Renversé par un coup d’Etat, le président annonce lui-même sa démission

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L’opposition prête à travailler avec la junte pour une transition politique civile

Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) renversé en raison de la gestion clanique du pouvoir

Peu après la démission du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), à la suite d’un putsch, les militaires ont affirmé vouloir mettre en place une « transition politique civile » devant conduire à des élections générales dans un « délai raisonnable ». L’opposition se dit prête à travailler avec la junte : Choguel Kokala Maiga, le président du comité stratégique du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP), a ainsi rejeté la qualification de « coup d’État » et a appelé tous les sympathisants du mouvement à sortir massivement hier (le 21 août) pour soutenir le Comité national pour le salut du peuple (CNSP), et pour montrer à la communauté internationale que le peuple malien est favorable aux militaires. La communauté internationale (la Cedeao, les États-Unis, la France, etc.) a « condamné le coup d’État » et appelle au « retour rapide à l’ordre constitutionnel ».

Le chef de l’Etat malien a remercié, dans la nuit du mardi 18 août, sur les ondes de l’ORTM, la radio-télévision nationale, « le peuple malien de son accompagnement au long de ces longues années » avant d’annoncer qu’il démissionnait de toutes ses fonctions et de déclarer la dissolution de l’Assemblée nationale et celle de son gouvernement, dirigé par un premier ministre, Boubou Cissé, arrêté en même temps que lui.Innovation dans la tradition des coups d’État en Afrique : le renversement qui a eu lieu au Mali, a été officialisé par le président renversé lui-même. Au lieu d’être annoncé par des militaires en treillis, le putsch, qui s’est déroulé sans effusion de sang, met un terme à une séquence politique tumultueuse qui durait depuis plusieurs mois.

Ancien premier ministre, élu à deux reprises, Ibrahim Boubacar Keïta était président depuis 2013 avait été arrêté par des militaires dans l’après-midi, et emmené de force, dans le camp de Kati, au nord de la capitale, où avait débuté le matin même une mutinerie. Ce sera, selon toute vraisemblance, aux membres de la transition civile de statuer sur le sort réservé à IBK et à ses alliés politiques toujours détenus. Compte tenu de son âge (75 ans) et de sa santé fragile, IBK pourrait rapidement être libéré et certainement assigné à résidence à son domicile de Sébénikoro où il a toujours résidé.

En répondant massivement aux appels à manifester du M5-RFP, – les 5 juin, 19 juin, 10 juillet, et 11 août 2020 – les Maliens ont clairement et fortement exprimé leur colère contre la gestion « clanique » du pouvoir par IBK. Les hauts gradés qui se sont emparés du pouvoir avec l’assentiment du principal mouvement d’opposition appellent officiellement la population à reprendre ses activités dans le calme et s’engagent à mettre en œuvre une « transition politique civile » et à organiser de nouvelles élections générales dans un délai qui n’a pas été précisé.

Le M5-RFP s’était constitué autour de la demande de « démission du président Keïta et de son régime ». Mais l’imam Mahmoud Dicko, qui en représente la caution morale, avait difficilement fini par convaincre les autres leaders du M5-RFP – après ses multiples rencontres avec des ambassadeurs en poste à Bamako, les émissaires de la Cedeao, et IBK lui-même – de renoncer à leur exigence de démission du président.

Réforme de la Cour constitutionnelle, afin que cette instance n’apparaisse plus comme l’instrument du pouvoir ; la dissolution d’une Assemblée nationale fortement contestée ; et la formation d’un gouvernement d’union nationale, avec un Premier ministre de plein pouvoir qui serait une personne crédible et consensuelle aux yeux de l’ensemble des Maliens : c’est le contenu du mémorandum adressé à IBK, dont le contenu fut dévoilé le 1er juillet dernier.

Le 8 juillet, après avoir reçu les leaders de la contestation, le président IBK, dans une troisième adresse à la nation depuis le début de la crise le 5 juin, ne fit aucune concession concrète pour rassurer ces derniers. Il leur suggéra simplement, contre toute attente, de prendre contact avec la majorité présidentielle et de discuter avec celle-ci des modalités de sortie de crise.

Les leaders du M5-RFP allaient enclencher le processus de désobéissance civile afin de contraindre IBK à la démission. Si les deux premières manifestations avaient été pacifiques, l’avant-dernière a pris les caractéristiques d’une insurrection et d’un début de révolution. À l’appel de leurs leaders, les manifestants ont alors assiégé les locaux de la télévision nationale (l’ORTM) et occupé les différentes grandes artères, ainsi que deux des trois ponts reliant les deux rives du fleuve Niger qui traverse la capitale.

Ismael Wagué, le porte-parole de la junte militaire, s’adresse à la presse.
Après les heurts violents entre les forces de l’ordre et les manifestants, l’armée s’est rallié à l’opposition

La « manifestation pacifique » du 10 juillet a fortement dégénéré sur le terrain, donnant lieu à des pillages, à la destruction de biens publics et privés, comme les saccages de stations-service, etc. Le point d’orgue fut le saccage de l’Assemblée nationale, qui fut totalement pillée et incendiée. Dans ce climat de fortes tensions, plusieurs des leaders du M5-RFP ont été arrêtés. La réponse des autorités à la fronde, jugée violente et disproportionnée, a causé des morts (23 selon le M5-RFP, 11 selon les autorités maliennes) et une centaine de blessés. La situation avait atteint un point de non-retour.

Conscients que les manifestations ne suffiraient pas à faire démissionner IBK, les leaders du M5-RFP, et Oumar Mariko1 en particulier, appelaient régulièrement les militaires maliens à soutenir le M5-RFP, à « être des hommes » et à aider à libérer le Mali. Car, disent-ils, le combat que le M5-RFP mène est aussi un combat en faveur des militaires qui meurent au front parce que l’argent destiné à la fourniture d’équipement (ainsi qu’au versement des primes), est détourné.

Dès que les premières informations sur un éventuel coup d’État ont commencé à circuler, la jeunesse du M5-FRP a aussitôt demandé à tous ses soutiens, via les réseaux sociaux, de sortir massivement dans les rues et de soutenir l’armée. Les militaires ont arrêté simultanément IBK et son premier ministre Boubou Cissé. Le président contesté de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, ainsi que plusieurs ministres des gouvernements actuel et précédent ont également été interpellés.

Le 19 août, vers minuit, après le dernier discours du président IBK, le discours des putschistes, réunis au sein du CNSP, est retransmis à télévision nationale, l’ORTM. Ce discours énumère toutes les revendications du M5-RFP. Ils rappellent les contestations nées des élections législatives et dénoncent l’insécurité, le clientélisme politique, la gestion familiale de l’État, le détournement des deniers publics, la corruption de la justice, la crise de l’école, la mauvaise gouvernance et les tueries de manifestants du M5-RFP les 11 et 12 juillet. C’est au vu de tout cela que les putschistes ont « décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple, afin d’éviter au pays de sombrer », expliquent-ils. Dès le lendemain de la chute d’IBK, le CNSP sont aussitôt allés à la rencontre de l’imam Mahmoud Dicko, initiateur de la contestation et « autorité morale » du M5-RFP.

1Ancien député et président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance et membre du M5-RFP


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