeutes violentes se sont intensifiées au point que la police se retrouve, dans certains cas, face à des milliers de manifestants organisés et résolus à piller puis brûler des centres commerciaux et des entrepôts et saboter des infrastructures stratégiques.
Cyril Ramaphosa, 67 ans, est bien venu à la télé pour tenter de ramener une parole symbolisant le retour de l’autorité de l’Etat. Mais il aura été peu convaincant. Dans un éditorial qu’il a co-signé avec Razina Munshi, son adjointe, Rob Rose, le rédacteur-en-chef du Financial Mail, a comparé son allocution à un discours destiné à une branche locale du Rotary !
Rendu à ce niveau, il ne restait plus aux Sud-africains qu’à se fier à l’expression des forces armées. Jusqu’à présent, l’effet du déploiement de la Force de défense nationale (SA National Defence Force – SANDF), pour aider la police dans ses opérations, demeure minime car, les pillages se sont poursuivis. Ils avaient 48 heures pour réprimer la violence qui a éclaté vendredi dans le KwaZulu-Natal mais les émeutes s’étendent désormais à certaines parties du Gauteng, et ensanglante Johannesbourg.
Dans la marmite du diable…
Dans le chaudron sud-africain bout le ragoût indigeste où chaque politicien corrompu ou agent de l’Etat passé à la mafia aura versé son bout de lard nécrosé. Pour comprendre le processus en cours, il faut remonter à décembre 2017 quand Cyril Ramaphosa finit par remplacer Jacob Zuma à la tête de l’ANC. Il avait remporté de justesse une élection contre Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex-femme de Zuma. Le mandat de neuf ans du président corrompu était tellement entaché de scandales que cela avait provoqué une hémorragie de ses soutiens populaires. L’ANC, profondément divisé, s’est vu contraint de forcer Zuma à quitter son poste de président en février 2018. Les membres d’une faction du parti qui étaient fidèles à Zuma se sont alors alliés à Ace Magashule, le secrétaire-général de l’ANC et ont remporté plusieurs autres postes de haut niveau au conseil exécutif du parti.
Pourquoi cette alliance avec Magashule ? Tout simplement parce que le SG de l’ANC est du même acabit que Zuma. A titre d’exemple, le vol de plus de 500 milliards de Rands (29 milliards de dollars) au détriment de l’État sous le régime de Zuma a bien été établi. Mais aucun homme politique de haut niveau n’a été condamné pour ces méfaits et l’ANC n’a expulsé aucun des membres impliqués.
En début d’année, nous rendions compte dans Indocile du fait que les deux fils de Magashule avaient obtenu, dans le cadre de la pandémie de Covid-19, des contrats de matériel de santé. Cyril Ramaphosa avait été débouté par les dirigeants de son parti qui ont rejeté sa proposition d’enquêter sur des contrats d’Etat prétendument entachés de corruption. Au lieu de cela, ils ont accepté la suggestion du secrétaire général, Ace Magashule, que la commission de l’intégrité de l’ANC s’occupe de la question. Les deux fils de Magashule étaient ainsi sauvés alors que leur père fait depuis l’année dernière l’objet d’une enquête… pour corruption !
A la sauce mauricienne
Les ingrédients qui empoisonnent la vie sociale et économique en Afrique du Sud sont bien connus : la corruption des agents de l’Etat est assurée par une mafia prospère qui a intégré dans ses rangs les politiciens les plus influents et les plus avides. A Maurice, il n’y a que la cécité émanant de la partisannerie politicienne qui empêche de voir les équivalences. La collaboration entre les familles mafieuses locales et celles de l’Afrique du Sud est des plus efficaces si l’on considère les cargaisons de drogue qui débarquent ou transitent désormais par Maurice.
Alors que nous étions sur la piste de Glenn Agliotti déjà depuis 2013 pour tenter de comprendre la succession de leurres transmis à l’ADSU de Vinod Appadoo, ne l’avons-nous pas retrouvé sur le territoire mauricien aux côtés de sa femme ? N’en était-il pourtant pas officiellement séparé ? Le fameux PMO est, selon toute vraisemblance, davantage soucieux des atteintes de Patrick Hofman à l’égo de Pravind Jugnauth qu’à ses prétendus devoirs de circonspection envers les individus qui, parce qu’ils sont véritablement dangereux, seraient indésirables sur le territoire.
Comme de bien entendu, aucune explication officielle de ce PMO pour avoir autant manqué de vigilance. Alors que loin d’être une gabegie, la présence d’Agliotti sur le territoire est une indication claire que ce parrain sud-africain a bénéficié de l’assistance des pourris qui opèrent dans le système mauricien au bénéfice des mafieux.
La corruption par rapport aux contrats du gouvernement pour du matériel de santé dans le cadre de la pandémie du coronavirus ? Les Mauriciens ont démontré qu’ils savaient faire aussi. Même que depuis qu’ils ont cramé un de leurs agents dans un champ de cannes, ça sent le roussi pour un ex-ministre du gouvernement. Qui ne s’en inquiète pas outre-mesure, puisqu’il est davantage intéressé à rouler en Porsche qu’à envisager une mobilité réduite en cellule.
Qu’en est-il des gens qui ont faim ? C’est vrai que la majorité des Sud-Africains de la Côte Ouest est conditionné pour ne pas s’émouvoir des conditions difficiles dans lesquels vivent ceux avec qui ils partagent leur environnement. Les gens y sont moins agressifs qu’en Afrique du Sud et les « gated communities » n’ont pas besoin d’être aussi étanches. En outre, il y a toujours une petite proportion de cette communauté étrangère pour tenter l’interaction avec la communauté locale et ainsi entretenir la relation pacifique.
Mais les gens ont faim. La folie ne vient pas de ceux qui ont faim. Elle émane de ces rapaces tellement avides qu’ils en viennent à affamer ceux dont ils profitent. Aussi, quand Renganaden Padayachy rêve de sa tour iconique et d’une relance du tourisme avec ses bouteilles de whisky, les Mauriciens les plus pauvres ne comprennent pas pourquoi et comment ils seraient devenus plus coûteux et plus paresseux que les Bangladeshis.
Tous ceux qui travaillent dans le secteur informel ont pu considérer comment ce ministre des Finances les avait perdus de vue durant le premier confinement. Et ceux-là, ici comme en Afrique du Sud, commencent à se dire qu’ils n’ont plus grand chose à perdre…
Joël Toussaint